[Replay] « L’ingénierie pédagogique ce n’est pas une affaire d’expert, c’est une démarche »

Comment l’ingénierie pédagogie peut-elle devenir un levier de réussite étudiante ? Comment peut-elle accompagner la formation des enseignants, l'évolution des apprentissages mais aussi des évaluations ?

C’est pour répondre à ces questions que Campus Matin et son partenaire, le réseau des Inspé, ont réuni quatre experts à l’occasion d’un webinaire le 3 février dernier, lors de Think Education et Recherche 2021. En voici les grands points.

Cycle : Campus Matin

Qu’est-ce que l’ingénierie pédagogique ?

Joëlle Demougeot-Lebel, responsable innovation pédagogique du CIPE de l’Université Bourgogne Franche-Comté - © D.R.
Joëlle Demougeot-Lebel, responsable innovation pédagogique du CIPE de l’Université Bourgogne Franche-Comté - © D.R.

«  L’ingénierie pédagogique c’est beaucoup plus que les outils qu’elle met en œuvre. Cela va concerner les pratiques pédagogiques elles-mêmes, définit Joëlle Demougeot-Lebel, responsable innovation pédagogique du Centre d’innovation pédagogique et d’évaluation (CIPE) de l’Université Bourgogne Franche-Comté. L’ingénierie pédagogique arrive quand on se pose la question « qu’est-ce que les étudiants vont faire pour apprendre cette partie du cours ? » plutôt que « que vais-je enseigner ? ». »

Une façon d’envisager la pédagogie qui s’applique tout au long d’un enseignement « de la situation de départ, avec le choix des outils et des supports, en passant par la conduite de l’enseignement jusqu’à l’évaluation afin d’en réguler le fonctionnement », précise-t-elle.

Cette posture d’application doit rester ouverte, en adéquation avec le dispositif et son environnement : elle s’adapte selon « la diversification des publics, mais aussi avec l’intégration de nombreux intervenants, des modes d’apprentissages multiples… ».

Qui est concerné par l’ingénierie pédagogique ?

«  On parle d’ingénieur pédagogique, d’une fonction, ce qui pose question en France, explique Joëlle Demougeot-Lebel. Dans la vision franco-française, l’ingénierie pédagogique est perçue d’un point de vue technique, car ce sont les ingénieurs pédagogiques qui ont mis en place les campus numériques dans les années 2000. »

Mais l’ingénierie pédagogique ne s’arrête pas à un corps de métier, estime-t-elle. « L’ingénierie pédagogique, ce n’est pas une affaire de spécialiste, c’est une démarche ». Elle considère qu’il faudrait plutôt parler de trois types d’accompagnateurs pédagogiques :

  • Les professionnels qui ont une expertise technologique ;
  • Des conseillers pédagogiques qui ont une expertise de la pédagogie ;
  • Et des accompagnants pédagogiques spécifiquement en charge de l’évaluation des enseignements.

Un chantier qu’avait entamé le CIPE de l’Université de Bourgogne avec « l’évaluation des enseignements qui visait à partager aux enseignants des données, des connaissances qu’ils n’avaient pas sur leurs cours  ».

De nombreux acteurs au niveau macro et micro

« La force de l’ingénierie pédagogique, c’est qu’elle va pouvoir intervenir à la fois au niveau micro (en définissant des objectifs d’apprentissages, préconisant des outils pour s’assurer que les étudiants ont compris l’apprentissage) et plus largement dans des équipes pédagogiques (en répondant à la question « comment mon cours s’articule-t-il dans la formation ? »), témoigne Joëlle Demougeot-Lebel. C’est un modèle utilisable par de nombreux acteurs de l’enseignement supérieur aujourd’hui en France. »

Remettre l’enseignement au cœur de l’ingénierie pédagogique

François Germinet,  président de CY Cergy Paris Université - © Seb Lascoux
François Germinet, président de CY Cergy Paris Université - © Seb Lascoux

En pleine crise sanitaire, la pratique des enseignants a été modifiée. « La situation actuelle est subie et non choisie, néanmoins cette crise a permis à beaucoup de professeurs de tester des dispositifs, ça a donné des idées et il sera temps au printemps de faire le bilan et d’échanger entre établissements », résume François Germinet, président de CY Cergy Paris Université.

