[Replay] Comment la science peut-elle lutter contre les « fake news » ?

Comment rétablir la confiance du grand public dans la recherche face au désordre informationnel, aux « fake news », amplifiés depuis le début de la crise sanitaire ?

Campus Matin et son partenaire Elsevier ont interrogé quatre experts lors d’un webinaire organisé le 2 février dernier à l’occasion de l'événement Think Education et Recherche 2021.

Cycle : Campus Matin

Depuis l’apparition de la Covid-19, les scientifiques se sont massivement penchés sur le virus, multipliant les publications - près de 75 000 recensées par Elsevier dans la base de donnée Scopus. Dans le même temps, le désordre informationnel, les « fake news », ont pourtant pris une ampleur inégalée. 

Dans cette nouvelle réalité, comment les chercheurs peuvent-ils restaurer la confiance du grand public et des acteurs de la décision publique ? Quelles sont les initiatives qui naissent pour démonter les fausses informations ? Et d’ailleurs, pourquoi sont-elles légions et comment combattre leur propagation ?

Naissance de « clusters de fausses informations »…

Grégoire Borst veut approfondir l'étude des fake news au sein de l’Institut des données de l’Université de Paris - © Jean-Pierre DULLIER pour ARTs & IMAGES
Grégoire Borst veut approfondir l'étude des fake news au sein de l’Institut des données de l’Université de Paris - © Jean-Pierre DULLIER pour ARTs & IMAGES

Si l’information scientifique prolifère, la désinformation, les « fake news » et les mauvaises interprétations se multiplient également. Et Grégoire Borst, directeur du Laboratoire de psychologie du développement et de l'éducation de l’enfant (Lapsydé, UMR CNRS - Université de Paris), est en première ligne pour en faire l’expérience :

« Notre laboratoire travaille à comprendre les facteurs cognitifs et socio-émotionnels qui expliquent notre difficulté à distinguer les fausses des vraies informations et notre tendance à adhérer aux thèses complotistes », explique-t-il.

Les études démontrent en effet que notre cerveau est soumis à certains biais nous rendant plus réceptifs aux thèses du complot et fausses informations, notamment :

  • le biais de confirmation, qui explique une « tendance à aller chercher des informations qui sont concordantes avec les croyances qu’on peut avoir sur le monde » ;
  • et le biais d’attribution causale, qui fait que nous allons « plus facilement voir un lien de cause à effet entre deux évènements ».

Ajoutons à cela une méfiance généralisée envers les médias, comme le démontre une étude Ispos, une confiance très importante dans l’information provenant d’une personne connue dans la vie réelle, et il n’y a rien de surprenant à apprendre que des « clusters » de fausses informations sur les réseaux sociaux « se renforcent mutuellement et diffusent des thèses complotistes qui tout à coup vont exploser », décrit Grégoire Borst.

Des actions contreproductives pour éviter leur propagation

Au lieu de relever les fausses informations, « on a décidé d’étudier les mécanismes qui vont aider les gens à distinguer le vrai du faux », témoigne Grégoire Borst. En effet, celui qui est également professeur de psychologie du développement et de neurosciences de l’éducation constate que tout ce qui a été mis en place pour déconstruire les « fake news » ne fonctionne pas. Et cela parce que, d’une part, le cerveau a tendance à considérer une information familière comme véridique - donc plus les fausses informations sont répandues plus le public aura tendance à y adhérer - et d’autre part parce que si une initiative pour dénoncer les « fake news » oublie d’en relever certaines, elles seront considérées comme vraies.

Il annonce par ailleurs que l'Université de Paris, en réaction à l’envahissement du Capitole aux États-Unis, a pris la mesure de l’impact du désordre informationnel et a validé sa proposition d’un laboratoire dédié. « On va mettre en place, dans l’Institut des données, une branche autour de l’étude interdisciplinaire des fake news et thèses complotistes », déclare-t-il. « L’idée est de pouvoir être une interface entre le monde de la recherche et le monde des médias. »

… Mais aussi de clusters vertueux

Antoine Crouan est directeur exécutif de L’école des sciences du cancer de l’Institut Gustave Roussy - © D.R.
Antoine Crouan est directeur exécutif de L’école des sciences du cancer de l’Institut Gustave Roussy - © D.R.

La recherche s’approprie ces questions et lance des initiatives, qui finissent par faire écho, de façon positive, sur les réseaux sociaux. C’est le cas de l’Institut Gustave Roussy qui a lancé la newsletter « Good to know », recensant l’actualité scientifique en cancérologie, afin d’y voir clair parmi la masse de publications, des controversés pré-prints (version initale du texte, non-publiée, éventuellement soumise à une revue), et discours contradictoires.

« Il s’agit d’une newsletter pour faire voir les publications qui comptent, indique Antoine Crouan, directeur exécutif de L’école des sciences du cancer de l’Institut Gustave Roussy. Afin de rassurer ou d’apporter des informations essentielles à nos 3 000 salariés, 700 chercheurs et les 40 000 patients qui passent chez nous chaque année. »

Le centre a mis profit son équipe de documentalistes pour passer en revue « tous les pré-prints, l’indicateur d’impact des publications, les numéros Orcid des signataires » et ses psychologues pour transmettre les informations de façon accessible. « Nous avons été capables de mettre en place cette newsletter trois fois par semaine pour que les personnels puissent mieux communiquer avec les patients », souligne Antoine Crouan.

