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Calcul du plan de charge des professeurs : vers une nouvelle donne ?

Par Laura Makary | Le | Management

Dans les écoles de commerce, l’idée commence à faire son chemin : et si l’on repensait la façon de calculer le plan de charge des enseignants ? Audencia s’est déjà lancée, d’autres se penchent très sérieusement sur la question.

Audencia a réformé en 2018 son mode de calcul du plan de charge des professeurs - © P. Cauneau / Audencia
Audencia a réformé en 2018 son mode de calcul du plan de charge des professeurs - © P. Cauneau / Audencia

C’est Audencia qui a décidé la première de se lancer. La business school a réformé en 2018 son mode de calcul du plan de charge des professeurs. André Sobczak, directeur académique et de la recherche de l’établissement, en est l’instigateur.

Il existe de plus en plus d’initiatives et de méthodes pédagogiques dans l’école

« Nous nous sommes rendu compte qu’il existait de plus en plus d’initiatives et de méthodes pédagogiques dans l’école. Des professeurs préparaient des ressources en ligne, learning trips, témoignages d’entreprises, coachings, en plus des cours en tant que tels. Nous avons donc commencé à chercher des solutions pour prendre tout cela en compte, au départ avec des primes, mais cela n’était pas suffisant. D’où l’idée de remettre à plat l’intégralité du plan de charge de la faculté », détaille-t-il.

Suivent alors 18 mois de réflexion, pour aboutir à une réforme pertinente, qui entre en vigueur en 2018.

L’ECTS, plutôt que l’heure de cours

« Nous nous sommes rendu compte qu’il existait de plus en plus d’initiatives et de méthodes pédagogiques dans l’école », André Sobczak, directeur académique et de la recherche à Audencia - © Frédéric Sénard
« Nous nous sommes rendu compte qu’il existait de plus en plus d’initiatives et de méthodes pédagogiques dans l’école », André Sobczak, directeur académique et de la recherche à Audencia - © Frédéric Sénard

L’école nantaise décide alors de changer de mètre étalon : l’heure de face à face pédagogique ne sera plus l’unité de mesure, au profit de l’ECTS.

« Le professeur est responsable d’un certain nombre de cours, mesurés en ECTS. Peu importe le mix de méthodes pédagogiques ensuite, qu’il s’agisse de contenus numériques ou de face à face, le plus important est que l’étudiant puisse acquérir les connaissances et compétences liées au cours. Après tout, ce que l’on promet aux étudiants n’est pas un nombre d’heures passées dans une salle de cours », relève André Sobczak. 

Naturellement, un tel changement a inquiété au départ les premiers concernés : les enseignants.

Sur 130 professeurs, 25 ont perdu de l’argent  : pour 80 %, cette perte était de moins de 500 euros

« Surtout ceux qui n’étaient pas encore engagés dans ce type d’initiatives, que nous avons bien évidemment rassuré. L’objectif n’était pas non plus de supprimer le face-à-face pédagogique. Nous avons aussi vérifié que cela n’entraînait pas de perte de salaire. Sur 130 professeurs, 80 n’ont pas vu d’évolution dans leur rémunération, 25 ont gagné de l’argent et 25 en ont perdu. Mais pour 80 % de ces derniers, cette perte était de l’ordre de moins de 500 euros, que nous avons bien sûr compensé », précise le directeur académique et de la recherche, qui se déclare satisfait de la réforme et de son impact.

Encore plus à la suite de la crise sanitaire : aucun problème ne survient pour calculer le plan de charge à distance grâce à ce système.

Les limites des ECTS ?

« Nous avons réformé une partie de nos programmes et donc le nombre d’heures de cours », Valérie Moatti, doyenne d’ECSP Europe - © ESCP Europe
« Nous avons réformé une partie de nos programmes et donc le nombre d’heures de cours », Valérie Moatti, doyenne d’ECSP Europe - © ESCP Europe

Mais si Audencia est la première à se lancer dans cette réforme, le sujet intéresse la majorité des écoles de commerce.

ESCP Europe a justement lancé une task force il y a quelques mois, afin de réfléchir collectivement sur le sujet. « Nous avons réformé une partie de nos programmes et donc le nombre d’heures de cours. La question se pose : maintient-on le même nombre d’heures de cours pour le professeur ? Et si les mêmes compétences sont acquises par l’étudiant, faut-il pénaliser le professeur, parce que l’institution a décidé de baisser le nombre d’heures de cours ? », se questionne Valérie Moatti, la doyenne.

