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À la rencontre de chercheurs réfugiés en France et de leurs accueillants

Par Marine Dessaux | Le | Management

Campus Matin vous a déjà parlé de ces scientifiques en danger qui ont trouvé refuge en France, où ils intègrent une nouvelle université, un nouveau laboratoire et parfois une nouvelle discipline, grâce au programme national d’accueil en urgence, Pause.

Mais comment l’intégration, par l’université, les collègues et la communauté scientifique française, se passe-t-elle ? Nous nous sommes rendus dans deux établissements pour rencontrer les personnes qui vivent cet accueil, au quotidien.

Haji Shallal est doctorant et lauréat Pause, réchappé du génocide des Yézidis - © Marine Dessaux
Haji Shallal est doctorant et lauréat Pause, réchappé du génocide des Yézidis - © Marine Dessaux

C’est au sein de l’Université de Bordeaux, sur le campus de Pessac, que travaille Haji Shallal. Chaque jour, le doctorant bénéficiaire du programme Pause prend le tram pour arriver sur ce terrain aux bâtiments éparpillés et dont les longues routes s’étendent à l’horizon.

Plat typique irakien - © Marine Dessaux
Plat typique irakien - © Marine Dessaux

En France comme en Irak, son pays d’origine qu’il a dû fuir, le père de famille ne se départit pas de son sens de l’accueil. Le jour de notre rencontre, c’est avec un chariot plein de nourriture fait maison qu’il nous reçoit. Une casserole remplie de riz biryani, un plat de viande marinée, une salade de légumes bien fraîche, du pain oriental fait maison… Il y a de quoi nourrir tout l’étage ! Et le contexte est parfait pour faire connaissance. 

Également scientifique en danger, nous rencontrons Elias*, dans un établissement que nous ne citerons pas afin de préserver son anonymat. Au sein de son laboratoire, le chercheur collabore au quotidien avec ses collègues universitaires et a toute sa place dans la vie de cette communauté scientifique.

Discret et souhaitant éviter les remous - car la Chine nie l’existence des camps ouïghours et certains de ses ressortissants défendent farouchement ce discours - Elias a accepté de témoigner pour partager son expérience.

Par ailleurs, eux aussi présents, les encadrants d’Haji et ceux d’Elias témoignent de la richesse de l’accueil, la force de cette expérience humaine. 

Une histoire personnelle qui bascule

Haji, forcé de vivre en camp de réfugiés pendant cinq ans pour fuir Daech

C’est en 2014 que la vie de Haji bascule. Après la prise de Mossoul par Daech et la proclamation du califat fin juin, les Yézidis, une minorité religieuse du Sinjar, une région au nord de l’Irak, sont obligés de fuir pour éviter les massacres. Celui qui est alors vice-doyen de l’Institut technique de Shingal et sa famille se réfugient dans la montagne et vivent dans un camp pendant cinq ans.

Sa fuite, l’abandon de sa maison et de sa vie, lui laissent un souvenir qui continue de le marquer au quotidien. « Je ne peux pas oublier, je repense à ma maison et mon champ, sur lequel je me rendais tous les jours. Mon père était fermier sur ces terres et j’y repense souvent… Lorsqu’il a fallu fuir, nous n’avions rien. Nous avons effectué ce long voyage, fini à pied, avec très peu d’eau. Quand ma plus petite fille, qui avait cinq ans, demandait de l’eau, je devais me contenter de remplir un bouchon de bouteille pour lui en donner… », raconte-t-il avec émotion.

« Ma famille et moi n’oublierons jamais le jour où nous avons reçu le mail d’Amaryllis Quezada, pour nous dire que nous remplissions les critères d’admission du Programme Pause », poursuit Haji qui espère, aujourd’hui encore, pouvoir rencontrer et remercier la coordinatrice du programme au Collège de France, qui a été son premier contact avec la France.

Ce premier mail, pourtant, n’est que le début de sa démarche pour venir et travailler dans l’Hexagone : Pause n’émet qu’un avis favorable, il revient au candidat de trouver une université d’accueil et un encadrant scientifique, qui accompagne le lauréat dans son projet de recherche et plus généralement dans son intégration au sein de la communauté scientifique.

« Après avoir cherché un encadrant et un établissement d’accueil pendant quatre mois sans réponse positive, j’ai demandé de l’aide à Madame Quezada », explique Haji.

C’est l’Université de Bordeaux qui prend finalement contact avec le programme, ayant repéré le profil d’Haji parmi d’autres, recensés par Pause. Avec sa famille, il réalise les entretiens pour recevoir l’asile politique fin 2020. Tous l’obtiennent début 2021 pour une durée de dix ans, rapporte-t-il.

