Vie des campus

Ces deux étudiantes russe et ukrainienne vivent la guerre depuis Paris

Par Enora Abry | Le | Expérience étudiante

Dans la nuit du 24 février, l’armée russe entre en Ukraine. Depuis, les villes de Kiev (Kyiv), Marioupol, Donetsk, Kharkiv et Odessa sont bombardées. Les étudiants russes et ukrainiens en échange à Paris apprennent la nouvelle sur leur téléphone. Quelles ont été leurs réactions ? Qu’attendent-ils de leur établissement d’accueil ? Campus Matin a rencontré deux étudiantes, une russe et une ukrainienne.

Campus Matin a échangé avec une étudiante russe et d’une étudiante ukrainienne. - © D.R.
Campus Matin a échangé avec une étudiante russe et d’une étudiante ukrainienne. - © D.R.

Veronika est rentrée de Kiev le 25 février dernier. Étudiante en master de sciences à l’Université Paris Saclay, elle s’y rendait pour signer sa convention de stage avec un laboratoire ukrainien, ce qui lui aurait permis de rester quelques mois dans son pays d’origine avant de venir terminer ses études en France. Le 24 février, sa famille a été réveillée par les bombardements et Veronika a pris la décision de revenir en France. 

Victoria, elle, a quitté Moscou pour s’installer en France le 25 août dernier afin de suivre des études de lettres et de journalisme à Sorbonne Université. S’installer en France était son rêve depuis toute petite, maintenant c’est devenu une nécessité pour pouvoir exercer le métier de journaliste, une fonction dangereuse en Russie. Depuis peu en stage, elle rencontre des difficultés financières alors que les transferts d’argent avec la Russie sont interrompus, ce qui la prive de l’aide parentale. 

« Personne n’y croyait », la stupéfaction face à l’éclatement du conflit

Les deux étudiantes s’accordent à dire qu’elles ne croyaient pas à la déclaration de guerre, et ce, jusqu’à la dernière seconde. « Quand nous avons su qu’il y avait des forces militaires russes à la frontière, nous nous sommes dit : c’est toujours comme ça, non ? Puis, quand ma mère m’a dit avoir été réveillée par le bruit des bombes dans la nuit, je n’y croyais pas. Moi, je n’avais rien entendu », raconte Veronika qui a réussi à quitter Kiev (Kyiv) le lendemain de la première attaque tandis que sa famille est restée sur place.

« Mon père et mon frère n’ont pas l’âge requis pour pouvoir partir, et puis c’est trop dangereux maintenant. Des membres de ma famille éloignée ont été tués dans leur voiture en voulant quitter l’Ukraine. »

Victoria habitait à Tver, au Nord de Moscou  - © D.R.
Victoria habitait à Tver, au Nord de Moscou - © D.R.

À Paris, la Russe Victoria apprend la nouvelle sur son téléphone portable le matin avant de se rendre à son stage. « J’ai reçu un message d’une amie qui disait “la guerre commence“. Je ne m’y attendais pas du tout ! Personne n’y croyait. Tout le monde disait “c’est peu probable“, sauf que “peu probable“ ne veut pas dire impossible. Pour dire à quel point je n’y croyais pas : quand en cours de journalisme le professeur a demandé d’écrire un article entièrement fictif, j’ai choisi pour thème l’invasion de l’Ukraine par la Russie. »

Une situation absurde

« Le peuple des “Républiques populaires“ du Donbass a demandé de l’aide à la Russie. J’ai décidé de mener une opération militaire spéciale. Elle vise à protéger tous ceux qui ont été victimes d’intimidation et soumis à un génocide par le régime de Kiev pendant huit ans. Pour cela, nous ferons tout pour démilitariser et dénazifier l’Ukraine. »

Vladimir Poutine est Président de la Fédération Russe depuis l’année 2000 - © D.R.
Vladimir Poutine est Président de la Fédération Russe depuis l’année 2000 - © D.R.

C’est ainsi que Vladimir Poutine, Président de la Fédération de Russie, annonce et justifie les actions menées en Ukraine dans son discours du jeudi 24 février.

Cette déclaration fait sourire nos deux interlocutrices. « Quand ce discours est sorti, une phrase déjà connue sur l’internet russe a été postée partout. C’était “Hey, papi, tu as oublié tes comprimés ?“ Tout le monde sait très bien que c’est n’importe quoi », soupire Victoria.

Pour elles, cette situation n’a tout simplement pas lieu d’être. « Nous sommes un État reconnu et souverain. Je ne vois pas pourquoi il faudrait céder quoi que ce soit à la Russie », s’indigne Veronika. « Les frontières, il fallait en discuter à la chute de l’URSS, pas maintenant », ajoute Victoria.

Relation entre les Russes et les Ukrainiens : une division qui n’a pas lieu d’être

Une fois arrivés en France, les étudiants en provenance de Russie et d’Ukraine parviennent à conserver un lien assez fort en créant des groupes sur diverses applications comme Telegram, Facebook ou Instagram. Les deux nationalités y sont mélangées. Une suite logique selon nos deux interlocutrices.

