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Repyramidage des enseignants-chercheurs : la quête des promotions tourne à plein régime

Par Marine Dessaux | Le | Concours/recrutement

Deux ans après la mise en place du repyramidage, les postes de professeurs des universités ouverts ont presque tous été pourvus. Cependant, les fléchages du ministère, qui devaient permettre d’atteindre un ratio de 40 % de PR d’ici 2025, n’ont pas tous été respectés. Résultat : des sections disciplinaires déficitaires n’ont bénéficié que de peu de repyramidages quand d’autres ont déjà atteint la cible. Décryptage et pistes d’explication.

772 ont été effectués sur les 800 repyramidages programmés sur 2021 et 2022. - © France Universités/Université de Franche-Comté
772 ont été effectués sur les 800 repyramidages programmés sur 2021 et 2022. - © France Universités/Université de Franche-Comté

Le « repyramidage » chez les enseignants-chercheurs consiste à créer une nouvelle voie de promotion pour 2 000 maîtres de conférences (MCF) vers un statut de professeurs d’université (PR). Un dispositif validé par un accord signé le 12 octobre 2020 en marge de la Loi programmation de la recherche (LPR) par des syndicats, organisations représentatives et organismes de recherche (SNPTES-Unsa, Unsa éducation, Sgen-CFDT, France Universités, CNRS, Inserm, Inria et Inrae).

L’heure est aujourd’hui au bilan. Un document, diffusé par le ministère de l’enseignement supérieur et la recherche (MESR) avant une réunion du comité de suivi de l’accord relatif à l’amélioration des rémunérations et des carrières, le 12 avril dernier, permet d’y voir plus clair. 

33,3 % de professeurs sur un objectif de 40 %

Après un retard initial du repyramidage en 2021, ce dernier est rattrapé en 2022 avec 772 promotions effectuées sur 800 en deux ans. « Nous allons vers une stabilité des processus et de leur déroulement en 2023 », estime aussi le MESR.

Alors que l’objectif national est d’atteindre un taux moyen de 40 % de professeurs d’ici à 2025, la proportion globale fin 2022 atteint 33,3 % soit 1,8 point de plus par rapport à la situation avant la première campagne de repyramidage. D’ores et déjà, le ministère note que l’objectif ne sera pas atteint malgré les 2 000 promotions prévues.

Malgré tout, « le bilan est globalement satisfaisant », estime Jérôme Giordano, chargé de mission ESR pour le syndicat Unsa Éducation.

Les « gagnants » et « perdants »

Le repyramidage est un enjeu important pour les établissements, particulièrement dans des disciplines où le nombre de maîtres de conférences est élevé et les possibilités d’évolution faibles… Une situation qui crée des frustrations au fil des années. 

Du côté des universités, taille et repyramidage ne sont pas toujours synonymes

Pour quatre ans, les établissements les mieux dotés, avec plus de 45 postes de professeurs par la voie du repyramidage sont : l’Université de Lille (74), Aix-Marseille Université (71), l’Université de Lorraine (68), l’Université Grenoble Alpes (53), l’Université Paris Cité (49) et Sorbonne Université (46).

Parmi les universités les moins dotées (cinq repyramidages ou moins) figurent celles d’outremer : Nouvelle-Calédonie, Polynésie française et La Réunion avec quatre promotions chacune. C’est le cas également de l’Université Toulouse 1 Capitole (3), l’Université Paris-Panthéon-Assas (3), l’Université de Nîmes (4), l’Université Paris Dauphine PSL (4) et l’Université d’Évry (5).

Sections CNU : Staps, gestion et langues encore loin de la cible

En 2021 et 2022, certaines sections sont toujours particulièrement déficitaires avec environ 25 % de professeurs et n’ont bénéficié que de relativement peu de repyramidages. Parmi elles, des sections avec un vivier important d’enseignants-chercheurs : les sciences de l’information et de la communication (16 repyramidages), les études anglophones (21 repyramidages), ainsi que les études germaniques et scandinaves qui n’ont eu que quatre promotions par cette voie.

Jérôme Giordano est chargé de mission ESR à l’Unsa Éducation. - © D.R.
Jérôme Giordano est chargé de mission ESR à l’Unsa Éducation. - © D.R.

Également déficitaires (24,2 % de professeurs) et importantes en nombre d’enseignants-chercheurs, les Sciences et techniques des activités physiques et sportives, ou Staps, ont, elles, bénéficié de 25 nouvelles promotions. Les sciences de gestion tirent leur épingle du jeu en étant la deuxième section la plus repyramidée (50 postes) bien qu’elle n’atteigne que 26 % de PR à l’heure actuelle.

Un phénomène que décrypte Jérôme Giordano : « Certaines sections, comme les Staps, sont plus jeunes et ont donc mécaniquement moins de professeurs des universités. » 

Concernant la situation des sciences de gestion, Éric Lamarque, à la tête de l’Institut d’administration des entreprises (IAE) Paris Sorbonne Business School et du Réseau IAE France, remarque : « On corrige quelque part une anomalie. L’université pense que la gestion n’a pas besoin de grands chercheurs, car elle reposerait sur des qualités innées de leadership — presque un art plus qu’une science ! Cela convient à beaucoup de disciplines et à certains présidents d’université de laisser le privé s’en charger. Nous n’avons pas les statistiques, mais il y a plein d’IUT où ce sont des professeurs agrégés du secondaire, qui font des cours. On nous a lycéeïsés avant l’heure. »

A contrario, les juristes (sections 1 et 2) sont bien dotés : le droit public atteint la cible grâce à 20 repyramidages et le droit privé atteint les 35 % de professeurs grâce à 38 repyramidages. La discipline « milieux denses et matériaux » (section 28) touche, elle aussi, au but avec 39,7 % de PR atteint grâce à 13 repyramidages.

