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Comment le CNRS prend à bras-le-corps la question de l’égalité femmes-hommes

Par Catherine Piraud-Rouet | Le | Rse - développement durable

Depuis la fin 2018, sous l’impulsion de son P-DG Antoine Petit, le Centre national de la recherche scientifique mène une politique volontariste d’égalité professionnelle femmes/hommes en son sein. Pour cela, il s’est doté d’un arsenal organisationnel complet, menant un travail de fond sur l’ensemble des aspects de la question.

Le CNRS est le premier organisme de recherche français à défendre la parité - © CPU-Université de Haute-Alsace
Le CNRS est le premier organisme de recherche français à défendre la parité - © CPU-Université de Haute-Alsace

Pour que 50 % des chercheurs soient un jour des chercheuses, depuis vingt ans, le CNRS multiplie les initiatives pour promouvoir l’égalité et la parité en son sein. Dès 2001 est créée la Mission pour la place des femmes (MPDF), première structure du genre au sein d’un établissement de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Une Mission pour la place des femmes très active

« La MPDF comprend aujourd’hui quatre personnes et anime, depuis 2015, un réseau d’une vingtaine de correspondants égalité dans toutes les délégations régionales », précise Élisabeth Kohler, sa directrice. Cet « observatoire » impulse, conseille et évalue la prise en compte du genre dans la politique globale de l’établissement.

Depuis 2016, la Mission publie, en prolongement de son Bilan social et parité, un rapport de situation comparée entre les femmes et les hommes au CNRS. La MPDF a aussi pour mission de valoriser les recherches intégrant une dimension « genre ».

« En amont, nous essayons d’attirer davantage de jeunes filles vers les métiers scientifiques, grâce à des actions de communication et de sensibilisation, organisées notamment en partenariat avec des associations comme Femmes et Sciences », complète Élisabeth Kohler.

Plan d’action pour l’égalité depuis 2014

En mars 2014, le CNRS est le premier organisme de recherche français à mettre en place un plan d’action en matière de parité femmes/hommes, sur le modèle de ce qui existait déjà dans les pays nordiques. Ce premier plan d‘action était presque exclusivement dirigé en direction des chercheuses. Ce type de dispositif est devenu une obligation légale dans le cadre de la loi de transformation de la fonction publique.

« Notre dernier plan d’action pour l’égalité (2021-2023) concerne toutes les fonctions (chercheurs, administratifs, ingénieurs, techniciens…) et tous les niveaux de carrière, y compris les CDD, ajoute Élisabeth Kohler. Avec une implication de tous les instituts, toutes les délégations régionales, jusqu’aux unités. »

Il est divisé en cinq axes :

  • Évaluation, prévention et traitement des écarts de rémunération ;
  • Garantie de l’égal accès des femmes et des hommes aux corps, grades et emplois ;
  • Articulation entre vie professionnelle et vie personnelle et familiale ;
  • Lutte contre les violences sexuelles et sexistes, les harcèlements et les discriminations ;
  • Gouvernance, pilotage et suivi de la politique d’égalité professionnelle.

Politique volontariste, portée par la gouvernance

L’objectif, porté par la gouvernance, sous l’impulsion du P-DG Antoine Petit, en place depuis janvier 2018 : créer une vraie émulation et un vrai suivi, afin que tous les agents s’approprient cette culture de l’égalité.

Son levier : la création d’un comité parité-égalité, composé de 18 membres (neuf femmes et neuf hommes) aux profils variés, dont 15 nommés par les directeurs des instituts du CNRS, ainsi que le DRH et deux représentants de la MPDF. Son but, formalisé dans une lettre de cadrage en date d’octobre 2018 : formuler des recommandations, soumises au collège de direction.

Travail en réseau, au niveau national et européen

Les actions de la MPDF se font souvent en coordination avec d’autres établissements de l’enseignement supérieur et de la recherche français et européens.

Elisabeth Kohler est directrice de la MDPF - © D.R.
Elisabeth Kohler est directrice de la MDPF - © D.R.

« Le CNRS ne fait pas directement partie de la CPED (Conférence permanente égalité diversité), note Élisabeth Kohler. Toutefois, nous travaillons en partenariat étroit avec eux. Nous avons aussi des réunions régulières avec nos homologues dans différentes structures de recherche, notamment dans le cadre de la nouvelle obligation des plans d’action, au niveau des unités mixtes, qui ont plusieurs tutelles. »

Par ailleurs, dans le cadre du programme H2020, la MPDF est engagée dans trois projets européens en lien avec cette thématique. Elle coordonne un important projet « Gender-Net Plus », qui intègre la dimension du genre dans la recherche. Elle est également membre de GE-Academy, qui vise à développer des formations d’excellence en matière d’égalité femmes/hommes dans les institutions de recherche et d’enseignement supérieur en Europe et de Gender STI, visant à favoriser la prise en compte de politiques d’égalité dans des accords de coopération scientifiques internationaux.