« En Russie, on ne faisait pas la différence. On remarquait seulement l’accent du sud, c’est tout », explique Victoria.

« Maintenant, les relations ont changé, les Ukrainiens ne veulent pas toujours parler avec les Russes. Je n’aime pas ça, car nous savons très bien que beaucoup de Russes sont du côté de l’Ukraine », s’attriste Veronika.

Qu’attendre des universités ?

À présent, le futur paraît flou pour Victoria et Veronika. Toutes les deux souhaitent rester en France. Seulement, encore faut-il en avoir l’autorisation et les moyens…

« Je n’obtiendrais pas l’asile, je le sais, déclare Victoria. Il faut donc que je fasse renouveler mon visa et pour cela il faut que je sois inscrite dans un master. Alors pour l’année prochaine, je vais accepter n’importe quoi, même s’il ne s’agit pas de journalisme. Et puis, il faut prouver que ma situation financière est stable et régulière pour obtenir le visa. Ce n’est pas le cas. »

Les aides possibles

Veronika insiste sur la chance qu’elle a d’être à l’Université Paris-Saclay en une telle période. « Je me sens vraiment aidée. Nous avons eu un rendez-vous avec tous les Ukrainiens de l’université pour faire un point. Ils ont proposé des aides pour le logement, pour l’alimentation, des aides psychologiques. Ils vont aussi m’aider à trouver un travail. J’ai un entretien pour être assistante pour les étudiants Erasmus. »

En parallèle des aides actuellement mises en place par les universités, Veronika s’est rendue à Amiens dans une des antennes de la Structure de premier accueil de demandeurs d’asile (Spada) afin d’obtenir des renseignements sur la protection temporaire, une mesure adoptée le 4 mars dernier par le Conseil européen.

Veronika habitait à Kiev (Kyiv). - © D.R.
Veronika habitait à Kiev (Kyiv). - © D.R.

Cette disposition permet aux ressortissants ukrainiens - ainsi que de pays tiers ou apatrides bénéficiant de la protection internationale en Ukraine et les membres de leurs familles - d’obtenir des droits de séjour, d’accès au marché du travail et au logement ainsi qu’une assistance médicale et un accès à l’éducation, et ce pour une durée d’un an renouvelable une fois.

« Pour l’instant, les employés de la Spada n’avaient pas encore toute la procédure, mais ils ont déjà scanné nos passeports », précise Veronika.

L’oubli de la communauté russe

Quand je suis née, je n’ai rien signé

De son côté Victoria est bien plus mitigée concernant la réaction de son université. « Nous avons reçu une seule lettre en soutien aux étudiants et aux enseignants-chercheurs ukrainiens. Pour les Russes, rien. Ils nous ignorent, alors que nous aussi nous sommes contre cette guerre. Nous n’avons juste pas le choix. J’ai vécu toute ma vie sous Poutine. Personnellement, quand je suis née, personne ne m’a demandé mon avis et je n’ai rien signé. »

Des inquiétudes pour l’avenir

Pour nos deux interlocutrices, la poursuite des études se révèle incertaine. « Si mes parents arrivent en France, les études, c’est fini pour moi. Ils ne parlent pas français, donc je devrais travailler pour subvenir à leurs besoins », s’inquiète Veronika.

« Déjà pour le mois prochain, je ne sais pas comment je vais payer mon loyer. Les transactions avec la Russie sont interrompues et avec mon visa, je ne peux pas travailler plus d’heures que ce que je fais dans mon stage. Et encore après, qu’est-ce qui se passera ? Est-ce qu’on se dira, on ne l’embauche pas parce qu’elle est russe ? » s’alarme Victoria.  

Leurs manières de lutter

« Si j’étais Ukrainienne, je ferais comme eux et je me battrais pour mon pays. Si le peuple russe se révolte contre le gouvernement, je voudrais rentrer pour les y aider », affirme Victoria. Toutes deux souhaitent aider depuis la France et se renseignent pour jouer le rôle de traductrice afin d’accueillir les réfugiés ukrainiens.   

L’information contre les fake news et l’omerta

Autre difficulté : les fausses informations ou le manque d’informations les empêchent d’avoir une vision claire de ce qu’il se passe dans leurs pays. « En Russie, nous n’avons rien le droit de dire. Ma mère ne peut pas me communiquer ce qu’elle pense quand je l’ai au téléphone. Rien que pour les posts que je fais sur Twitter où j’affirme que je suis contre la guerre, dans mon pays j’encours jusqu’à 15 ans de prison », s’inquiète Victoria.

« Entre les réseaux sociaux russes et les nôtres, les informations sont contradictoires. C’est pourquoi, en Ukraine, il y a une association entre le ministère de la transformation digitale et le ministère des sciences et de l'éducation pour diffuser de l’information vérifiée. Je fais partie des bénévoles qui y travaillent », explique Veronica. 

Ces chaines d’informations du nom d’Ukraine Now se diffusent via Facebook, Instagram et Telegram

Leurs souhaits