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Le recours aux cabinets de recrutement se développe dans les établissements du sup'

Par Isabelle Cormaty | Le | Concours/recrutement

Face aux pénuries de personnels et aux besoins de compétences toujours plus techniques pour les postes de direction de service, les établissements du supérieur se tournent davantage vers des chasseurs de tête. L’occasion, en particulier, pour les universités de recherche intensive ou issues de fusion d’établissements de diversifier les profils des candidats et de travailler sa marque employeur.

Les cabinets de recrutement ou chasseurs de tête travaillent davantage avec l’ESR. - © VIN JD (Pixabay)
Les cabinets de recrutement ou chasseurs de tête travaillent davantage avec l’ESR. - © VIN JD (Pixabay)

Les cabinets de recrutement se font leur place dans l’écosystème de l’enseignement supérieur. Ces « chasseurs de têtes » sont sollicités par les établissements pour pourvoir des postes de chefs de projet lauréat d’appels à projets (AAP), sur des métiers en tension ou des directions de service : directeurs généraux des services (DGS), des systèmes d’information (DSI), des ressources humaines (DRH), des affaires financières…

Comment les cabinets travaillent-ils avec les écoles et les universités ? Comment évolue leur activité ? Trois d’entre eux racontent à Campus Matin les dessous de leurs missions.

Répondre aux besoins spécifiques des établissements

« Cela fait huit ans que nous avons lancé l’activité de chasse dans notre cabinet. Le marché est dynamique, il y a beaucoup de mouvements dans les grandes écoles privées et les universités nous sollicitent depuis peu », commence Sébastien Vivier-Lirimont, fondateur de Headway Advisory, un cabinet de conseil en stratégie, spécialisé dans l’ESR. 

Charles Pouvreau préside le cabinet In Humano Veritas. - © D.R.
Charles Pouvreau préside le cabinet In Humano Veritas. - © D.R.

Créé en 2020 par Charles Pouvreau, un chasseur de têtes spécialisé dans le secteur public, le cabinet In Humano Veritas travaille avec une vingtaine d’universités comme Dauphine, Aix-Marseille ou encore Paris Cité.

« Notre activité est en pleine croissance. Le recours aux cabinets de recrutement est une question d’habitude et de moyens. La pratique plus ancrée dans les grosses universités arrive progressivement dans les établissements de taille intermédiaire », souligne le fondateur du cabinet.

Les établissements publics expérimentaux issus de fusion d’établissements ou les universités de recherche intensives font donc plus souvent appel à des chasseurs de têtes. « Cela dépend beaucoup des équipes présidentielles ou de direction », complète Michael Allio, directeur secteur public de Vidal Associates. Le cabinet généraliste créé en 1992 travaille avec une trentaine d’établissements de l’ESR depuis cinq ans. 

Des problèmes quantitatifs et qualitatifs

Pourquoi les institutions du supérieur ont-elles recours à des cabinets ? « Les établissements recevaient beaucoup de candidatures quand ils publiaient une offre il y a quelques années. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, les grilles de rémunération de la fonction publique ne sont plus attrayantes », constate Charles Pouvreau. 

 Sébastien Vivier-Lirimont, le fondateur d’Headway Advisory complète : « Il y a un double problème qualitatif et quantitatif, c’est-à-dire un manque de compétences et de disponibilités. L’ESR est très particulier et il n’existe pas d’écoles pour apprendre à être manager dans l’écosystème. »

Des postes de direction ou en pénurie recherchés

Pour quels postes les cabinets de recrutement sont-ils sollicités ? Tout dépend des besoins des établissements et de la spécialisation du cabinet. 

Sébastien Vivier-Lirimont a fondé le cabinet Headway Advisory en 2011. - © D.R.
Sébastien Vivier-Lirimont a fondé le cabinet Headway Advisory en 2011. - © D.R.

Headway Advisory, qui réalise entre 30 et 50 missions de chasse de tête par an effectue principalement des recrutements de directeurs d’écoles d’ingénieurs ou de commerce. Le cabinet se charge par exemple de dénicher le futur directeur de l’ESCP, après le départ de Frank Bournois en février. Il s’occupe également de postes dans les comex, de directions exécutives ou fonctionnelles : directeur de la scolarité, de l’expérience étudiante, des finances…

Les universités qui font appel à In Humano Veritas ou Vidal Associates les sollicitent pour pourvoir des postes de DGS ou de direction tous domaines confondus, mais aussi des fonctions de second niveau : adjoint de direction, responsable de service communication ou de pôle Europe… 

Les établissements sollicitent également les cabinets pour des postes de pilotage d’importants projets financés par des subventions publiques notamment. « Nous recrutons des directeurs projets, des chargés d’animation ou de montage de réseaux pour les établissements lauréats d’appels à projets », précise Michael Allio. 

