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La jeune inspection générale rattrapée par la réforme de l’ÉNA

Par Théo Haberbusch | Le | Concours/recrutement

Effet imprévu de la réforme de l’ÉNA et de la haute fonction publique, l’inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche va perdre son statut de corps de la fonction publique pour devenir un simple service. Ses membres seront « fonctionnalisés », ce qui implique des carrières différentes et…bon nombre de questions ouvertes, alors que les enjeux sont forts.

Le séminaire de rentrée 2021 de l’Igésr en présences des ministres Jean-Michel Blanquer et F. Vidal. - © Fabien Oppermann / Twitter
Le séminaire de rentrée 2021 de l’Igésr en présences des ministres Jean-Michel Blanquer et F. Vidal. - © Fabien Oppermann / Twitter

Tel le battement d’aile d’un papillon, la réforme de l'École nationale d’administration (ÉNA) emporte le corps des inspecteurs généraux de l’éducation, du sport et de la recherche (Igésr), appelé à disparaître au profit d’une « fonctionnalisation » de ses membres. Ils sont un peu plus de 300 personnes à composer aujourd’hui cette inspection générale interministérielle de création récente (2019) et ne s’attendaient, au départ, pas à cela.

Le chantier de la réforme de l’ÉNA et ses conséquences

L’ÉNA située à Strasbourg va laisser la place l’Institut national du service public - © INSP
L’ÉNA située à Strasbourg va laisser la place l’Institut national du service public - © INSP

Pour comprendre, un bref retour en arrière s’impose : en avril 2019, à l’issue du Grand débat national lancé en réponse au mouvement des « Gilets jaunes », Emmanuel Macron annonce la suppression de l’ÉNA. Par ricochet, c’est toute une réforme de la haute fonction publique qui se met en branle.

Deux ans après, en avril 2021, et alors qu’une crise sanitaire est passée par là, le remplacement de l’ÉNA par un Institut national du service public (INSP) est dévoilé. L’annonce devient réalité par une ordonnance réformant l’encadrement supérieur de la fonction publique de l’État, qui paraît au Journal officiel le 3 juin 2021.

Le nouvel INSP créé devra former un nouveau type de fonctionnaires : les administrateurs de l’État qui formeront un nouveau corps. Les administrateurs civils (les « énarques ») disparaissent donc. Au passage, les grandes inspections générales interministérielles (l’Inspection générale des finances, l’Inspection générale des affaires sociales et l’Inspection générale de l’administration) qui recrutaient à la sortie de l’ÉNA et constituaient des corps sont « fonctionnalisées ». C’est, par conséquent, la fin des progressions de carrière et d’un emploi garantis à vie. 

L’Igésr : une jeune inspection à nouveau réformée

Caroline Pascal, cheffe de l’Igésr, a annoncé la fonctionnalisation de l’inspection. - © Seb Lascoux
Caroline Pascal, cheffe de l’Igésr, a annoncé la fonctionnalisation de l’inspection. - © Seb Lascoux

Revenons dans le monde de l’enseignement supérieur : la toute jeune Igésr, née de la fusion des inspections de l’éducation (Igen), du supérieur-recherche (Igaenr), du sport et des bibliothèques en 2019, a appris tout récemment qu’elle serait mangée à la même sauce que ses consoeurs les plus prestigieuses. 

La réforme de la haute fonction publique « dépasse finalement les trois inspections générales interministérielles » qui recrutent à la sortie de l’ÉNA et « concerne bien toutes les inspections générales qui sont à la fois corps et service, et donc la nôtre », résume la cheffe de l’Igésr, Caroline Pascal, dans un message révélé par News Tank, envoyé à ses troupes après une réunion interministérielle qui s’est tenue le 20 septembre dernier. 

Un choix à faire pour les inspecteurs généraux

La mise en oeuvre concrète de ce big bang est encore en discussion avec la direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP). D’ores et déjà, on sait que les actuels inspecteurs généraux auront un choix à faire : rejoindre le nouveau corps des administrateurs de l’État, avec à la clef la perspective (ou la contrainte, selon le point de vue) de mobilités régulières sur des missions dans d’autres services de l’État, ou bénéficier d’une « clause du grand-père » c’est-à-dire rester dans le corps en voie d’extinction jusqu’à leur retraite.

Des questions ouvertes sur l’avenir de l’Igésr

Parmi les sujets sensibles pour son inspection, Caroline Pascal, place en tête de liste ceux de l’attractivité et du maintien de l’expertise, l’Igésr faisant appel à des praticiens, connaisseurs du terrain. Même si elle n’est plus un corps spécifique, l’inspection devra conserver des viviers de recrutement de spécialistes… et les convaincre de la rejoindre, même si c’est pour quelques années seulement.

Car quelles seront les perspectives de carrière pour les universitaires, directeurs généraux des services, directeurs de bibliothèques qui composent ce corps… s’ils ne souhaitent pas retourner à leur paillasse, leur amphi ou leur bureau d’origine après cinq ou six ans ?

Le sujet de l’indépendance des inspecteurs, aujourd’hui inamovibles, mais demain susceptibles d’être « punis », figure aussi dans les enjeux à résoudre. Les trois inspections initialement concernées par la réforme (Igas, IGF, IGA) ont, elles, obtenu des garanties qui figurent désormais dans la loi. 

Une volonté de diversifier les viviers ancienne

La « fonctionnalisation » n’a pas que des inconvénients et rejoint des préoccupations fortes pour l’Igésr et avant elle pour l’Igaenr. Dès 2016, le statut de l’inspection générale, alors spécialisée sur le supérieur et la recherche, avait été réformé pour « élargir le vivier de recrutement et fluidifier les carrières », selon son responsable d’alors, Jean-Richard Cytermann. Parmi les principales mesures de l’époque figurait l’ouverture aux docteurs, le recrutement de présidents d’université ou directeurs d’organismes de recherche, et des parcours de carrières voulus plus attractifs.

« Je sais combien les inspecteurs ne sortent pas indemnes de ces missions »

Même ambition quelques années plus tard, lorsque le même Jean-Richard Cytermann et Caroline Pascal ont porté sur les fonts baptismaux la nouvelle Igésr. Les compétences croisées des inspecteurs originaires des quatre inspections débouchent aujourd’hui sur un programme de travail annuel réinventé pour 2020-2021, avec de grandes missions transversales prospectives. 

Dans son message de rentrée, lors d’un séminaire organisé début septembre, Caroline Pascal soulignait l’engagement personnel requis par certains rapports emblématiques des derniers mois : sur l’assassinat de Samuel Paty, le centre des dons de Descartes, les violences sexuelles dans le sport, les attaques racistes à l’IEP de Grenoble ou sur l’affaire Duhamel… « Je sais combien [les inspecteurs] ne sortent pas indemnes de ces missions », disait-elle. 

Un engagement que l’actualité frénétique devrait encore mettre à l’épreuve dans les prochains mois, dans un contexte statutaire nettement plus incertain.