Vie des campus

Ukraine : l’onde de choc de la guerre atteint les universités et la science

Par Théo Haberbusch | Le | Stratégies

La guerre en Ukraine n'épargne pas le monde académique. Après la condamnation, le gel des coopérations scientifiques avec la Russie n’a pas tardé. La vigilance est aussi de mise pour venir en aide aux étudiants et personnels. Et pour répondre aux fausses informations ou se préparer aux éventuelles attaques informatiques.

L’Ukraine en guerre, le monde académique se mobilise et doit s’adapter. - © D.R.
L’Ukraine en guerre, le monde académique se mobilise et doit s’adapter. - © D.R.

Une université détruite et en flammes. Parmi les images d’horreur de la guerre qui s’installe sur le sol européen, la destruction d’un des bâtiments de l’Université nationale de Kharkiv en Ukraine, le 2 mars 2022, matérialise les pires craintes du monde académique, exprimées dès les premières heures du conflit. 

La mobilisation du monde universitaire

Les acteurs universitaires ne s’y sont pas trompés : très tôt après l’invasion russe en Ukraine, le 24 février 2022, les appels de scientifiques et d’institutions se sont multipliés.

Pour dénoncer l’agression, dans un premier temps. À l’image de la courageuse lettre ouverte de 664 chercheurs et journalistes scientifiques russes, publiée par Le Monde le 25 février 2022. Les signataires pointent la responsabilité du pouvoir de leur pays dans le déclenchement du conflit.

Pour exprimer une solidarité à caractère universel, ensuite. « Nous sommes tous ukrainiens », lance Michel Deneken, président de l’Université de Strasbourg, dans un éditorial

Pour mettre en lumière les risques pour la science, enfin. « Ce conflit ne doit en rien ébranler la liberté académique ni même l’avancée des savoirs et des connaissances scientifiques », prévient ainsi Nathalie Drach-Temmam, présidente de Sorbonne Université, dans un message à sa communauté.

Les premières mesures

La ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal s’abstient de toute parole publique sur le sujet — il est directement piloté par le Président de la République, Emmanuel Macron, justifie son entourage auprès de Campus Matin.

Pour autant, une circulaire du 28 février, dévoilée par News Tank (abonnés), donne les instructions pour évacuer l’Ukraine et conseille aux étudiants, chercheurs et enseignants-chercheurs présents en Russie de quitter le pays.

Christine Fernandez-Maloigne, vice-présidente RI de l’Université de Poitiers qui comptait dix étudiants en Russie au début du conflit.  - © Université de Poitiers
Christine Fernandez-Maloigne, vice-présidente RI de l’Université de Poitiers qui comptait dix étudiants en Russie au début du conflit. - © Université de Poitiers

« Au total, il y avait une vingtaine d’étudiants français en Ukraine, dont la grande majorité doit maintenant être rentrée », précise Christine Fernandez-Maloigne, vice-présidente relations internationales de l’Université de Poitiers et présidente du réseau des vice-présidents RI dans une interview accordée à News Tank. Les étudiants sont en revanche plus nombreux en Russie (346 en 2019 selon l’Unesco) et tous n’ont pas souhaité rentrer.

Les autorités annoncent aussi dans la circulaire que le niveau de vigilance sur la sécurité informatique est rehaussé, par exemple pour protéger la plateforme Parcoursup, et incitent les établissements être sur leurs gardes. 

Le programme Pause, piloté par le Collège de France, dont Campus Matin vous a déjà parlé, est activé, via un fonds d’urgence permettant de lancer un appel spécial d’aide aux chercheuses et chercheurs ukrainiens en danger.

Le gel des coopérations

Comme dans d’autres domaines, la question des sanctions est rapidement abordée. Le consensus n’est pas immédiat pour mettre la Russie au ban de la science mondiale et ce d’autant plus que de nombreux scientifiques du pays ont critiqué ouvertement la décision de faire la guerre à l’Ukraine.