Autre profil recherché par les chasseurs de têtes : les personnes exerçant un métier en tension dans l’ESR comme l’informatique, et plus largement les systèmes d’information, les finances ou le montage d’appels à projets. 

« Le métier de responsable qualité est pénurique dans les écoles de commerce, d’autant que la mobilité internationale est très compliquée pour cette fonction. Il existe d’autres fonctions au marché tendu dans l’éducation : les directions de la transformation digitale des établissements, des cellules d’innovation pédagogique ou les postes d’ingénieur pédagogique », énumère Sébastien Vivier-Lirimont.

Headway Advisory recrute également 10 à 15 % de professeurs dans des disciplines pointues comme la cybersécurité, le big data, l’intelligence artificielle… Il arrive aussi au cabinet de recruter des titulaires de chaires. 

Diversifier les profils des candidats

« Notre travail est d’identifier la capacité d’un candidat à s’inscrire dans l’écosystème particulier de l’ESR pour que la greffe se fasse », souligne Charles Pouvreau. Plus qu’un simple sourcing de candidats, les cabinets apportent une expertise plus globale. « Nous faisons du recrutement et de l’analyse d’évaluation pour pouvoir positionner les personnes au bon endroit dans l’organisation », précise Michael Allio.

Outre les personnes déjà en poste dans l’ESR, les cabinets démarchent aussi des cadres du public issus de la fonction publique d’État, des collectivités territoriales ou d’autres structures publiques ou parapubliques. 

La difficile intégration dans l’ESR des personnes issues du privé

Le débauchage dans le privé est plus ardu. « Il est assez rare d’avoir la capacité de comprendre le public et la complexité de l’écosystème de l’ESR quand on vient du privé. Peu de personnes y arrivent », insiste Charles Pouvreau. Pour le pilotage d’importants projets, le recrutement dans le privé est parfois une option, indique toutefois Michael Allio, le directeur secteur public du cabinet Vidal Associates.

« Les projets lauréats d’AAP sont bien définis, nous pouvons alors identifier pour les piloter des personnes du privé expertes sur la thématique en question, contrairement aux directions de service où les missions sont très larges. Les postes de responsable de projets financés par AAP peuvent être un bon tremplin et permettent aux personnes de se projeter dans une fonction à impact. »

Ce type de poste nécessite de tout de même « de comprendre les nuances politiques de l’organisation. Ce sont des projets portés politiquement par les gouvernances, avec un rattachement à l’administration et aux vice-présidents », ajoute Michael Allio.

Accompagner les DRH au-delà du recrutement

Outre la recherche et la proposition de candidats qualifiés, les cabinets de recrutement accompagnent aussi les établissements dans leur politique RH. 

Michael Allio est directeur secteur public du cabinet Vidal Associates qui travaille avec une trentaine d’établissements de l’ESR. - © D.R.
Michael Allio est directeur secteur public du cabinet Vidal Associates qui travaille avec une trentaine d’établissements de l’ESR. - © D.R.

« Pour les postes financés par des appels à projets de l’Agence nationale de la recherche, c’est aux personnes recrutées de construire un modèle économique pérenne », explique Michael Allio. Concernant les autres types de recrutement, le cabinet effectue un suivi des personnes qu’il recrute.

« Il est indispensable de suivre les recrutés sur le long terme, de déclencher des points réguliers entre l’établissement et ses personnels pour créer du lien et s’assurer que les personnels se sentent bien dans leurs postes. Cela permet aux présidents d’université d’avoir de la visibilité sur l’état d’esprit des recrutés voire d’anticiper si nous sentons que quelqu’un est sur le départ », complète-t-il.

Travailler sur la notion de marque employeur

Comment retenir les talents une fois recrutés ? Une question épineuse à laquelle réfléchissent établissements et chasseurs de têtes. « Nous travaillons avec les DRH sur la notion de marque employeur. Nous proposons aussi un accompagnement lors de la prise de postes ou en cas de mobilité interne », détaille Charles Pouvreau, du cabinet In Humano Veritas.

Pour Headway Advisory, la chasse de tête représente 30 % de son activité et le conseil en stratégie 50 %. Le cabinet de 27 collaborateurs propose donc des services plus larges que le seul recrutement de cadres ou directeurs.

« La marque employeur est un sujet émergent. Le secteur de l’éducation connaît de très fortes transformations avec le digital, la concurrence entre établissements et la plus forte exigence des étudiants. Cela impose aux écoles de réfléchir à une stratégie RH pour avoir une meilleure rétention de leurs personnels et ainsi assurer leur développement. Un turnover important dans un établissement peut mettre à mal l’exécution d’un plan stratégique », rappelle Sébastien Vivier-Lirimont.