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Entre labos et entreprises, les thèses Cifre veulent décoller

Par Marine Dessaux | Le | Doctorat

Cette année, les thèses Cifre fêtent leur 40e anniversaire ! L’occasion de faire mieux connaitre ce dispositif qui vise à renforcer les échanges entre les laboratoires de recherche publique et les entreprises, alors leur nombre doit doubler dans les prochaines années.

L’objectif du Mesri est d’atteindre 2 150 Cifre par an en 2027. - © Michal Jarmoluk
L’objectif du Mesri est d’atteindre 2 150 Cifre par an en 2027. - © Michal Jarmoluk

Les thèses Cifre (Convention industrielle de formation par la recherche) ont quarante ans et célèbrent leur succès. « 90 % des docteurs Cifre trouvent un emploi dans les six mois. La frontière entre le monde académique et le secteur privé s’est muée en véritable zone d’échange », applaudit la ministre de l’Esri, Frédérique Vidal, à l’occasion d’un colloque au Collège de France, le 15 mars 2021. 

Pour autant, de nombreux enjeux restent à relever. L’une des « pistes à approfondir pour renforcer la place des docteurs et de la recherche dans l’ensemble du tissu socio-économique, selon Patrice Caine, P-DG de Thales et président de l’Association nationale de la recherche et de la technologie (ANRT), est de continuer le travail de visibilité pour accroître la proportion de docteurs dans les équipes de recherche, mais aussi dans les organes de direction des entreprises, les comités exécutifs ou parmi les décideurs publics ».

Un contexte favorable dans le cadre de la LPR

Patrice Caine, président de l’ANRT pendant les 40 ans des Cifre - © D.R.
Patrice Caine, président de l’ANRT pendant les 40 ans des Cifre - © D.R.

« La loi de programmation pour la recherche (LPR) va offrir plus de latitude aux acteurs socio-économiques pour accueillir plus de doctorants, et le dispositif Cifre voit ses perspectives budgétaires croître. La revalorisation des carrières des chercheurs devrait aussi donner une bonne impulsion pour attirer les meilleurs candidats vers la recherche », poursuit Patrice Caine.

En effet, la nouvelle loi prévoit une augmentation de 50 % du nombre de Cifre pour atteindre 2 150 par an en 2027 soit une augmentation de 100 thèsards financés de cette manière par an. En 2021, le premier budget renforcé par la LPR s’élève à 63,3 M€ pour 1 550 Cifre.

« Avec les différents leviers budgétaires de la LPR, du PIA 4 et du plan de relance, le gouvernement articule, sur des horizons de temps différents, une seule et même ambition : connecter la recherche publique et l’entreprise au service de la société, en facilitant la mobilité de leurs talents, en les encourageant à partager leurs idées dans des dispositifs de recherche partenariale comme les instituts Carnot ou les labcom, et en les invitant à collaborer au sein des futurs pôles universitaires d’innovation », dit Frédérique Vidal. 

Chiffres clés

Selon les données du tableau de bord 2020 de l’ANRT, rapportées par le Mesri, on observe :

• + 8 % du nombre de demandes de thèse Cifre par rapport à 2018 ;

• 1 500 Cifre attribuées par an en 2020 ;

• 25 % des thèse Cifre en sciences et technologies de l’information et de la communication, 17 % en sciences pour l’ingénieur, 16 % en sciences de l’homme et de la société ;

• seules 38 % des thèses Cifre attribués à des femmes en 2020.

Un dispositif riche…

« Dès que vous avez une idée, vous pouvez la tester en entreprise. C’est l’une des grandes richesses de ce dispositif Cifre », affirme Alexandre Brunet, doctorant au sein de l’Université de Bordeaux, en collaboration avec Michelin.

Autre apport selon le doctorant, « le transfert de connaissances vers la grande entreprise, mais également vers mon futur emploi : ce qui a été développé dans la thèse sera mis au service d’une mission d’intérêt public ».

Romain Bouzigon, ancien doctorant Cifre au sein la société Aurore Concept et de l’Université de Franche-Comté - © D.R.
Romain Bouzigon, ancien doctorant Cifre au sein la société Aurore Concept et de l’Université de Franche-Comté - © D.R.

« En tant que doctorants Cifre, nous sommes à l’interface entre le monde économique et le monde académique, et c’est alors à nous de faire ce lien, ajoute Romain Bouzigon, ancien doctorant Cifre au sein la société Aurore Concept et de l’Université de Franche-Comté. Au sein de la société, j’étais le référent scientifique. On apprend à être entre la société et le côté  terrain, à adapter les objectifs et discours à l’université et à la société ».

