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Décharges horaires pour les enseignants-chercheurs : le grand fourre-tout

Par Catherine Piraud-Rouet | Le | Personnels et statuts

Les décharges horaires visent à libérer des enseignants-chercheurs de tout ou partie de leur service d’enseignement, pour leur permettre de se consacrer à des activités annexes. Mais leur répartition et leur compensation sont laissées à la discrétion des établissements. Avec à la clé, une véritable « course » aux heures complémentaires, tant de la part des intéressés eux-mêmes que de leurs collègues et des vacataires. Le tout, sous l’œil bienveillant des établissements, qui y voient une alternative avantageuse aux recrutements.

Comment fonctionnent les décharges horaires pour les enseignants-chercheurs ? - © freepik
Comment fonctionnent les décharges horaires pour les enseignants-chercheurs ? - © freepik

Dans le supérieur, le dispositif de décharge horaire répond à un allègement d’heures accordé, de manière statutaire et annuelle, à des enseignants-chercheurs (E-C) sur leur service d’enseignement, afin de remplir une mission structurelle qui s’inscrit dans le cœur de métier — l’enseignement et la recherche. 

Un cadre strict pour les fonctions de représentation politique

Deux catégories cohabitent. La première, qui concerne les décharges pour encadrement politique ou administratif d’un établissement, est extrêmement cadrée, par l’article 7 du décret du 6 juin 1984. Au titre de ce texte, bénéficient d’une décharge totale de plein droit :

  • les présidents d’université ou les dirigeants d’un établissement public d’enseignement supérieur ;
  • les vice-présidents du conseil d’administration (CA) ou le président du conseil académique ;
  • les vice-présidents (VP) d’université, dans la limite de deux.

Bénéficient d’une décharge de plein droit des deux tiers : les directeurs d’un institut ou d’une école, les bénéficiaires d’une délégation auprès de l’Institut universitaire de France, les personnes occupant une fonction d’expertise et de conseil auprès du ministère.

Les directeurs d’Unités de formation et de recherche (UFR) bénéficient d’une décharge des deux tiers au plus. Elle est d’un tiers, au plus, pour le président de section du Conseil national des universités (CNU) ou du CNU médical, ainsi que pour le président de la Commission permanente de l’instance (CP-CNU).

Une décharge automatique

Dans tous les cas, la décharge est automatique, sauf renonciation en totalité ou partiellement. « Il arrive que ces personnes souhaitent continuer certains enseignements, par passion et/ou par crainte de ne plus les retrouver une fois leurs fonctions achevées », note une ancienne directrice générale des services (DGS).

Ces décharges de service ne peuvent donner lieu à des heures complémentaires, c’est-à-dire les heures de cours assurées par les enseignants au-delà de leur service statutaire de 192 heures équivalent TD.

Un référentiel très souple pour les autres décharges

Pour les autres types de décharges, le cadre qui prévaut à la répartition des décharges horaires pour les enseignants-chercheurs est celui du référentiel national d’équivalences horaires. Une grille énumérant les valorisations d’heures, non rattachées à une fonction, mais à des missions, librement élaborée par chaque établissement et votée chaque année, de manière collégiale, en CA, en étroite association avec le Comité social d’administration (CSA). Ce référentiel est régi par l’arrêté du 31 juillet 2009 et par la circulaire du 21 avril 2010 .

Des décharges horaires sont à prévoir pour trois grands blocs de fonctions :

  • les activités pédagogiques (innovation pédagogique, encadrement d’étudiants en formation initiale, continue, dans le cadre de l’apprentissage ou de la validation des acquis de l’expérience, responsabilité de structures ou de missions pédagogiques…) ;
  • l’animation, l’encadrement ou la valorisation de la recherche (direction de composantes et structures internes, activités liées à l’exploitation ou la gestion d’un équipement scientifique, d’animation de projet scientifique ou de valorisation…) ;
  • les autres activités ou activités mixtes (responsabilité d’une structure ou au sein d’une structure, communication, diffusion des résultats de la recherche ou d’une culture scientifique et technique, missions d’expertise, activités documentaires…).

