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La formation doctorale au défi de la communication

Par Marine Dessaux | Le | Doctorat

Les chercheurs deviennent des acteurs de la médiation scientifique, ou encore des experts auprès des journalistes, décideurs et institutions publiques. Une place grandissante de la communication qui doit irriguer la formation doctorale et interroger la communauté d’enseignement supérieur et de recherche. Cette thématique était au cœur du colloque annuel de l’EUA-CDE, du 14 au 16 juin 2023.

La formation doctorale en communication n’est pas encore assez poussée, rapporte Ruben Riosa. - © M. Dessaux
La formation doctorale en communication n’est pas encore assez poussée, rapporte Ruben Riosa. - © M. Dessaux

« Les 10 à 15 dernières années ont marqué une évolution majeure pour la communication qui est devenue de plus en plus importante pour les universités. Ce changement est alimenté par les grandes tendances de l’internationalisation et la numérisation, où les smartphones et le web 2.0 ont transformé la société », expose Gian-Andri Casutt, président d’Euprio, l’association des communicants de l’ESR en Europe.

La recherche, elle aussi, a évolué : « Au fil des années, la recherche s’est transformée, passant d’individuelle à plus communicative », souligne Claudia Cavadas, enseignante-chercheuse et coordinatrice du Centre de neuroscience et biologie cellulaire de l’Université de Coimbra au Portugal. Car elle s’inscrit désormais dans un paysage concurrentiel : « Avec les classements et la réputation des établissements en jeu, une communication efficace est une nécessité », estime Gian-Andri Casutt.

Pourquoi l’université doit-elle communiquer ?

Comment justifier ce besoin de communication en tant qu’établissement ou acteur de l’enseignement supérieur et de la recherche ? 

Ruben Riosa est responsable communication bénévole de l’association Marie Curie alumni. - © D.R.
Ruben Riosa est responsable communication bénévole de l’association Marie Curie alumni. - © D.R.

Pour Ruben Riosa, , en charge de la communication pour l’association Marie Curie Alumni (MCAA), qui fédère plus de 20 000 chercheurs participant ou ayant participé au programme Marie Curie de l’Union européenne, il s’agit de renforcer le lien science-société. « Si nous ne communiquions pas, personne ne saurait ce que nous faisons, comment nous sollicitons des fonds, ce qu’est la science et pourquoi elle est importante. La communication est essentielle. Si nous parvenons à créer une connexion avec les familles, cela sera bénéfique pour les générations futures. »

Pour Claudia Cavadas, c’est une compétence qui facilite certaines missions des enseignants-chercheurs. « En tant que chercheur, la communication permet obtenir davantage de financements et de favoriser la collaboration. En tant qu’enseignant, c’est un outil pour transmettre plus efficacement, mais aussi collaborer davantage avec les vice-présidents et les doyens. Par ailleurs, il y a un sentiment de récompense lorsque l’on se rend dans une école et que l’on réussit à vulgariser la science. » 

Gian-Andri Casutt met en avant le rôle de l’université en tant qu’institution publique : « Nous faisons partie de la société et sommes rémunérés par les contribuables pour la servir. Cela veut aussi dire parfois, simplement, écouter. Pour comprendre le point de vue d’un homme politique par exemple. La responsabilité sociale des entreprises est devenue une préoccupation primordiale, car la société attend désormais beaucoup plus de nous. »

Une vision que partage Romain Ledroit, enseignant et journaliste spécialisé dans le doctorat* : « Améliorer l’image de la science et promouvoir l’excellence font partie des défis pour la communication. La question d’impact sur la société est également importante, pour participer à répondre aux problèmes et les enjeux de la société. »

Améliorer la formation doctorale

Claudia Cavadas est enseignante-chercheuse à l’Université de Coimbra. - © D.R.
Claudia Cavadas est enseignante-chercheuse à l’Université de Coimbra. - © D.R.

