Vie des campus

Sandrine Rousseau : « Les chargés de mission égalité sont souvent très seuls »

Par Catherine Piraud-Rouet | Le | Rse - développement durable

Sandrine Rousseau, enseignante-chercheuse en économie, est vice-présidente vie universitaire à l’Université de Lille, vice-présidente de la Conférence permanente des chargé(e)s de mission égalité et diversité (CPED) et candidate à la primaire d’Europe Ecologie-Les Verts pour la Présidentielle de 2022.

Elle s’est livrée à Campus Matin sur la situation de l’égalité hommes-femmes dans l’ESR, ainsi que sur les solutions mises et à mettre en place pour améliorer un tableau encore largement perfectible.

Sandrine Rousseau est vice-présidente de la Conférence permanente des chargé(e)s de mission égalité. - © D.R.
Sandrine Rousseau est vice-présidente de la Conférence permanente des chargé(e)s de mission égalité. - © D.R.

La parité dans l’ESR : où en est-on ?

Sandrine Rousseau : Quelques progrès ont été faits ces dernières années, mais les évolutions sont timides et la répartition des métiers est toujours très genrée. Ainsi, parmi les cadres C, on compte environ 75 % de femmes. Une pyramide quasi inversée du côté des professeurs d’université (73 %). La part de la population féminine (45 %) étant plus égalitaire chez les maîtres de conférences (MCF).[1]

Autre obstacle : l’accession au doctorat. On observe un décrochage assez net des étudiantes (10 points) entre le M2 et le doctorat. J’y vois deux explications principales. D’une part, on compte davantage de thèses en sciences exactes, disciplines plutôt investies par les hommes, qu’en sciences humaines et sociales. D’autre part, plus les personnes sont jeunes et plus les hommes ont une « présomption de compétence ». À 25 ans, les femmes ne sont pas considérées avec le même potentiel que leurs camarades masculins. On considère que ces derniers ont encore beaucoup de capacités à développer, mais qu’elles sont déjà rendues à une forme de maximum, du fait de leurs maternités éventuelles à venir. La problématique est similaire dans le privé, mais le secteur est soumis depuis plus longtemps à des critères d’égalité.

La Conférence permanente des chargé(e)s de mission égalité et diversité (CPED) : quelles origines, quelle évolution ?

Sandrine Rousseau : La CPED fédère 94 établissements publics d’enseignement supérieur et de recherche autour des politiques d’égalité-diversité. Sa création, en 2009, était notamment impulsée par la rareté des chargés de mission égalité femmes-hommes dans les universités : on comptait alors une dizaine d’établissements concernés seulement, parmi lesquels Lyon, Strasbourg et Lille. D’où, pour ces derniers, des difficultés à s’imposer et à imposer leurs problématiques. L’idée était de partager l’information et de s’entraider.

Au fil des années, le recrutement de nouveaux établissements a été porté par plusieurs textes du ministère : obligation d’avoir une mission égalité (2015) et plus récemment une cellule de lutte contre les violences sexuelles (2018). Mais c’est la question des violences sexuelles, la plus visible sur le plan médiatique, qui a le plus accéléré, à partir de 2017-2018, cette mobilisation des établissements.

Quelles sont vos modalités de fonctionnement ?

Sandrine Rousseau : Des journées d’étude, deux fois par an, qui permettent de collaborer sur la mise en œuvre logistique des cellules contre les violences sexuelles ou des plans d’égalité professionnelle prévus par la loi de transformation de la fonction publique au 1er mars de cette année. Nous mettons aussi à la disposition des professionnels une liste d’échanges et de partages d’expérience, des formations ou une aide à la mise en place des procédures juridiques.

Nous fonctionnons via un système de cotisation par établissement adhérent (entre 500 et 1500 euros annuels en fonction du nombre d’étudiants). Pour l’instant, la CPED est fermée au privé, mais son élargissement fait partie des discussions récurrentes.

Quelle est son utilité pour les chargés de mission égalité ?

Souvent très seuls, voire font face à une forme d’hostilité en interne

Sandrine Rousseau : Les chargés de mission égalité sont souvent des femmes, en général des MCF. Ils sont souvent très seuls, n’ont pas de service en appui, voire font face à une forme d’hostilité en interne. Pour eux, avoir une visibilité sur ce et comment les choses se passent ailleurs est un argument de poids pour faire passer une mesure. Cette mutualisation est aussi un moyen de nous renforcer mutuellement et de trouver ensemble des solutions.

Quelles sont les universités les plus en pointe sur ces questions ?

Sandrine Rousseau : Un certain nombre de choses ont été mises en place à Lille (cf. encadré). À Aix-Marseille, un très gros travail a été fait sur les biais de genre en matière de recrutement, en particulier par Isabelle Régnier. À Bordeaux, Marion Paoletti a fait avancer les choses en matière d’égalité structurelle dans les carrières, et a appuyé un programme de recherche européen. À l’université de Lorraine, pionnière sur les luttes contre toutes les discriminations, la mission égalité est particulièrement active. C’est le cas, encore, à Strasbourg ou à Lyon.