Des décharges partielles

Pour les activités citées précédemment, les enseignants-chercheurs ne sont jamais déchargés à plein temps, mais uniquement des activités d’enseignement. La circulaire indique plusieurs points de cadrage.

Les heures prises en compte sont converties en temps de travail effectif ou en équivalent TD, le service d’enseignement étant alors amputé de ce nombre d’heures. Les établissements sont tenus d’adopter leur tableau d’équivalences horaires avant le début de chaque année universitaire et il leur est recommandé d’actualiser régulièrement celui-ci.

Différentes problématiques de gestion

Hormis cela, une grande souplesse est laissée aux établissements. « Chaque université a son propre référentiel, qui ne peut être que mieux par rapport au référentiel national », indique Jean-Pascal Simon, enseignant-chercheur en sciences du langage à l’Université de Grenoble et secrétaire général du syndicat Sup-Recherche Unsa.

Conséquence de ce flou artistique : une diversité de positionnements, dont certains s’écartent plus ou moins largement de la logique de départ.

Des heures comp’ et des vacations à la place de recrutements

Jean-Pascal Simon est secrétaire général du syndicat Sup-Recherche Unsa. - © D.R.
Jean-Pascal Simon est secrétaire général du syndicat Sup-Recherche Unsa. - © D.R.

Pour compenser ces heures de décharge, les établissements passent massivement par l’attribution d’heures complémentaires (HC). Pour les effectuer, ce sont les collègues enseignants-chercheurs (titulaires) qui sont mobilisés. Mais ceux-ci sont souvent eux-mêmes saturés.

Bien que certaines de ces HC soient financées (par des appels à projets du Programme d’investissement d’avenir, de l’Agence nationale de la recherche ou du Conseil européen de la recherche…), les établissements font appel, pour des raisons budgétaires, à des vacations par des contractuels. Une frange de personnels qui représentait en 2019 près de 40 % des effectifs du supérieur d’après le bilan social du ministère 2019-2020 paru en décembre 2021. 

« Avec un financement par l’État d’une masse salariale en stagnation, cela coûte moins cher aux universités de rémunérer des enseignements en HC que de recruter des enseignants-chercheurs, dont le salaire chargé représente un coût moyen de l’ordre de 90000 euros. Alors que le même volume d’enseignement rémunéré en heures complémentaires revient à environ 8000 euros, du fait notamment de cotisations sociales réduites », dénonce Jean-Pascal Simon.

Des heures complémentaires « virtuelles » en lieu et place de vraies décharges horaires

Autre détournement de cette flexibilité, dénoncé par notre ex-DGS : « Certains établissements vous diront que la direction d’une unité de recherche est égale à une décharge de 50 h (soit des heures en moins), d’autres que c’est égal à 50 h complémentaires (soit des heures en plus). Le tout, sous couvert, non plus de décharge, mais de “valorisation d’activité” ».

En découle le choix, par de nombreux enseignants-chercheurs, de conserver leur charge horaire et de se faire payer leur forfait d’heures de mission en « heures complémentaires »… 100 % théoriques.

« Un système qui arrange tout le monde, tant les établissements, qui y évitent le casse-tête de remplir leurs plannings en mobilisant de “vraies” HC, que les enseignants-chercheurs, qui, outre le bonus sur la fiche de paie, veulent absolument garder une activité d’enseignement », analyse Alain Favennec, secrétaire général adjoint du Snptes-Unsa.

Des pratiques différentes selon les disciplines

Course aux heures complémentaires

Cette « course aux heures complémentaires » est plus fréquente dans les sciences humaines et sociales (SHS), où les taux d’encadrement sont très bas et l’activité de recherche souvent moins prégnante qu’en sciences dures. Ainsi que dans les nouvelles universités qui souffrent d’un manque d’attractivité.

En revanche, les décharges sont monnaie plus courante dans les disciplines scientifiques, ainsi que dans celles à faibles effectifs, comme la musicologie, où les enseignants-chercheurs ont du temps. « Ces écarts de pratiques riment avec inégalités de traitement entre les enseignants-chercheurs, notamment avec ceux qui n’ont pas le choix que de prendre la décharge de manière effective, du fait d’une activité de recherche forte », regrette Alain Favennec.

