Former les enseignants aux questions de défense

Le contexte géopolitique de plus en plus incertain impose une formation accrue des enseignants, notamment dans les Inspé, aux questions de défense. Quels sont les enjeux de cette thématique ? Quelles actions conjointes et quelles ressources pédagogiques mettre en œuvre pour assurer au mieux cette formation ? Tel était le thème du webinaire organisé le 21 mai 2024 par Campus Matin, le Réseau des Inspé et le ministère des armées.

Cycle : Campus Matin

Pourquoi intégrer l’éducation à la défense dans les enseignements ?

Sébastien Jakubowski est directeur de l’Inspé Lille-Hauts-de-France. - © D.R.
Sébastien Jakubowski est directeur de l’Inspé Lille-Hauts-de-France. - © D.R.

Longtemps plutôt suspicieux en la matière, le monde enseignant est progressivement revenu vers les questions de défense depuis 2015. « Les attentats terroristes, en particulier contre l’institution, et la guerre Russie-Ukraine, ont été des révélateurs de la nécessité de répondre à des interrogations grandissantes de la part des enseignants et des fonctionnaires stagiaires, mais aussi des élèves », relève Sébastien Jakubowski, directeur de l’Inspé Lille-Hauts-de-France.

Sandrine Béraud, professeure d’histoire-géographie missionnée défense au rectorat de Lille raconte : « Nous sommes aujourd’hui confrontés à des élèves très angoissés, porteurs d’une demande forte à une éducation à la défense. »

Apporter des grilles de lecture

Il est nécessaire de « dépoussiérer » l’idée d’une armée lointaine et opaque, selon Sandrine Béraud. Et de renforcer le lien armée-Nation, distendu par la fin de la conscription obligatoire, selon Arnaud Papillon, enseignant détaché à la direction de la mémoire, de la culture et des archives du ministère des armées (DMCA).

Enfin, il est important de renforcer la cohésion nationale autour des forces armées, dans un contexte d’intensification des menaces, ajoute Guillaume Couëtoux, général adjoint de la Zone de défense et de sécurité-ouest. Afin de mieux préserver la paix, pour Sébastien Jakubowski.

Un renforcement récent et multiforme des actions pédagogiques entre éducation et armée

Guillaume Couëtoux est général adjoint de la Zone de défense et de sécurité-ouest. - © D.R.
Guillaume Couëtoux est général adjoint de la Zone de défense et de sécurité-ouest. - © D.R.

Sous l’impulsion du chef d’état-major, la construction d’une formation conjointe à l’enseignement de défense est en dynamique depuis 2022. Le sujet a fait l’objet de deux séminaires nationaux organisés par le Réseau des Inspé avec le ministère des Armées, à Balard (décembre 2022) et Amiens (mars 2023).

Pierre angulaire de ce cette concertation pédagogique : les trinômes académiques, instances qui rassemblent, sur les territoires, un représentant militaire départemental, un inspecteur d’académie — inspecteur pédagogique régional (IA-IPR) et un représentant de l’Institut de hautes études de défense nationale.

Une vaste palette d’actions conjointes

Miser sur la transdisciplinarité : un impératif pour ne laisser aucun enseignant ni élève sur le bord de la route. « Outre les évocations de certains sujets en cours ou via des débats, les rencontres avec des représentants de l’armée, en collaboration avec des collègues d’autres disciplines, ont un impact irremplaçable », rapporte Sandrine Béraud.

Sandrine Béraud travaille comme professeure d’histoire-géographie missionnée Défense au rectorat de Lille. - © D.R.
Sandrine Béraud travaille comme professeure d’histoire-géographie missionnée Défense au rectorat de Lille. - © D.R.

C’est aussi la démarche choisie par la DMCA. « Chaque année, nous proposons trois projets pédagogiques transversaux, mais aussi des ressources documentaires, “Chemins de mémoire”, accessibles en magazine papier et via la plateforme Educ@def », illustre Arnaud Papillon. Qui précise : « Le ministère des armées ne participe pas à la conception des programmes et ne vient qu’en soutien des actions choisies par les enseignants. »

Pourquoi et comment mieux former les enseignants à ces questions ?

Il faut renforcer l’enseignement de défense dans les Inspé. « Celui-ci n’est pas prioritaire pour les enseignants et un certain nombre d’entre eux n’y est pas spécialement sensibilisé », analyse Sébastien Jakubowski. S’y ajoute une forte hétérogénéité de cette prise de conscience en fonction des territoires.

« Avec ces initiatives, on ne touche au mieux que 5 % de la jeunesse, or sensibiliser la plus large part d’une classe d’âge passe par les futurs enseignants », précise le général Couëtoux.

De nombreuses initiatives déjà existantes

Des stages de deux jours pour les étudiants au lycée naval de Brest en Bretagne ; une journée à destination des formateurs sur les enjeux de l’enseignement de défense en Lorraine ; un module « Comment parler de la guerre, de la défense et de la sécurité aux enfants ? » en master métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (Meef) à Paris…

Vers l’instauration d’un module obligatoire ?

Arnaud Papillon est enseignant détaché à la direction de la mémoire, de la culture et des archives du ministère des armées. - © D.R.
Arnaud Papillon est enseignant détaché à la direction de la mémoire, de la culture et des archives du ministère des armées. - © D.R.

La mobilisation de ces leviers se fait actuellement au gré et au rythme de chaque Inspé. D’où la question d’instaurer un module obligatoire d’éducation à la défense. Un chemin déjà suivi par l’Inspé de Bretagne pour la rentrée 2024. « Cela serait cohérent avec l’importance de former les futurs enseignants sur les ressources disponibles », approuve Arnaud Papillon. Sandrine Béraud est plus dubitative : « Une obligation pourrait être contre-productive », estime-t-elle.

D’éventuelles épreuves dédiées dans le futur concours ?

Intégrer l’éducation à la de défense au futur Capes est une éventualité, pour Sébastien Jakubowski. « Y est déjà prévu le renforcement des questionnements autour du spectre global des valeurs de la République, dont relève l’éducation à la défense, observe-t-il. Si c’était davantage spécifié, il faudrait intégrer ces éléments dans le tronc commun de licence, ainsi que dans le master qui suivra les concours. »

Vers un élargissement des trinômes pédagogiques ?

Sébastien Jakubowski propose de passer des trinômes aux quadrinômes académiques, en y intégrant l’enseignement supérieur, pour des actions conjointes de formation et de recherche.