Elias, un retour en Chine risqué en tant qu’Ouïghour

Il n’a plus de contact avec ses proches

Le parcours d’Elias, lui, diffère sur plusieurs points. En effet, s’il est en sécurité en France, Elias est contraint de garder secrète son identité car sa famille, elle, risque la prison. Réfugié ouïghour, il est considéré comme un traître par le gouvernement chinois pour avoir demandé ce statut.

Aujourd’hui, il n’a plus de contact avec ses proches qui, pour certains, ont été emprisonnés après avoir transgressé l’une des nombreuses nouvelles interdictions à destination de ces musulmans de la région du Xinjiang (de voyager dans certains pays, d’utiliser certaines applications, de contacter des proches à l’étranger…).

Le père de famille était déjà en France lorsqu’il a vu les conditions de vie des Ouïghours se dégrader soudainement. En tant que chercheur à l’étranger, il n’était pas serein à l’idée de retourner chez lui. C’est finalement au dernier moment qu’il décide de rester et de demander l’asile. « Cela s’est fait rapidement », confirme un de ses collègues, aujourd’hui un de ses encadrants scientifiques, que nous appellerons Georges**. C’est lui qui tombe par la suite sur un mail qui présente Pause et propose de soumettre la candidature d’Elias : « J’avais déjà entendu parler du programme, mais c’est suite à ce mail que nous avons envisagé cette opportunité ».  

Des profils sélectionnés en fonction des besoins du laboratoire

Connaître des chercheurs en France a été précieux pour Elias, qui a ainsi pu continuer ses recherches sur son champ d’expertise. Il a pu bénéficier de Pause grâce à ses collègues qui se sont arrangés pour réunir des fonds.

« Pause ne finance qu’à 60 % le salaire de ses lauréats, cela a été très compliqué de trouver de l’argent sur un budget de recherche dont les dépenses sont calculées très précisément. Il a fallu faire des efforts du côté du laboratoire pour allouer une certaine somme au salaire d’Elias et c’est l’université qui a payé le reste », indique Georges.

Si les encadrant d’Elias se sont mobilisés pour lui venir en aide, son apport au sein du laboratoire n’en est pas moins important. Le travail de lauréat est complètement intégré au projet de recherche et un véritable plus pour son avancement, à un poste qui n’aurait autrement pas obtenu le budget nécessaire pour être créé.

Un point similaire dans le cas d’Haji : le doctorant a été repéré parce que son profil collait à un projet de recherche en réflexion, mais qui n’avait pas encore de budget. Le programme a donc été l’opportunité de dédier une thèse à un sujet qui aurait autrement été plus long à traiter.

« Nous avons candidaté à Pause, comme nous aurions candidaté à n’importe quel appel à projets, sans a priori politique. En tant que doctorant plus senior, il est parfois plus difficile pour lui de s’approprier les outils numériques, mais son analyse est, elle, très pertinente à l’aune de son expérience d’ingénieur environnement », rapporte Régis Pommier, directeur de thèse d’Haji et enseignant-chercheur du département génie civil et environnemental de l’Université de Bordeaux.

Un des challenges pour les lauréats : maîtriser le Français… comme l’anglais

Un challenge de plus pour les scientifiques en exil dans cette situation : l’acquisition de nouvelles langues. Ayant passé tous ses diplômes en arabe, Haji ne maîtrise pas le français ni totalement l’anglais. Aujourd’hui, il suit des cours de français, trois fois par semaine. « Mais ce dont j’ai besoin maintenant, ce sont des cours d’anglais, indispensables pour la rédaction de papiers qui seront publiés à l’international », explique-t-il. Si Pause ne prévoit pas à proprement parler de formation en anglais, elle met à disposition des lauréats des crédits de formation.

