Vie des campus

Les universités en première ligne pour « réparer la Terre »

Par Marine Dessaux | Le | Rse - développement durable

Transformer l’enseignement supérieur pour répondre aux enjeux de la transition écologique : une nécessité et une urgence, pointe l’entrepreneur Walter Bouvais, dont le leitmotiv est de « réparer la terre ». Une préoccupation qui commence à être au coeur de certaines stratégies dans le sup', à l’image du virage qu’essaie de prendre CY Cergy Paris Université. Feuille de route.

L’enseignement supérieur est porteur de solutions d’avenir par et pour les étudiants. - © CACP
L’enseignement supérieur est porteur de solutions d’avenir par et pour les étudiants. - © CACP

« Ici à Cergy Pontoise, comme dans de nombreux territoires du monde, nous avons relevé le défi d’une société “neutre en carbone” et résiliente. 

Walter Bouvais a fondé le magazine Terra Eco - © YouTube/TedX
Walter Bouvais a fondé le magazine Terra Eco - © YouTube/TedX

'Ne plus nuire’ est une évidence. “Réparer la Terre” est devenu le mojo de tous les ingénieurs et managers, une source d’innovations, un métier pour toutes et tous, et une fierté pour les habitants. (…)

Nous sommes en mars 2049. Il y a eu les années 20, que je n’ai presque pas connues et la Première Grande pandémie. Les années Trente, et le développement de l’économie régénérative.  

Je m’appelle Anna. Je suis née en 2025. J’ai 23 ans. Je suis designeure, mes amis sont juristes, entrepreneurs, biologistes. Et ma raison d’être, comme tant d’autres jeunes diplômés, c’est de réparer la Terre. »

C’est ainsi que Walter Bouvais imagine l’avenir, à l’occasion d’une conférence célébrant les 30 ans de CY Cergy Paris Université, le 2 décembre 2021. Le fondateur d’OpenLande, qui accompagne les porteurs de projets en reconversion professionnelle souhaitant exercer « des métiers tournés vers les enjeux de transition écologique », partage  un texte fort , rédigé à la fois pour alerter et imaginer des solutions aux impacts du réchauffement climatique.

Après de nombreux questionnements lors de la construction de CY Cergy Paris Université et alors qu’elle vient d’obtenir 20,8 millions d’euros dans le cadre de l’appel à projets ‘Excellences’ dédié à une transition écologique et sociale, la communauté enseignante, étudiante et des personnels de l'établissement est bien décidée à s’attaquer à la révolution de la transition écologique !

Les étudiants au cœur des enjeux de transformation

Au sein de l’enseignement supérieur, les étudiants sont moteurs sur les enjeux de développement durable, comme le confirme la consultation nationale étudiante réalisée en 2020 par le Réseau étudiant pour une société écologique et solidaire (Reses), ex-Refedd. Cette dernière révèle en effet que 85 % d’entre eux sont inquiets, voire angoissés, vis-à-vis de l’avenir au regard du changement climatique.

Anaïs Darenes est responsable projet du Reses - © Dailymotion
Anaïs Darenes est responsable projet du Reses - © Dailymotion

Lors d’une plus récente enquête post-Covid intitulée « La rentrée d’après », réalisée en concertation avec plusieurs associations étudiantes dont Animafac, on apprend par ailleurs que « les étudiants commencent à douter du système démocratique actuel, et se sentent comme une génération sacrifiée » », rapporte Anaïs Darenes, responsable projet du Reses.

La question qui se pose alors : comment donner les moyens à ses étudiants qui veulent agir et participer aux prises de décisions qui se font parfois pour eux mais sans eux ?

Une implication dans la prise de décision

Une des pistes de réponse à CY Cergy Paris Université est d’établir un Parlement étudiant, à l’image de celui qui existe dans l’Est parisien à l’Université Gustave Eiffel :  « Nous avons un groupe de travail où sont impliqués étudiants, enseignants et personnels, rapporte Louis L’Haridon, vice-président étudiant de l’établissement. Nous voulons créer un nouvel espace démocratique à CY. Le fait d’impliquer des jeunes dans la gouvernance : on ne peut plus le faire via les anciens outils car les étudiants votent peu. Le projet de Parlement étudiant vise à les réimpliquer dans la vie démocratique. »

« Comme dans tout système de gouvernance, il faut que le futur ait sa place », acquiesce Walter Bouvais. Il suggère des pistes pour l’université de demain, qui rejoignent les recommandations du rapport Jouzel :

  • Ajouter dans toutes les maquettes pédagogiques un socle commun qui traitera des sujets de climat et de biodiversité ;
  • Mettre en place des « labs », des espaces de créativité, où seraient accompagnés des projets en faveur de la transition écologique « qui peuvent préfigurer ce que les étudiants feront de leur avenir professionnel ».

En résumé, contre l’angoisse, « l’action est le meilleur remède », souligne Walter Bouvais.

