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L’égalité femmes-hommes dans la recherche à l’épreuve du confinement

Par Marine Dessaux | Le | Personnels et statuts

La place des femmes dans la recherche devient une priorité politique : le CNRS dispose d’une mission pour l’égalité et a fait évoluer sa doctrine sur les promotions ; récemment l’Agence nationale pour la recherche s’est dotée d’un plan d’action complet.

Des mesures d’autant plus bienvenues que les données disponibles font l’état d’une importante disparité qui s’est développée entre les sexes pendant le confinement. Campus Matin fait le point sur la situation et les solutions possibles.

L’égalité femmes-hommes dans la recherche à l’épreuve du confinement
L’égalité femmes-hommes dans la recherche à l’épreuve du confinement

« Le confinement représente une charge plus lourde pour les femmes » - © CNRS
« Le confinement représente une charge plus lourde pour les femmes » - © CNRS

« Nous pensons qu’il y a de possibles risques d’accroissement des inégalités femmes-hommes du fait de [la] crise ». Directrice de la Mission pour la place des femmes (MPDF) au CNRS, Élisabeth Kohler tirait la sonnette d’alarme le 12 juin dernier dans un entretien accordé à News Tank* (abonnés).

La MPDF, mais aussi la Conférence permanente égalité diversité (CPED) dans une lettre aux présidents d’université, appellent à la vigilance quant à l’égalité homme/femme dans les recrutements et promotions en 2020.

« Nous avons eu des témoignages de chercheuses qui montrent les difficultés qu’elles peuvent rencontrer. Cela concerne aussi les hommes, tout dépend des configurations familiales, mais majoritairement cela représente une charge plus lourde pour les femmes », prévient Élisabeth Kohler.

Une crise qui bouleverse les acquis

De premiers chiffres, évidemment encore provisoires et à affiner, dessinent une tendance inquiétante :

Une étude menée par Megan Frederickson, chercheuse à l’université de Toronto, montre que sur les mois de mars et avril 2020, les pré-publications sur le site ArXiv, ont fait un bond de +6.4 % par rapport à 2019 pour les hommes, contre seulement +2.7 % pour les femmes.

Sur BioRxiv, une archive de dépôt de préprints dédié aux sciences biologiques, où la parité est presque atteinte les femmes publient 24 % de plus que l’année passée et les hommes 27 %.

Les femmes plus chargées du foyer

Des études sur la population générale montrent que, pendant le confinement, les tâches ménagères et la garde des enfants ont davantage pesé sur les femmes.

D’après l’enquête Coconel de l’Ined, les femmes ont été 39 % à devoir télétravailler dans une pièce partagée contre 24 % des hommes. En outre, pour près de la moitié des mères qui ont continué à travailler (et un quart des pères) quatre heures supplémentaires par jour ont été consacrées à s’occuper des enfants.

Une étude de l’Insee, révèle aussi que les mères ont deux fois plus souvent que les pères renoncé à travailler pour garder leurs enfants (21 % contre 12 %). 

À l’écran, les hommes tiennent le micro

En période de coronavirus, la parole d’autorité dans l’information à la télé est restée largement masculine, relève une étude de l'Institut national de l’audiovisuel (Ina) publiée le 23 juin dernier.

Pendant la crise, les professionnels de la santé ont compté parmi les plus invités à s’exprimer (29.8 %). A l’exception des journalistes, près de trois quarts (70 %) des intervenants avaient une autorité forte (experts scientifiques, médicaux…). Les femmes apparaissent largement minoritaires (28 %). Elles sont moins souvent que les hommes interrogées pour leur expertise (77 % des hommes ont un statut d’autorité contre 55 % des femmes).

On voit donc moins souvent les femmes dans un rôle de chercheuses, scientifiques ou médecins que les hommes. Ce qui contribue à développer des biais et stéréotypes.

Un contexte de parité qui peine à s’améliorer

Aujourd’hui, en France, la part des femmes de 25 à 34 ans diplômées de l’enseignement supérieur est 10 points supérieure à celle des hommes. Et pourtant, dans la recherche, elles ne représentent que 28 % des actifs (chiffres 2018 du Mesri). Si elles se défendent bien dans le public, particulièrement comme maîtresses de conférences (45 % - voir les chiffres clés du Mesri 2020 ), le plafond de verre reste difficile à briser pour les professeures d’université (26 %) et pour les présidentes d’établissements (14 %) et d’organismes de recherche.

Dans l’introduction des chiffres clés de l’égalité hommes-femmes 2020, le constat est fait d’une part de femmes qui décroit avec l’avancée de la carrière. La ministre Frédérique Vidal écrit : 

« Il y a là des phénomènes d’autocensure ou des freins que les données de cette publication suggèrent, et contre lesquels l’action publique ne peut probablement suffire ».