Intégration à l’université très entourée

Haji Shallal et son directeur de thèse, Régis Pommier - © Marine Dessaux
Haji Shallal et son directeur de thèse, Régis Pommier - © Marine Dessaux

« Nous avons été très bien accueillis par l’équipe de l’université, mais aussi des particuliers volontaires, rapporte Haji. À notre arrivée à Bordeaux, mes directeurs de thèse, Régis Pommier, de l’Institut de mécanique et d’ingénieurie, et Guido Sonneman de l’Institut des sciences moléculaires (ISM), étaient notamment présents. Deux membres d’une association nous également ont épaulés. Ce sont eux qui m’ont aidé avec tout ce qui est lié au quotidien, comme l’ouverture d’un compte bancaire. Pour tout ce qui est administratif et lié à l’université, Nicolas Meadeb, responsable du bureau d’accueil des chercheurs internationaux, a été très présent. Je suis également en contact avec Jennifer Borde, ingénieure mobilité scientifique au sein des relations internationales et l'équipe de l’ISM, pour tout ce qui est en lien avec Pause. »

En effet, à son arrivée à Bordeaux, un logement est mis à la disposition du lauréat Pause pendant trois mois. Difficile par la suite pour la grande famille, qui compte encore cinq enfants au sein du foyer, de trouver un nouveau logement.

Antoine Daruvar, vice-président des affaires institutionnelles, propose alors à la famille de passer l’été chez lui. Aujourd’hui encore, solidaire, il héberge les deux plus grands enfants de la fratrie encore à charge parentale.

Une situation qui n’est pas idéale, mais qui permet à la famille de se loger alors qu’elle ne vit que du salaire d’Haji et d’aides de la CAF.

« Je sais que Pause ne durera pas éternellement, alors j’aimerais trouver un travail pour cet été. Ma femme également aimerait trouver un emploi. Nous ne voulons pas dépendre des aides de l’État. »

Une collaboration qui demande des ajustements, d’un côté comme de l’autre

« C’est étonnant à quel point, dans nos échanges professionnels, nous nous rejoignons sur des choses importantes - sur notre façon de voir la vie - mais à quel point, parfois, on ne se comprend pas sur des choses qui paraissent évidentes », décrit Régis Pommier.

« Cette rencontre m’a permis de me sentir mieux dans mon travail, poursuit l’enseignant-chercheur. De rencontrer des gens exceptionnels et très humains, ce qui fait du bien à voir dans un monde ultra compétitif. Comme le dit La légende du colibri de Pierre Rabhi, qui essaie d’arrêter un incendie, en remplissant son bec d’eau et à qui on dit que cela ne suffira pas : “Je sais, mais je fais ma part“. »

La covid, un frein malgré tout

Pourtant à proximité de la salle de pause commune, Haji prend ses déjeuners dans son bureau. Pas parce qu’il souffre d’agoraphobie ou d’une forme de paranoïa, comme l’a vécu un autre lauréat Pause, qui craignait pour sa vie les premiers mois de son arrivée en France. Non, au contraire, « plus il y a de monde, plus je suis heureux, cela m’aide à ne pas penser », dit-il à Campus Matin. En réalité, c’est la crise sanitaire qui l’incite à garder ses distances, dans le cadre professionnel comme ailleurs.

Si Haji est néanmoins entouré, par plusieurs bénévoles, dans et en dehors du cadre professionnel, les rencontres se font plus rares à cause de la Covid.

« Avec la pandémie, il est difficile de rencontrer des gens. Cela a également impacté mes recherches lorsqu’il a fallu travailler à la maison », témoigne-t-il.

Un avenir à construire

Aujourd’hui, Haji comme Elias expriment leur désir de rester en France et retrouver une forme de stabilité professionnelle. Un challenge supplémentaire dans un monde académique où le niveau est très élevé et les critères exigent de nombreuses publications et laisse peu de place aux profils atypiques.« Si je ne trouve pas de travail en tant que scientifique, j’aimerais pouvoir acheter un champ et travailler la terre », confie Haji.

Pour tous deux, leur souhait le plus cher pour l’avenir ne relève pas du professionnel : « J’aimerais que la famille de mon frère puisse nous rejoindre », dit Haji. Elias, lui, espère avant tout avoir des nouvelles de ses proches qui ne peuvent plus le contacter depuis plusieurs années déjà.

Établissements, chercheurs : portez-vous volontaires !

Si votre établissement souhaite se porter volontaire pour accueillir un scientifique en danger Pause peut vous mettre en relation avec l’un des chercheurs ayant candidaté directement au programme. Et si vous êtes un chercheur à la recherche d’un profil spécifique pour un projet à lancer au sein de votre laboratoire, vous pouvez également consulter les profils sur l’espace de mise en relation dédié.

Si l’un d’eux vous intéresse et/ou si vous souhaitez faire partie des établissements volontaires, merci de contacter directement l'équipe Pause à l’adresse pause@college-de-france.fr.

*Son prénom a été changé.

**Deux des directeurs de thèse d’Elias ont accepté de nous recevoir mais, afin que ce dernier ne puisse être identifié, nous ne mentionnerons pas leur nom.