Travail mené sur les biais de ségrégation implicites

Un objectif louable, mais qui se heurte encore à toute une série de biais implicites, souvent inconscients, et qui limite toujours la promotion des femmes au sein de l’organisme. « Si 34 % des chercheurs sont des chercheuses, les femmes ne représentent encore que 22,8 % des directeurs de recherche (DR) de classe exceptionnelle, le plus haut grade, qu’on obtient par promotions successives », pointe Alessandra Quadrelli. Cette chercheuse en chimie, au CNRS depuis 2002, y mène un groupe de réflexion de huit personnes sur les critères d’évaluation et de promotion des chercheurs.

« Fin 2018, nous nous sommes autosaisies de l’injonction du PDG, comme si c’était une lettre de mission, car il nous semblait indispensable de coupler cette attention à la parité avec une exigence d’équité, explique-t-elle. Nos travaux visent à identifier et dépasser ces biais implicites qui nuisent à une évaluation de qualité et peuvent produire de la ségrégation, en épluchant l’ensemble des critères des instances de décision en matière d’évaluation et de promotion des chercheurs. »

Élargissement des critères d’évaluation et de promotion

Alessandra Quadrelli est à la tête d’un groupe de réflexion sur la parité au CNRS - © D.R.
Alessandra Quadrelli est à la tête d’un groupe de réflexion sur la parité au CNRS - © D.R.

Le groupe s’est ainsi penché, par exemple, sur un point sensible dans la carrière au CNRS : le passage de chargé de recherche (CR) au corps des directeurs de recherche (DR). « L’évaluation telle que nous la connaissions s’intéresse à l’exercice de tâches d’intérêt collectif. Or, sur les 427 critères affichés, 75 % s’intéressent à l’existence de la fonction et non pas à la manière dont cette fonction est exercée, témoigne Alessandra Quadrelli. »

« Certains critères, comme celui de la diffusion des connaissances, par exemple, ne sont pas vécus de la même façon selon les charges familiales, ce qui pénalise pour l’instant en moyenne plus les femmes si l’on ne prend en compte que la participation aux congrès. Cela nous a conduits à élargir ces critères d’évaluation à d’autres formes :  la capacité à favoriser la participation de personnes dans son entourage direct (étudiants, collègues…), la création d’archives ou de moments collectifs d’échanges, qui n’impliquent pas ces déplacements », ajoute-t-elle.

Un travail chronophage qu’elle espère être pérennisé et qui va faire l’objet d’un rapport remis à la direction. Les critères revus, considérés favorablement par 17 sections du CNRS sur 46, ont déjà été adoptés par une section pour le concours 2021 et pour la prochaine session.

« Ils pourront aussi être utilisés pour les travailleurs en situation de handicap, pour contrer des discriminations implicites similaires  », se félicite Alessandra Quadrelli.

Un nécessaire relai des pouvoirs publics

Dans cette politique de longue haleine, le contexte scientifique joue aussi. « Le taux de féminisation de la recherche est généralement corrélé à la force du secteur et à la l’ouverture des postes, relève Alexandra Quadrelli. Les périodes de tensions impliquant, à l’inverse, un accroissement des injustices. »

Dans ce domaine, la balle semble plutôt dans le camp des pouvoirs publics. À voir si le coup de pouce en matière de financement apporté par la Loi de Programmation de la Recherche 2021-2030 suffira à égaliser l’aiguille de la balance.

Des inégalités femmes-hommes en diminution, mais néanmoins persistantes

Si la parité femmes-hommes a progressé sur la dernière décennie, le CNRS demeure marqué par les inégalités de genre, à différents niveaux.

En 2019, le CNRS compte 31 970 personnels (24 456 permanents et 7 514 contractuels), dont 43,2 % de femmes.

Féminisation inégale selon les secteurs d’activité

Si la parité est atteinte pour la catégorie des ingénieurs et techniciens (IT) avec 50 % de personnel féminin, celle des chercheurs n’est encore composée que de 34,3 % de femmes. Une donnée qui marque une amélioration sur la dernière décennie (en 1999, le chiffre était de 30,1 %), mais aussi la lenteur des progrès. Les ingénieures de recherche (IR) sont, elles, 32 %. Le corps des techniciens/ennes (le grade le moins élevé) étant le plus féminisé (à 65 %).

Plafond de verre

Malgré de nets progrès, le plafond de verre est toujours là. « On compte seulement 38 % de chargées de recherche (CR) et 30 % de directrices de recherche (DR), contre respectivement 32 % et 23 % il y a une dizaine d’années  », pointe Élisabeth Kohler.  Quant aux directrices d’unité, elles ne sont toujours que 22,4 % en 2019.

Disparités sectorielles

Mêmes disparités dans les différents domaines scientifiques. En mathématiques, les chercheuses ne sont que 18 %, contre 43 % en sciences biologiques et 48 % en SHS. « Paradoxalement, plus le nombre de femmes est important, plus le plafond de verre l’est aussi, relève Élisabeth Kohler. Par exemple, en biologie, il y a 50 % de CR, mais seulement 35 % de DR, alors qu’elles sont 18 % en maths dans les deux corps. »

Inégalités salariales

Côté salaires, les femmes gagnent 12,9 % de moins que les hommes, notamment en raison d’une progression de carrière plus lente. Mais l’écart a fortement diminué entre 2018 et 2019, dans des proportions inédites.