Des réponses qui se précisent

Le CNRS en fait une priorité

Le CNRS, notamment, a créé un comité parité-égalité en 2018 qui complète la Mission pour la place des femmes. Antoine Petit, P-DG de l’organisme, a notamment décidé la promotion, non pas d’une proportion de femmes égale à la proportion de candidates, mais d’une proportion de femmes au moins égale à la proportion de femmes dans le vivier.

Le 12 juin 2019, à l’occasion des 80 ans du CNRS, il regrettait « une autocensure chez les femmes qui est sans commune mesure avec ce qu’elle est chez les hommes ». Un réflexe culturel qui, couplé à la surcharge d’activité des femmes pendant le confinement, pourrait contribuer à freiner les chercheuses dans l’avancée de leur carrière.

Un plan d’action à l’ANR

L'Agence nationale pour la recherche (ANR) juge également la situation sérieuse et vient d’annoncer un plan d’action « afin d’inscrire durablement l’égalité entre les femmes et les hommes dans la culture de l’Agence ». Ce dernier porte sur la période 2020-2023 et s’organise autour de trois grands domaines : la culture et l’organisation, la gestion des ressources humaines et le financement de la recherche.

Déconstruire les stéréotypes masculins

« Il faut chausser les lunettes de l’égalité » - © D.R.
« Il faut chausser les lunettes de l’égalité » - © D.R.

« La prise de conscience des déséquilibres, des biais et des stéréotypes est la première façon d’avancer sur ce qui est invisible, au-delà des chiffres qui permettent d’avoir des indicateurs », affirme Carole Chapin, chargée de projet R&D et consultante chez Adoc Mètis, à l’occasion d’un webinaire sur la place des femmes dans la science par News Tank*.

La gouvernance et la direction d’équipe sont souvent associées à des stéréotypes masculins, qui doivent être déconstruits pour que les femmes puissent accéder à ces postes. Pour cela, Carole Chapin explique qu’il faut insister former des dirigeants d’équipes, d’unité, des chefs de projet, vérifier que l’on n’encourage pas les femmes plutôt que les hommes.

« Il faut avoir le réflexe de regarder les statistiques homme/femme en permanence. Il faut chausser les lunettes de l’égalité et toujours regarder si une action, qui semble anodine, ne pourrait pas avoir des effets délétères sur l’égalité professionnelle », conclut-elle

Davantage de femmes dirigeantes

« L’Afdesri met en lumière certains chiffres (très peu de femmes dirigeantes d’universités, par exemple), et propose des actions de communication, coaching, informations pour inciter les femmes à aller vers les postes de direction », dit Brigitte Plateau, présidente de l’association Talents du numérique, et co-créatrice de l’Association pour les femmes dirigeantes de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (Afdesri), au cours du même webinaire. 

Si un discours et des actions positives sont nécessaires, la pratique est tout aussi primordiale.

« A l’Université Paris-Saclay, nous avons une présidente et une équipe presque paritaire. Nous avons des actions d’accompagnement personnalisé pour les femmes pour la préparation de leur avenir, avec l’association Femmes & Sciences », complète Sylvie Pommier, vice-présidente chargée du doctorat.

Des quotas pour faire bouger les chiffres ?

« Dans tous les pays où il y a des quotas, les situations progressent, contrairement aux pays où il n’y en a pas », souligne Brigitte Plateau. Cependant, une solution de quotas ne peut être mise en place que dans une institution réglementée. « C’est beaucoup plus difficile à faire dans un milieu de travail », précise-t-elle.

La loi pour la recherche : à surveiller ! 

« Il faut continuer à lutter pour la place des femmes » - © Seb Lascoux
« Il faut continuer à lutter pour la place des femmes » - © Seb Lascoux

La très controversée LPPR (rebaptisée LPR : loi de programmation de la recherche) s’apprête à instaurer de nouvelles formes de contractualisation dans la recherche. « La question de l’égalité hommes-femmes ne peut pas être grande absente, elle doit être prise à bras le corps », alerte Carole Chapin.

Pour Brigitte Plateau, « il est encore un peu tôt pour se prononcer sur la “tenure track“ [pré-titularisation conditionnelle que prévoit de créer la LPR], mais si le dispositif est mal utilisé, cela pourrait être catastrophique. Il faut continuer à lutter pour la place des femmes : le sort des jeunes dans la recherche doit être meilleur ».

« Il faut veiller à ce que les femmes ne soient pas majoritairement concernées par les CDI de mission, les postes moins stables que les postes de titulaires, ou par les séjours de recherche financés par des bourses », résume Sylvie Pommier.

* News Tank higher ed and research est l’agence d’information spécialisée qui édite Campus Matin.