L’Allemagne décide le gel des coopérations scientifiques avec la Russie dès le 28 février, rapporte le bureau de News Tank à Bruxelles. Le site spécialisé Science Business note qu’elle est la première et qu’elle est vite suivie par le Danemark.  

Jean Castex a évoqué les coopérations scientifiques devant l’Assemblée nationale le 1er mars. - © D.R.
Jean Castex a évoqué les coopérations scientifiques devant l’Assemblée nationale le 1er mars. - © D.R.

Alors que la France assure la présidence de l’Union européenne, le Premier ministre Jean Castex annonce devant l’Assemblée nationale que « les différentes coopérations entre l’Union européenne et la Russie dans les domaines industriels scientifiques ou culturels sont suspendues. »

L’Association européenne des universités (EUA), qui représente plus de 850 universités et conférences nationales des recteurs dans 48 pays européens, va dans le même sens, puisqu’elle affirme le 2 mars qu’elle « cessera, pour le moment, tout contact et collaboration avec tout organisme du gouvernement central de la Fédération de Russie ou tout autre pays qui soutient activement l’invasion russe de l’Ukraine, et invite ses membres à envisager de faire de même »

Le même jour, le CNRS, le Centre national de la recherche scientifique suspend toutes nouvelles formes de collaborations scientifiques avec la Russie et annule tous les événements scientifiques à venir impliquant le pays.

« Les chercheurs russes qui travaillent dans des laboratoires français peuvent poursuivre leurs activités », précise le principal organisme de recherche européen.

Malgré la suspension des relations scientifiques Christine Fernandez-Maloigne, du réseau des VP RI, souhaite « continuer à travailler et communiquer avec nos collègues russes, comme nous le faisons avec la Turquie, en n’envoyant plus personne, mais en accueillant quand même des collègues. Sinon c’est la double peine ! ».

« Nous entendons toutefois qu’il s’agit d’une situation géopolitique très grave et que rompre toute relation, y compris culturelles et scientifiques, est aussi une façon d’inciter le peuple russe à se révolter contre ce qui se passe », précise-t-elle.

Répondre aux « fake news »

Durement mis à l’épreuve par l’épidémie de Covid depuis deux ans, le monde universitaire se trouve, à nouveau, confronté à une crise. Elle est inédite, mais certains ingrédients ne lui sont plus inconnus. C’est le cas des fausses informations qui, cette fois, n’ont rien à voir avec le coronavirus. 

Des médias russes, comme RIA Novosti, font en effet état de « l’expulsion d’étudiants russes des universités européennes en raison de la situation avec l’Ukraine ». Une manipulation dénoncée avec vigueur par France Universités. Sur le terrain, il a aussi fallu réagir, comme le confie à News Tank Gilles Forlot, vice-président délégué aux relations internationales de l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco).

« Notre souci a d’abord été de rassurer les enseignants-chercheurs et chercheurs russes en France, notamment dans nos laboratoires, pour leur indiquer qu’ils pouvaient évidemment poursuivre leurs activités. Et qu’il n’y a aucune intention de les expulser comme le prétendent certains médias russes qui font de la désinformation. »

Quand le président ukrainien s’exprimait à Stanford

Le comédien devenu président ukrainien, puis chef de guerre capable de tenir tête à Vladimir Poutine, est désormais une figure mondialement connue. Avant de bénéficier de cette reconnaissance, Volodymyr Zelensky avait été invité du Freeman Spogli Institute for International Studies de la prestigieuse université américaine de Stanford, où il a donné un discours en septembre 2021. 

Un événement organisé en présentiel dans une période d’accalmie s’agissant de la pandémie de Covid et dont le contenu et les photos offrent un contraste saisissant avec la situation actuelle d’un président au front et menacé personnellement. 

Devant le public universitaire américain, Zelensky puisait son inspiration dans le propos fameux de Steve Jobs « Comment vivre avant de mourir », prononcé en 2005…« Le peuple de notre pays aime la démocratie et la liberté et ne laissera pas les menaces lui enlever ces choses. Nous savons que tout est possible », disait-il alors.