Ainsi, les cours se transforment petit à petit, intégrant le numérique, mais aussi passant d’unités de formations qui évaluent les connaissances obtenues à une approche par compétences à acquérir. Et ce sont les enseignants qui doivent opérer ce virage.

Pascale Brandt-Pomares, directrice de l’INSPE d’Aix Marseille et Vice-Présidente du CIPE d’Aix-Marseille Université - © D.R.
Pascale Brandt-Pomares, directrice de l’INSPE d’Aix Marseille et Vice-Présidente du CIPE d’Aix-Marseille Université - © D.R.

« Ce qui est le plus important c’est de remettre l’enseignant au cœur de l’ingénierie pédagogique. In fine, c’est bien lui qui met en œuvre le dispositif global », ajoute Pascale Brandt-Pomares, directrice de l’Inspé d’Aix Marseille et vice-présidente du CIPE d’Aix-Marseille Université

« C’est donc à l’enseignant de pouvoir être maître d’œuvre de ce qu’il décide et de ce qu’il peut mettre en œuvre au bénéfice de l’étudiant et de l’apprentissage. En même temps, ce qui apparaît, c’est que cela ne se fait plus seul, mais avec une assistance. »

Appréhender le présentiel différemment

Mieux utiliser ce temps privilégié passé avec les élèves

Le présentiel, en particulier, sera amené à être repensé, estime Philippe Lalle, conseiller stratégique pour la pédagogie à la Dgesip. « On s’aperçoit que le présentiel qui est fait habituellement, on pourrait mieux le faire. Typiquement quand vous faites de la classe inversée : certaines activités se font en dehors et on utilise mieux le temps de classe. Avec le retour au présentiel, plus de collègues auront envie de tester quelque chose comme ça, pour mieux utiliser ce temps privilégié passé avec les élèves. »

En revanche, il souligne que cela nécessite une concertation des équipes pédagogiques. « La classe inversée va demander plus de temps aux étudiants, s’il n’y a pas de coordination, il peut y avoir des étudiants surchargés de travail. » Un travail d’équipe parfois mis à mal par la crise, mais parfois aussi renforcé.

Former et encourager l’innovation pédagogique

Philippe Lalle, conseiller stratégique pour la pédagogie, Dgesip, Mesri - © ERIC LE ROUX
Philippe Lalle, conseiller stratégique pour la pédagogie, Dgesip, Mesri - © ERIC LE ROUX

Alors que l’ingénierie pédagogie doit être remise au cœur de l’enseignement, la formation systématique des nouveaux maîtres de conférences est un enjeu clé. Elle est aujourd’hui mise en place au niveau national, mais « est venue de quelques établissements pionniers », indique Philippe Lalle.

Pour accompagner cette formation, le Mesri propose un Mooc dédié, Se former pour enseigner dans le supérieur. « Il a été conçu il y a trois ans, pour que les établissements qui n’étaient pas encore en état de mettre en place une formation bien constituée puissent s’appuyer dessus. Il a été créé pour que les établissements qui le souhaitent puissent proposer entre chaque séance des activités relais : des cafés groupes, des échanges animés par des enseignants-chercheurs ou conseillers pédagogiques… Il s’agit d’un Mooc qui évolue et qui intègre notamment l’approche par compétences et l’enseignement à distance. »

Outre la formation, l’innovation pédagogique est encouragée par différentes initiatives du Mesri : les Journées nationales de l’innovation pédagogique dans l’enseignement supérieur (Jipes), le prix Peps, la création d’un échelon exceptionnel pour les maitres de conférences qui se sont particulièrement investis sur le volet pédagogique dans leur carrière et la création d’un congé pour projet pédagogique.

« Il a un défaut ce congé, il concerne des individus, mais pas des équipes. Cependant, des établissements ont trouvé des moyens pour créer des systèmes de congé qui vont concerner des équipes », nuance Philippe Lalle.