Pour d’autres, la thèse Cifre est tout bonnement incontournable : « La thèse Cifre n’a pas forcément été un atout sur le plan international, mais ça a été une étape indispensable, et la seule que j’ai pu trouver pour pouvoir mener cette carrière. Le seul atout que j’ai pu retirer de cette expérience, c’est d’avoir pu faire mon projet de thèse et d’avoir pu l’exploiter plus tard dans les bourses postdoctorat », témoigne Samara Danel, qui a soutenu en 2018 une thèse Cifre en lien avec l’Université Lyon 2 et l’Institut Max Planck d’ornithologie.

… mais un processus d’acceptation long

Si la thèse Cifre est louée par ceux qui en bénéficient, encore faut-il réussir à l’obtenir ! Et même pour les candidats avec un projet solide, le processus avant d’être retenu est particulièrement long.

« Il a fallu neuf mois à l’entreprise Hermès pour se prononcer favorablement sur la mise en place de mon projet de Cifre », rapporte le doctorant Emmanuel Ducourneau, qui parle de « course de fond »

Alexandre Brunet, doctorant au sein de l’Université de Bordeaux, en collaboration avec Michelin - © D.R.
Alexandre Brunet, doctorant au sein de l’Université de Bordeaux, en collaboration avec Michelin - © D.R.

De son côté, Alexandre Brunet est d’abord passé par une période de travail en entreprise : « Il y a un véritable apport de l’expérience professionnelle : quand j’étais en CDD et en stage chez Michelin, ça m’a permis de cerner les différentes problématiques qui pouvaient exister au sein de mon service et cela a aidé à faire maturer mon projet de recherche qui était aussi en adéquation avec les besoins de mon labo d’accueil. Il faut que ce besoin soit réciproque et avoir cette relation de proximité entre les deux a permis de créer un projet doctoral qui a été validé par l’ANRT ».

Il se considère malgré tout comme un cas à part : « J’ai eu la chance de bénéficier du rapprochement entre Michelin et mon université d’accueil qui s’était déjà opéré en amont. En temps normal ce rapprochement est un processus qui prend énormément de temps, notamment car ces deux mondes ont encore du mal à créer du lien, ce n’est pas encore une évidence ».

Un temps de répartition entre entreprise et laboratoire assez équilibré

La Cifre est définie par Alexandre Brunet comme « un équilibre complexe » : « Le temps passé en labo et en entreprise est assez variable. La première année, il y a beaucoup d’allers-retours et un temps de présence important en entreprise. Au fur et à mesure, le travail en labo prend le dessus. Ce qui est possible parce que les choses sont plus définies, le besoin de présentiel du début n’est pas aussi important ».

Romain Bouzigon confirme : « Le temps passé entre entreprise et laboratoire est de 50-50 mais en lissant sur les trois ans ».

Un planning qui correspond avant tout aux besoins de la thèse : «  Le temps partagé entre mes deux structures d’accueil est clairement réparti : j’effectue toute la partie liée à la chimie au sein de la start-up, et toute la partie en lien avec la biologie cellulaire dans mon laboratoire académique », témoigne Cynthia El-Hedjaj, doctorante à l’Université Paris-Saclay, et au sein de la start-up Nanobactérie.

Différents modèles de thèses

40 ans après leur création, les Cifre sont marquées par une grande diversité, avec différents modèles de collaboration et de recherches conduites. C’est ce qu’a observé Quentin Plantec, co-auteur d’une thèse sur les Cifre et qui a analysé 650 thèses avec Pascal Le Masson, Benoît Weil et Benjamin Cabanes

Il décrit d’une part une recherche faite dans un laboratoire à l’abri de contingences industrielles qui serait « plus susceptible de générer des connaissances scientifiques fondamentales » et de l’autre part, une recherche plus partenariale « où les intérêts industriels peuvent pousser vers l’applicatif »

Quentin Plantec prévoit d’affiner encore l’étude pour mieux comprendre les différents modèles qui se dégagent.

« Les hauts compensent largement les bas »

Samara Danel a soutenu en 2018 une thèse Cifre  - © D.R.
Samara Danel a soutenu en 2018 une thèse Cifre - © D.R.

Comme tout doctorat, l’aventure Cifre est éprouvante à bien des égards. « Il y a des hauts et des bas, des moments d’euphorie totale et des moments où vous êtes totalement au fond du seau, mais vous développez une certaine résilience et les hauts compensent largement les bas », rapporte Alexandre Brunet.

Ce qui n’entame pas la motivation des jeunes chercheurs : « En entreprise, il y a des personnes plus ou moins ouvertes. Certaines déprécient la recherche et la personne qui l’initie. Néanmoins, cette expérience nous pousse à donner le meilleur de nous-même », affirme Samara Danel.

3 conseils pour postuler à une thèse Cifre