Vie des campus

Égalité femmes-hommes : « C’est un changement darwinien qu’il faut dans les gouvernances »

Par Gilbert Azoulay | Le | Rse - développement durable

Les écoles de management mettent en place des stratégies en faveur de l’égalité femmes-hommes. Pourtant les directions générales  de ces établissements restent majoritairement masculines. En amont des Assises de la parité le 19 juin, dont Campus Matin est partenaire, deux actrices majeures de cet écosystème, qui ont réussi à s’élever au-dessus du plafond de verre, témoignent.

Une quinzaine d’écoles de management sur 65 sont dirigées par une femme, note la CEFDG. - © Freepik
Une quinzaine d’écoles de management sur 65 sont dirigées par une femme, note la CEFDG. - © Freepik

Mathilde Gollety, professeure des universités à l’Université Paris Panthéon-Assas et présidente de la Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion (CEFDG), et Alice Guilhon, présidente de la Conférence des directeurs d’écoles françaises de management (CDEFM) et directrice générale de Skema Business School, répondent à Campus Matin sur la place des femmes dans les gouvernances.

Pensez-vous qu’il y a trop peu de directrices ?

Mathilde Gollety est présidente de la CEFDG depuis 2021. - © D.R.
Mathilde Gollety est présidente de la CEFDG depuis 2021. - © D.R.

Mathilde Gollety : Sur les 65 écoles de management évaluées par la CEFDG, une quinzaine d’entre elles seulement sont dirigées par des femmes. Cela questionne et interroge en effet, mais à ma connaissance cette répartition est très proche de celle que l’on peut observer au niveau des présidences d’université. Les femmes sont bien évidemment aussi compétentes que les hommes pour diriger une école de management ou une université et il faut œuvrer collectivement pour que cette répartition continue d’évoluer vers plus d’équilibre.

Pourquoi un tel déséquilibre ?

Alice Guilhon : Je pense que dans l’enseignement supérieur et la recherche (ESR) comme dans les autres secteurs (qui sont soumis à des quotas plus régulés) le plafond de verre existe et donc, peu de femmes pensent qu’elles peuvent accéder à la direction des établissements d’enseignements supérieurs. S’il y a beaucoup de femmes professeures, peu étaient jusqu’ici nommées et préparées à prendre une directrice générale.

Les choses s’arrangent malgré tout, car si l’on regarde les dix dernières années, la situation s’est grandement améliorée. En 2007, je pense que j’étais une des rares à être directrice générale, depuis cela a évolué.

Les talents sont pourtant nombreux ?

Un management féminin permet de faire bouger plus vite des organisations figées

Alice Guilhon : Oui, les femmes ont beaucoup de talents - sans faire de généralités de genres - dans la gestion du collectif et dans l’exécution de la stratégie. Il y a probablement une complémentarité du management au féminin avec un management plus « masculin » même si encore une fois je trouve ces remarques très généralistes. Dans notre environnement, une vision et un management féminins permettent de faire bouger plus vite des organisations figées par l’histoire et des gouvernances tout aussi figées dans leur statut.

Les gouvernances sont-elles assez ouvertes ?

Mathilde Gollety : La question de la gouvernance préoccupe la CEFDG, qui même si elle évalue la qualité d’une formation, ne le fait jamais sans se préoccuper du contexte global dans lequel ce programme est déployé. L’alignement entre le projet stratégique déployé par l’école et le programme en question est analysé. Plus les gouvernances sont ouvertes et incluent des profils d’acteurs divers (femmes, hommes, enseignants-chercheurs, étudiants, administratifs, représentants du monde socio-économique ou des collectivités qui sont partie prenante au développement de l’école…), plus les décisions peuvent être enrichies de regards complémentaires.

Alice Guilhon : Tout dépend de quelle gouvernance on parle. Aujourd’hui, les gouvernances des écoles sont diverses. Elles sont encore pour beaucoup des associations détenues par des Chambres de commerce et d’industrie (CCI). Je reste persuadée que, pour des raisons statutaires, elles ne peuvent plus soutenir l’évolution des écoles dans leurs quêtes de croissance, d’international, devant les défis des transitions, etc.

Alice Guilhon est présidente de la CDEFM et DG de Skema. - © Lora Barra
Alice Guilhon est présidente de la CDEFM et DG de Skema. - © Lora Barra

L’ESR est un secteur qu’il faut connaître, comprendre et dont on doit respecter les règles (gérer une faculté, faire de la recherche, s’améliorer continuellement grâce aux accréditations, avoir des diplômes visés et gradés, s’occuper de la learner experience, etc.).

Toutes ces activités sont spécifiques à l’ESR et trop souvent encore on voit des personnalités, même brillantes, venant des entreprises ou d’institutions qui prennent des décisions qui sont totalement inadaptées pour le secteur de l’ESR. Alors, si en plus on s’attend à la nomination de femmes à la tête des écoles ! C’est un changement de degré et de nature darwinien qu’il faut dans les gouvernances.

II faudrait comme ailleurs imposer des quotas… Nous avons bien un plan d’égalité femmes-hommes, mais ce n’est pas encore ce qui permet aux femmes d’accéder aux plus hautes fonctions de direction dans nos établissements. Il y a aussi des gouvernances avec un nombre pléthorique de personnes, ce qui stérilise toutes les décisions (un peu sur le modèle strictement universitaire). Peu d’établissements ont des gouvernances qui soutiennent les décisions et les actions plutôt que de contrôler ce qu’elles ne comprennent pas nécessairement. Mais les choses évoluent, c’est ce qui est rassurant.

Vous pouvez inciter ces gouvernances à la CDEFM ou via la CEFDG ?

Alice Guilhon : Sur le modèle de l’accréditation internationale Equis qui a permis à nombre d’institutions de s’autonomiser par rapport à des gouvernances trop lourdes, je pense que la CEFDG peut aider à changer les choses, car elle délivre des reconnaissances de l’État précieuses pour les écoles ainsi qu’elle édicte une norme, un standard qualitatif et de bonnes gestions. La CEFDG évalue déjà l’engagement des gouvernances et leur soutien pour les écoles, c’est une question qui est souvent importante dans les auditions, encore une fois, sur le même modèle que celui d’Equis. La CDEFM est une association, elle peut être le lieu de partage des bonnes pratiques et d’encouragement des évolutions, elle ne peut rien imposer. Mais elle peut engager un mouvement fort qui peut à terme favoriser l’émergence d’une norme.

La question de l’égalité femmes-hommes doit être l’affaire de toutes et tous.

Mathilde Gollety : Lors de l’évaluation d’un diplôme par la CEFDG, nous demandons des détails sur la composition de la gouvernance en nous assurant notamment que les étudiants sont représentés dans les organes. Si, à ce stade, la question du genre n’est pas prise en compte dans la gouvernance, nous sommes très vigilants sur le sujet de l’insertion professionnelle. Si la différence de salaire entre les diplômés hommes et femmes est importante, la CEFDG formule systématiquement une recommandation à l’école sur le sujet. La question de l’égalité femmes-hommes doit être l’affaire de toutes et tous avec en filigrane la question de la compétence avant tout.