Nous entrons chacun dans le sujet par un prisme privilégié : qui la parité en matière d’évolution de carrière, qui la lutte contre les discriminations, qui le sexisme ordinaire, qui les violences sexuelles… Mais il est certain que l’Université bienveillante, inclusive, égalitaire, s’intéresse fortement à tous les aspects de la question femmes / hommes.

Quels sont les leviers qui entrent en ligne de compte concernant l’implication de chaque établissement ?

Sandrine Rousseau : Plusieurs dimensions sont fondamentales. À commencer, bien sûr, par l’aspect budgétaire, toujours le nerf de la guerre ! Mais aussi le nombre de personnes rattachées à ces fonctions, ainsi que leur positionnement dans l’organigramme. Par exemple, moi qui ai en charge toute la vie universitaire, j’ai évidemment bien plus de poids qu’un chargé de mission isolé, qui ne participerait pas aux réunions de direction. Un cas de figure privilégié qui reste encore minoritaire.

La loi de transformation de la fonction publique et la LPR peuvent-elles impulser les choses dans le bon sens ?

Du travail de fourmi au quotidien

Sandrine Rousseau : À voir… Je crains beaucoup la LPR, qui ne précise rien en la matière, ce qui ne laisse rien présager de très bon. La vigilance s’impose, notamment en ce qui concerne des dispositifs comme les tenure tracks, qui portent avec eux le risque de sortes de « carrières comètes » de certains enseignants-chercheurs, propices aux stéréotypes de genre. Et si l’on veut plus de femmes doctorantes, il va nous falloir poursuivre le travail de fond.

La loi de transformation de la fonction publique, elle va dans le bon sens puisqu’elle oblige les établissements à établir un plan de lutte contre les inégalités, sous peine d’une amende allant jusqu’à 1 % de la charge salariale. Dans tous les cas, c’est vraiment du travail de fourmi au quotidien : sans lutte, pas de solution miracle à attendre.

Vous briguez des fonctions politiques sur le plan national : comment étendre ce combat à la société dans son ensemble ?

Sandrine Rousseau : L’égalité femmes-hommes devrait être en ligne de mire de toutes les politiques publiques. Des protections périodiques gratuites sont à mettre en libre accès dans les lieux publics : écoles, collèges, prisons, salles de sport…

Il y a urgence à renforcer et élargir la prévention contre les violences sexuelles

Il y a également urgence à renforcer et élargir la prévention contre les violences sexuelles, avec en particulier des référents dédiés à systématiser dans tous les festivals, voire en entreprise. Il faut, enfin, s’attaquer sur le fond aux inégalités de carrière entre hommes et femmes, en se penchant notamment sur l’enjeu de l’organisation du travail et des temps familiaux. L’inspiration peut être puisée en Europe du Nord, précurseurs sur ces questions.

L’université de Lille, en pointe sur tous les combats pour l’égalité

L'établissement est devenu l’un des fers de lance du combat pour l’égalité hommes-femmes, bien avant sa fusion en 2018.

Grâce au volontarisme de Sandrine Rousseau, l’Université de Lille est en pointe sur un très large prisme de dossiers touchant à l’égalité femmes-hommes. Dès 2008, elle fait adopter une charte globale en ce sens à l’Université de Lille 1.

Parce que l’égalité passe d’abord par la mise en place de moyens pour soulager les femmes, Lille est la seule université à avoir deux crèches en interne, à destination des étudiants et des personnels. La première a ouvert à Lille 3 en 2006, la seconde à Lille 2 en 2009. « Nous sommes en train de constituer un accueil de jeunes parents et venons de passer une charte sur l’articulation des temps, pour qu’aucune réunion ne se finisse après 18h », précise Sandrine Rousseau. Elle ajoute : « J’aimerais pousser plus loin la chose et développer l’accès à des courses sur le campus. Nous recherchons actuellement un financement pour un post-doc, chargé de déterminer les besoins pour égaliser la charge entre les deux sexes et limiter ces temps de logistique ménagère, en optimisant la répartition depuis le lieu de travail. »

La lutte pour l’égalité à Lille passe aussi par l’institution de semaines ou mois de l’égalité, l’organisation d’évènements culturels sur ces questions et de formations… Mais aussi par le financement de recherches sur la prévalence des violences sexuelles à l’université et de dispositifs comme les référents aux violences sexuelles dans les soirées étudiantes. « Inspiré des pays nordiques, il devrait être pleinement déployé en septembre », précise Sandrine Rousseau. Des actions permises par un budget annuel de 300 000 euros.

À noter que la ville de Lille est aussi le berceau d’une des antennes de l’association d’entraide entre victimes de violences sexuelles En Parler, créée par Sandrine Rousseau en 2017 et aujourd’hui présente dans une dizaine de villes de France.

[1] Source : Mesri, 2021.