Une initiative qui a remporté l’adhésion, notamment sur les réseaux sociaux où elle a créé des clusters vertueux : « Sur les réseaux sociaux, il y a eu une focalisation de gens rayonnants eux-mêmes qui ont fini par faire résonner ces informations dans toute la Francophonie ».

Et a vocation à se poursuivre : « Good to know est devenue pérenne car elle permet notamment à des unités ne travaillant pas forcément ensemble de construire des protocoles de recherche ».

A Gustave Roussy, un annuaire en ligne pour favoriser la visibilité de la recherche

Alors que la newsletter anti-fake news de centre européen de lutte contre le cancer, Gustave Roussy, a permis de mettre en lien les chercheurs et d’informer les patients, l’institut va plus loin en lançant en mars 2021 le travail autour de la création d’un annuaire en ligne pour favoriser la visibilité de ses acteurs, afin pour les patients de trouver le nom et le CV d’un médecin et, pour le monde de la recherche, de suivre les avancées et publications des chercheurs.

Un portail Pure, inspiré par celui adopté apr le MD Anderson à Houston (Texas), qui est le plus grand centre de cancérologie au monde, et créé par Elsevier.

Sensibiliser et échanger avec les acteurs de la décision publique

Bertrand Monthubert est président d’OPenIG et Occitanie Data - © D.R.
Bertrand Monthubert est président d’OPenIG et Occitanie Data - © D.R.

Multiplicité des ressources, explosion des fausses informations… La communication entre les scientifiques et le grand public, mais aussi les dirigeants est loin d'être optimale. D’autant plus en temps de pandémie, il est nécessaire de rapprocher ces milieux et c’est ce que propose de faire Bertrand Monthubert, conseiller régional délégué à l’enseignement supérieur et à la recherche en Occitanie, dans un « laboratoire des transitions ».

« L’idée est de rapprocher les acteurs de la décision publique et les acteurs de la science, explique celui qui est également président d'Occitanie Data. Il s’agit de deux mondes qui évoluent de façons assez séparées et avec assez peu de connaissances réciproques. »

Ce dispositif permettrait d’une part que les acteurs de la décision publique (élus, techniciens dans les administrations, les cadres dans les entreprises, les associations) « puissent se nourrir au mieux des travaux de la recherche » et que réciproquement les chercheurs « puissent être en lien avec eux pour comprendre leurs contraintes, les éléments de compréhensions, de consensus qu’il faut réussir à faire émerger pour prendre ces décisions ».

Former les ingénieurs à prendre part au débat

Abdellatif Miraoui est également président Honoraire de l’Agence universitaire de la Francophonie - © D.R.
Abdellatif Miraoui est également président Honoraire de l’Agence universitaire de la Francophonie - © D.R.

Et si la science doit prendre sa place dans le débat public, les ingénieurs ont également un rôle à jouer. Ils sont pourtant souvent peu entendus. Pour Abdellatif Miraoui, directeur d'Insa Rennes, « on a vu très peu d’ingénieurs » intervenir dans les débats or « ils doivent prendre leur part » notamment pour éviter les faux sujets. « Ils ont des réponses très pragmatiques à apporter », défend-il.

Afin que les futurs ingénieurs se positionnent sur les questions de société, notamment de transition écologique, Abdellatif Miraoui insiste sur l’importance de développer ce qu’il appelle les 'power skills'. « Il faut que le jeune soit capable à répondre à un problème sociétal, participer au débat public fait partie de ses compétences. »

Or, s’il existe des enseignements dans ce sens, « ce sont des modules que les étudiants peuvent prendre hors cadre (…) or tout le travail scientifique doit intégrer ces paramètres de développement durable et transition écologique dès la conception », estime le directeur de l'école d’ingénieur rennaise.

Une recherche qui évolue : des publications plus nombreuses et plus rapides

Spécialisé dans la publication de revues scientifiques mais aussi dans la donnée scientifique, Elsevier, partenaire de ce webinaire, dresse le portrait de l'évolution de la recherche depuis le début de la crise sanitaire.

De plus en plus de publications. « Les chiffres sont très parlants sur le volume de publications, expose Anne-Catherine Rota, consultante Research Intelligence pour le groupe éditorial. On atteint presque les 75 000 publications sur la Covid, ce qui signifie l’immédiateté de la publication mais aussi la pression pour publier. Cela pose également la question de savoir “Que lire ?”. »

Des domaines scientifiques variés. « C’est assez notoire d’avoir plus de 30 % de recherche qui n’est pas purement médicale », remarque l’experte.

Une proportion de collaborations internationales à 20 %. « Ce chiffre n’est pas si grand. Les experts émettent comme piste d’explication le poids de la recherche physique et l’ancrage local qui est nécessaire sur la problématique de la Covid. »

Une forte interdisciplinarité. « On analyse les co-citations des publications pour repérer les thématiques , explique la consultante Research Intelligence. C’est bien sûr le cas surl’ARN, mais aussi par exemple pour la résistance à  la vaccination… »

Anne -Catherine Rota souligne également deux initiatives : celle de la Hong-kong Baptist University qui utilise son campus comme un laboratoire vivant et la création d'un portail de partage pour repérer la collaboration interdisciplinaire sur la Covid-19, instauré par Elsevier.