Elle ajoute un autre point de questionnement, qu’Audencia a fait le choix d’exclure : le nombre d’élèves dans la classe. « Le travail n’est pas le même avec 15 ou 200 élèves. Nous appliquons déjà un système de coefficient, mais je voudrais remettre à plat ce sujet avec notre task force, pour comptabiliser différemment l’activité d’enseignement, selon le nombre d’étudiants et les modalités de réalisation des cours ».

Cela ne représente pas […] le temps passé par les professeurs

Elle n’est cependant pas certaine de se fonder sur les ECTS comme l’a fait Audencia. « C’est une voie de réflexion. Je ne sais pas si les ECTS permettent de vérifier l’apprentissage réel de l’étudiant. Ce système est sans doute plus pertinent que celui basé sur les heures de cours, mais cela ne représente pas forcément non plus le temps passé par les professeurs », s’interroge Valérie Moatti.

Elle pointe la question du mémoire de recherche, qui « pèse » 40 crédits. L’élève travaille, le professeur l’encadre, mais n’y passe pas autant de temps que sur un cours de 30 heures.

Là-dessus, Audencia a fait simple, en ne l’intégrant pas dans le plan de charge : les enseignants qui encadrent les mémoires ont des primes, idem pour l’encadrement des stages.

Un nouveau plan de charge pour 2021

« Nous réfléchissons avec nos professeurs, pour voir comment chacun évalue son implication », Alice Guilhon directrice générale de Skema business school - © D.R.
« Nous réfléchissons avec nos professeurs, pour voir comment chacun évalue son implication », Alice Guilhon directrice générale de Skema business school - © D.R.

Autre école, autre réflexion : Skema est aussi en pleine transition de sa charte des professeurs. « Nous avons décidé de ne plus travailler sur le nombre d’heures, qui ne veut plus rien dire, mais plutôt dans le cadre d’une approche par projet : pédagogique, institutionnel, direction de programmes… Nous réfléchissons avec nos professeurs, pour voir comment chacun évalue son implication. Nous nous donnons une année académique pour avancer sur le sujet et mettre en oeuvre le nouveau plan de charge à la rentrée 2021 », explique de son côté Alice Guilhon, directrice générale de l’établissement.

Une réflexion aussi accélérée par la crise du Covid. « Cette période l’a montré : les cours à distance sont très chronophages pour les professeurs, qui doivent faire face à 300 étudiants connectés. Ils doivent les coacher, s’assurer que tout le monde a bien compris… Nous avons dû accélérer nos réflexions durant la crise sanitaire et investir pour mettre en place tous les outils nécessaires ». Dans l’école, cette question du calcul du plan de charge des enseignants fera donc partie des chantiers de l’année.

« L’idée est de sortir du modèle actuel, qui est enfermant et frustrant », Valérie Fernandez, doyenne du corps professoral d’Excelia - © D.R.
« L’idée est de sortir du modèle actuel, qui est enfermant et frustrant », Valérie Fernandez, doyenne du corps professoral d’Excelia - © D.R.

Même calendrier du côté d'Excelia, à La Rochelle. Valérie Fernandes, la doyenne du corps professoral, pilote ce sujet et espère une mise en place à la rentrée 2021.

« L’idée est de sortir du modèle actuel, qui est à mon avis enfermant et frustrant, de l’heure de cours stricto-sensus en face à face pédagogique, pour s’adapter à toutes les différents typologies de cours existant aujourd’hui. La logique ECTS nous semble intéressante pour encourager les innovations pédagogiques. Ce qu’a fait Audencia nous inspire évidemment, l’idée est donc de remettre tout à plat et de ré-agencer les choses différemment », estime-t-elle.

Le groupe des doyens du Chapitre à la Conférence des grandes écoles devrait en tout cas en discuter à la rentrée, déclare Valérie Moatti, de l’ESCP :

« Il serait bon que l’on trouve un système partagé, car ce n’est pas un sujet concurrentiel Au contraire, nous pouvons mettre de l’intelligence collective au service de ces réflexions ».

Et les écoles d’ingénieurs et universités ?

Le public ne semble pas encore prêt à bouger sur le sujet : les établissements n’ont pas la main sur le sujet, le mouvement devrait venir de leurs tutelles, le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation en première ligne. Et les écoles d’ingénieurs privées sollicitées par nos soins n’ont pas souhaité donner suite à nos demandes sur cette thématique. Gageons que si la réforme fonctionne bien dans les business schools, les autres établissements s’y pencheront également.