Tentative avortée de régularisation du ministère

La Loi de programmation de la recherche (LPR) avait prévu de changer la donne. La composante C2 du nouveau régime indemnitaire pour les E-C devait être une « vraie » décharge, ne pouvant pas être transformée en HC. Mais la levée de boucliers des établissements, confrontés à l’obligation, dans un délai très rapide, de modifier leurs grilles de fonctions, a amené le ministère à faire volte-face, via le décret de simplification de la LPR de décembre 2022. La tendance est pourtant à la restriction.

Nous redoutons une attaque frontale contre le temps de travail des enseignants-chercheurs

« Quand j’ai créé mon diplôme il y a 15 ans, j’avais 24 h de décharge, or le collègue qui s’en occupe aujourd’hui en a beaucoup moins », témoigne une enseignante-chercheuse. « Le climat général envers l’application du référentiel est à la suspicion, et nous redoutons une attaque frontale contre le temps de travail des enseignants-chercheurs à l’instar de celles touchant à l’organisation du travail des Biatss, pourtant conforme à un  accord-cadre de 2001 », évoque Alain Favennec.

Petits arrangements en bonne intelligence pour les activités syndicales

Du côté des décharges pour activités syndicales comme pour les activités d’enseignement et de recherche, la souplesse est de mise pour concilier les impératifs des uns et des autres.

Les représentants syndicaux peuvent bénéficier de décharges horaires pour l’exercice de leur mandat, dans la limite de 30 h par an pour les organisations représentatives au niveau national et de 10 h pour les autres.

C’est le cas pour Jean-Pascal Simon, enseignant-chercheur en sciences du langage à l’Université de Grenoble et secrétaire général de Sup-Recherche Unsa, déchargé à 100 %, dont 80 % de décharge pour ses fonctions syndicales. Un taux important, justifié par un investissement très chronophage.

« Outre les affaires courantes liées à l’animation et la gestion de notre syndicat, je dois notamment assister à une réunion mensuelle du Cneser au ministère, soit une journée complète à Paris, témoigne-t-il. Avec, en amont, un travail de préparation important. Et à partir de janvier, il faut aussi prévoir une demi-journée, voire une journée de plus par mois, pour les accréditations des établissements d’enseignement supérieur. Il faut également assurer le suivi des textes réglementaires, négociations avec le ministère à la clé. »

Les 20 % restant le sont au titre de sa fonction de directeur adjoint d’une unité de recherche. « J’ai gardé quelques enseignements, inscrits dans mon service, mais non payables, car une décharge syndicale ne permet pas d’avoir des HC », précise-t-il.

Des décharges pas toujours appliquées

Ces décharges horaires ne sont pas automatiques et doivent être demandées par les représentants syndicaux auprès de leur direction. Les syndicats sont libres de les répartir entre leurs adhérents en fonction de l’implication de ceux-ci, puis les font remonter au ministère. 

« Celui-ci envoie un arrêté — généralement en août — selon lequel “Monsieur Un Tel” a, pour l’exercice de ses activités syndicales, une décharge de X % de son service d’enseignement. Puis, en septembre, chaque enseignant ou enseignant-chercheur signe une fiche de service prévisionnel », explique Jean-Pascal Simon.

Il regrette que le ministère ne compense pas les établissements pour ces décharges. « Ceux qui ont beaucoup de personnels engagés sont pénalisés », note-t-il. Un écueil qui explique pourquoi un certain nombre d’établissements n’appliquent pas ce type de décharges de services en tant que telles, préférant s’arranger, en bonne intelligence, avec les représentants syndicaux. 

« Il est préférable de gérer les choses avec un peu de souplesse, en laissant à ceux-ci le temps de faire leur travail, mais sans grille de décharge “officielle”, qui coûterait globalement, plus cher en heures de service déchargées que la réalité des absences constatées », évoque une représentante d’université.