« Ces chiffres montrent le poids du droit dans les arbitrages des établissements, observe le chargé de mission ESR d’Unsa Sup’Recherche. La discipline bénéficie par ailleurs de plus en plus de l’agrégation qui permet pour certains de devenir professeur sans avoir été maître de conférences. »

Des fléchages du MESR pas toujours respectés

Alors que les sections du Conseil national des universités (CNU) prioritaires ont été indiquées par le ministère à chaque établissement, les 800 postes ouverts par les universités pour 2021 et 2022 correspondent à 85 % aux fléchages.

« Nous demandons un contingent supplémentaire pour corriger les écarts entre disciplines », explique Jérôme Giordano. Son syndicat avait déjà souligné la nécessité d’un rééquilibrage dans une enquête publiée en novembre 2022 (voir l’article de News Tank pour les abonnés) en identifiant déjà, sur la base de projections, 24 sections potentiellement déficitaires en 2025.

Jean-Laurent Gardarein est trésorier adjoint d’Unsa Sup’Recherche. - © D.R.
Jean-Laurent Gardarein est trésorier adjoint d’Unsa Sup’Recherche. - © D.R.

« Nous allons veiller à ce que les sections qui dépassent la cible ne soient désormais plus servies par les promotions, même si nous avons conscience de la difficulté d’atteindre un équilibre au niveau des établissements et au niveau national », souligne Jean-Laurent Gardarein, trésorier adjoint d’Unsa Sup’Recherche.

En effet, il y a une disparité entre les disciplines selon les établissements : certains ont un taux élevé de PR, ce qui participe à faire dépasser la cible de 40 % au niveau national tandis qu’ailleurs ce chiffre est loin d’être atteint.

En cause, des disciplines qui souffrent d’un vivier insuffisant

En raison de viviers parfois insuffisants, des établissements font le choix de ne pas ouvrir de postes. C’est le cas de l’Université de Poitiers : « Nous avons fixé comme critère un minimum de trois MCF titulaires d’une habilitation à diriger des recherches (HDR) pour qu’un repyramidage soit ouvert dans une section CNU », rapporte Sébastien Laforge, vice-président ressources humaines, politiques sociales, égalité femmes-hommes et handicap à l’Université de Poitiers.

Un moyen existe cependant pour détourner cette problématique : ouvrir une promotion à cheval sur deux sections CNU. « Nous avons agrégé les sections 86 et 87, qui relèvent de la pharmacie, et où nous avions petit vivier localement », témoigne le VP RH.

Un repyramidage qui doit s’inscrire dans le long terme

« En interne, on observe beaucoup plus d’inscriptions en HDR depuis que les campagnes de repyramidage ont été ouvertes », expose Sébastien Laforge. En effet, pour être candidat il faut avoir obtenu une HDR au 31 décembre de l’année précédente. Un diplôme qui demande un travail de rédaction important et un temps de réalisation plus ou moins long selon les disciplines.

C’est pourquoi l’Unsa Sup’Recherche estime que le délai de cinq ans n’est pas suffisant pour permettre à tous les candidats potentiels de se manifester.

« Nous avons des collègues qui repoussaient la HDR, par manque de temps ou d’opportunités, qui commencent à la passer. Le repyramidage est une mesure qui doit s’inscrire dans un temps plus long », estime Jean-Laurent Gardarein.

Jusqu’à la pérennisation ?

Le syndicat défend même une pérennisation de cette voie de promotion. Cette revendication sera soutenue dans le cadre de la clause de revoyure de la Loi de programmation de la recherche — une clause permettant son réexamen. Car, au-delà de rétablir un équilibre entre MCF et PR, le repyramidage s’avère être le moyen de promouvoir des profils différents. « C’est une voie intéressante pour des collègues qui ont des dossiers un peu moins focalisés sur la recherche, qui sont plus investis dans d’autres domaines, comme la pédagogie », remarque Sébastien Laforge.

Au Conservatoire des arts et métiers (Cnam), qui compte de nombreuses sections déséquilibrées, Stéphane Lefebvre, professeur des universités et adjoint de l’administratrice générale en charge de la recherche regrette une procédure compliquée à mettre en œuvre et qui sollicite très fortement les instances, la direction et les enseignants-chercheurs extérieurs. « Le repyramidage créé beaucoup de frustrations en interne pour les collègues d’une même équipe qui ne sont pas promus. Un abondement de postes de PR fléchés directement vers les établissements me semblerait plus simple à mettre en oeuvre », ajoute-t-il.

La ministre de l’ESR, Sylvie Retailleau, prendra-t-elle une décision allant dans le sens d’une prolongation ? C’est du moins ce qu’elle avait assuré devant le comité de suivi du protocole d’accord relatif à l’amélioration des rémunérations et des carrières réuni le 14 novembre 2022, selon le SNPTES-Unsa. En ligne de mire : une prolongation d’au moins deux années après 2025, avec une augmentation de 1 200 possibilités.

L'égalité femmes-hommes progresse-t-elle ?

Autre point de vigilance au cœur de la politique du repyramidage : favoriser l’accès aux enseignantes-chercheuses à des postes où elles sont encore minoritaires. Objectif atteint puisqu’on observe une « surreprésentation » de +7 points des femmes dans les promotions avec 52 % de promues alors qu’elles représentent environ 45 % du vivier et des candidates.