Comment construire des collaborations durables entre les mondes académique et économique ?

Face à la nécessité d’accélérer l’innovation, le renforcement des collaborations entre la recherche académique et les entreprises est nécessaire. Comment créer des synergies durables entre ces deux mondes ? C’est la question centrale explorée lors du webinaire organisé par Campus Matin le 11 juin dernier, à travers les regards croisés de représentants de l’Institut Polytechnique de Paris et de grands groupes industriels.

Cycle : Campus Matin

La convergence entre les mondes académique et économique s’impose aujourd’hui comme une nécessité stratégique face à la nouvelle révolution industrielle, dominée par l’intelligence artificielle. Pour les établissements d’enseignement supérieur et de recherche, c’est un levier d’innovation, de financement et d’attractivité, qui exige de rester connecté aux besoins des entreprises, comme le souligne Patrick Olivier, directeur de Télécom Paris.

Du côté entreprises, les enjeux sont doubles : nourrir leur R&D et attirer les talents de demain. « Nous avons besoin d’ingénieurs de haut niveau pour concilier performance et sécurité », indique Jean-Marc Gasparini, directeur général des programmes de Dassault Aviation. « Quand on est une entreprise de haute technologie, on ne peut pas avancer et innover seul », ajoute Dominique Laurent, directeur des ressources humaines de Schneider Electric France.

Des synergies freinées par plusieurs écueils

Plusieurs obstacles viennent limiter le développement de collaborations durables entre académique et industrie.

Dominique Laurent est DRH de Schneider Electric France. - © D.R.
Dominique Laurent est DRH de Schneider Electric France. - © D.R.

D’abord, la faible attractivité salariale en France complique la rétention des talents. « Sur la Côte ouest américaine, les packages sont deux à trois fois plus élevés qu’en Europe », relève Dominique Laurent. Qui observe que cette compétition est également en interne, entre les entités d’un même groupe, pour l’allocation des budgets R&D.

Par ailleurs, la pénurie d’ingénieurs reste structurelle. « En France, le déficit est de 10 000 par an : nos écoles ne constituent qu’une goutte d’eau dans la masse de la demande. Avec ses 250 diplômés par an, l’ENSAE Paris a la chance de bénéficier d’un large vivier et de reposer sur des sous-jacents porteurs, en particulier la statistique a été mise en lumière par la révolution de l’IA », souligne Maylis Coupet, directrice de l’ENSAE Paris.

Les bonnes pratiques : agilité et diversification des collaborations

Pour répondre aux défis évoqués, les intervenants s’accordent sur l’importance d’agir avec agilité et sur plusieurs fronts.

Maylis Coupet est directrice de l’ENSAE Paris. - © Ensae Paris
Maylis Coupet est directrice de l’ENSAE Paris. - © Ensae Paris

Jean-Marc Gasparini insiste sur la nécessité de penser la chaîne éducative dans sa globalité : « La rareté des talents doit se gérer dès le collège lycée, voire en amont. » Un message partagé par Maylis Coupet, qui interpelle directement les entreprises : « Les directeurs d’école ont besoin de vous faire intervenir pour travailler l’orientation des élèves et l’incarnation des différents métiers ». Les entreprises ont un rôle à jouer pour mieux faire connaître les métiers scientifiques chez les jeunes, notamment chez les filles.

Ensuite, il convient, pour les établissements, de « faire jouer la masse critique pour peser à l’international et proposer un portefeuille d’actions plus large aux entreprises », comme le souligne Thierry Coulhon, président du directoire de l’Institut Polytechnique de Paris (IP Paris).

La création de cet institut de sciences et de technologie de rang mondial, alliant six écoles d’ingénieurs (École polytechnique, ENSTA, ENPC, ENSAE Paris, Télécom Paris et SudParis) a permis l’émergence de centres interdisciplinaires sur des sujets à enjeux. À l’instar de Hi ! Paris, initiative conjointe d’IP Paris et HEC Paris dédiée à l’intelligence artificielle, très largement soutenue par sept grandes entreprises françaises.

« Il est crucial de former des professionnels à la fois familiers du business et de la tech », décrypte Thierry Coulhon. Pour Jean-Marc Gasparini, ce type de dispositif représente « une tête de pont intéressante pour acculturer et présélectionner les talents ». Dominique Laurent y voit « un véritable investissement » dans la jeunesse, rappelant que 1 700 jeunes ont intégré Schneider Electric via des stages, de l’alternance ou des thèses.

Jean-Marc Gasparini est directeur général des programmes de Dassault Aviation. - © Dassault
Jean-Marc Gasparini est directeur général des programmes de Dassault Aviation. - © Dassault

D’autres formes de collaboration durable sont également mises en avant, à commencer par les chaires de recherche. « Elles sont un élément stable de notre stratégie, dont le contenu évolue en fonction des besoins des entreprises », indique Patrick Olivier. Il souligne également l’importance des thèses Cifre, qui « connectent recherche fondamentale et besoins industriels ». En matière de formation, l’alternance constitue un « formidable véhicule », selon Dominique Laurent, à la fois comme outil de fidélisation des jeunes talents et comme réponse immédiate aux besoins des entreprises. Ce à quoi s’ajoute la formation continue, qui vise à accompagner l’industrie dans l’évolution de ses compétences.

Enfin, dans le cadre de son nouveau programme IP Paris Connexion, lancé lors du salon Vivatech 2025 avec un premier grand groupe (Bouygues) à entrer dans ce format de collaboration innovant, IP Paris offre aux entreprises adhérentes un guichet privilégié pour accéder à l’écosystème académique.

Une responsabilité collective, pour un rayonnement international

Thierry Coulhon est président du directoire d’IP Paris. - © Jeremy Barande
Thierry Coulhon est président du directoire d’IP Paris. - © Jeremy Barande

« Le paysage universitaire français s’est transformé depuis les Investissements d’avenir. Le train de l’IA et du quantique, on ne l’a pas raté. On est dedans », affirme Thierry Coulhon. IP Paris s’inscrit dans la course mondiale via les appels à projets publics nationaux comme IA Cluster, les appels à candidatures européens comme le Conseil européen de la recherche et le Conseil européen de l’innovation, et en s’appuyant sur des alliances comme Eurotech.

Pour Maylis Coupet, l’ambition de rayonnement international repose aussi sur une plus grande diversité sociale et géographique des profils. « L’ENSAE Paris se distingue par un recrutement plus mixte et nous formons aussi des talents internationaux sur tous les continents », souligne-t-elle.

Tous les intervenants s’accordent sur l’impératif d’une vision à long terme et d’une responsabilité collective. « Les grandes entreprises ont le rôle de montrer l’exemple et d’ouvrir la voie », insiste Dominique Laurent. Tandis que, pour Thierry Coulhon, « il faut faire évoluer le modèle économique des écoles ». À la clé, l’émergence d’un écosystème français d’innovation à la hauteur des leaders mondiaux, mais aux spécificités locales et citoyennes résolument ancrées.