Dans l’enseignement supérieur, imaginer la société de demain…

En tant que service public, c’est l’université tout entière qui est amenée à repenser son rôle dans la société. « Une université que se positionne sur l’ère de l’anthropocène a un rôle important à jouer comme laboratoire de cette démocratie, de citoyenneté », défend François Taddei, directeur du Centre de recherches interdisciplinaires (le CRI Paris rattaché à l’Université Paris Descartes et partenaire de CY), directeur de recherche à l’Inserm.

François Taddei est également enseignant-chercheur - © LM - NTE
François Taddei est également enseignant-chercheur - © LM - NTE

Transformer l’université en une fabrique de solutions et d’encapacitation* : c’est la mission de Magali Jaouen, vice-présidente déléguée à la politique de site à CY Cergy Paris Université. « J’établis une feuille de route sur la transition. Il s’agit de s’accorder sur des objectifs et des valeurs qui mettent l’humain au centre. Cela servira de socle pour élaborer un plan d’action », détaille-t-elle.

Lauréat du quatrième Programme investissement avenir (PIA 4), avec son projet CY Générations, l’établissement ambitionne d’inclure le développement durable dans toutes les formations et dans son fonctionnement. « C’est un projet qui va véritablement nous permettre de nous transformer avec l’idée de répondre à l’alerte des nouvelles générations qui sont en quête de sens, qui souhaitent être formées aux enjeux de la transformation », indique Magali Jaouen. Et cela notamment via le développement de tiers lieux pour designer ces évolutions.

…Embarquer les enseignants…

Au cœur des établissements d’enseignement supérieur, les enseignants sont particulièrement concernés par cette révolution qui doit également s’opérer dans la construction des cours.

« Il faut trouver des leviers pour permettre aux enseignants-chercheurs de s’approprier ces enjeux, inspirer, susciter l’engagement et l’envie, accompagner véritablement les enseignants en pensant qu’il faut former les formateurs », détaille Magalie Jaouen.

Pour cela, des groupes de travail pour réfléchir aux freins et aux leviers pour accompagner les enseignants, mais aussi pour mettre en relation les différentes parties prenantes de cette transformation, sont autant de pistes à explorer.

La vice-présidente déléguée rappelle néanmoins : « Tout le monde doit être conscient des réalités de terrain des enseignants-chercheurs qui ont déjà du mal à trouver le bon dosage pour faire recherche et enseignement et qui doivent en plus dégager du temps pour trouver les moyens de se former ».

…Et (ré)inventer les métiers

Armelle Weisman est directrice opérationnelle du Campus de Versailles - © D.R.
Armelle Weisman est directrice opérationnelle du Campus de Versailles - © D.R.

L’écologie, ce n’est pas seulement de nouvelles idées mais également de la pratique, du concret. Et cela fait aussi parti de l’enseignement supérieur, notamment au sein du Campus de Versailles, dédié aux métiers d’artisanat et du patrimoine et lié à CY.

« On ne parle pas beaucoup, on ne propose pas de concepts, on fait, on fabrique, explique Armelle Weisman, directrice opérationnelle de ce campus des métiers et des qualifications. Il faut mettre au cœur des sujets de demain le savoir manuel. Recréer des formations sur des métiers qu’on connait mal, des savoir-faire perdus. »

Car beaucoup de ces compétences, qui fonctionnent sans électricité, sont également économes en énergie ou permettent de restaurer, et donc de limiter le gaspillage.

20h de formation sur les enjeux climatiques pour les futurs managers à l’Essec

« Nous sommes conscients de la responsabilité fondamentale qu’on a de préparer nos étudiants à être contributeurs de ces solutions qu’il va falloir inventer pour réparer le monde », souligne Anne-Claire Pache, directrice engagement sociétal de l’Essec, établissement partenaire de CY Cergy Paris Université.

L'école de commerce a ainsi repensé ses maquettes pour « permettre à chaque étudiant d’acquérir un minimum de connaissances sur les grands enjeux environnementaux et sociétaux ». Un socle commun sur les enjeux climatiques d’une durée de 20h par an, auquel s’ajoute 20h sur les enjeux sociaux d’aujourd’hui.

« 75 % de l’impact [de l’Homme sur l’environnement] vient des organisations. En tant qu'école de management, nos élèves seront amenés à gérer des organisations, des entreprises… C’est pourquoi nous nous sommes engagés dans une transformation complète pour modifier radicalement nos enseignements afin de répondre à ces enjeux », détaille-t-elle.

La Cop2 étudiante, un engagement symbolique

Bâtir une université plus humaine et mettant les enjeux de protection de la planète au cœur de sa stratégie : tel est l’ambition du président de CY Cergy Paris Université, François Germinet. «  Une université pour et par les nouvelles générations qui se traduit par notre engagement dans la Cop2 étudiante [une liste de 179 mesures en faveur du développement durable, NDLR] », inscrit-il comme vision pour l’avenir.

Comme l'évoque l’ampleur de ces objectifs, il reste à l’enseignement supérieur de nombreuses marches à gravir.

« Tout ce qu’on a fait jusqu’à maintenant, ce n’est rien à côté de ce qui nous reste à faire pour les prochaines générations. C’est maintenant, ça va être passionnant, mais exigeant », conclut François Germinet.

*De l’anglais empowerement.