Pour que les pratiques des chercheurs évoluent, la formation doctorale joue un rôle central. « La nécessité d’une communication efficace s’est fait ressentir chez les doctorants : nous devons leur donner des compétences sur la façon de partager leurs connaissances, de communiquer avec leurs pairs, observe Claudia Cavadas. Nous devons promouvoir une culture de la communication scientifique et la reconnaître pour motiver activement ceux qui s’impliquent. »

Ruben Riosa évoque les retours que lui font de jeunes chercheurs : « Il existe des formations à la communication, mais elles ne sont pas suffisantes. Nous constatons une fragmentation et un manque de qualité dans les formations. Elles sont trop différentes les unes des autres. Nous devons améliorer les formations que nous proposons : apprendre comment rédiger un podcast, etc. »

Une formation qui doit concerner toutes les parties prenantes de la formation doctorale. Claudia Cavadas rappelle : « Nous ne devons pas oublier les superviseurs dans la formation. »

Communicants : de la réalisation au conseil

Gian-Andri Casutt est président d’Euprio. - © D.R.
Gian-Andri Casutt est président d’Euprio. - © D.R.

« L’époque où parler de départements marketing dans les universités était considéré comme honteux est révolue ! Avec la numérisation, chacun a le pouvoir de communiquer, ce qui signifie une certaine perte de contrôle, en particulier pour les services de communication. Aujourd’hui, nous avons besoin de doctorants, de chercheurs. Ils jouent un rôle essentiel dans la facilitation de la communication », défend Gian-Andri Casutt.

Il revient sur les résultats d’une enquête menée auprès des membres d’Euprio sur l’évolution de la communication. « Nous constatons une professionnalisation croissante. Aujourd’hui, nous avons plus de sujets, plus de personnes, plus de canaux à remplir, et nous sommes davantage connectés avec les dirigeants universitaires », poursuit celui qui est également responsable communication et affaires publiques du conseil des Écoles polytechniques fédérales (EPF) en Suisse.

Devenir des coachs en réseaux sociaux.

Ainsi, les communicants doivent changer de positionnement et se fondre derrière les chercheurs pour les enjeux de médiation scientifique notamment. « Les services de communication doivent passer du rôle de ceux qui font à celui de ceux qui conseillent. Les community managers doivent devenir des coachs en réseaux sociaux. Il n’y a plus de sens à créer des posts institutionnels isolés : en impliquant les acteurs de l’ESR, ils pourront demander à leur entourage de partager. De cette façon, il est possible d’avoir un impact. »

Pour cela, les chercheurs doivent être impliqués dès les premières étapes. Sans pour autant pousser ceux qui ne le veulent pas, mais « en étant présent pour ceux qui souhaitent s’impliquer ».

Quelle place pour les journalistes dans le media training ?

Journalistes et chercheurs partagent des objectifs communs, le combat contre la désinformation parmi eux. Ces deux acteurs sont par ailleurs amenés à se croiser lors d’interviews et prises de paroles médiatiques.

« Comment pouvons-nous travailler ensemble ? s’interroge Romain Ledroit. Cela peut être en intégrant les journalistes dans les formations des écoles doctorales, où ils ne sont pas toujours associés, par exemple sur les réseaux sociaux, l’usage des outils médiatiques dans la recherche… Connaître les médias, les pratiques, ce sont des compétences utiles pour les jeunes chercheurs. » 

Un rôle à jouer, sur les questions sur d’audience et d'économie des contenus

Intérêt à double sens, car les journalistes ont perdu leur statut de gate keeper. « Les journalistes se voyaient parfois comme des gardiens, déterminant ce que les gens voulaient lire. Aujourd’hui, notamment avec les réseaux sociaux ou la production de contenus audiovisuels, nous ne sommes évidemment plus les seuls à définir quelles informations seront partagées, poursuit celui qui est également chargé d’enseignement. Nous avons néanmoins un rôle à jouer, notamment sur les questions d’audience et d’économie des contenus. Ces aspects ne sont parfois pas abordés dans les formations. » La valeur ajoutée du regard de journaliste consiste par ailleurs à définir le bon angle, la façon de raconter une histoire.

Romain Ledroit est journaliste spécialisé notamment dans le doctorat. - © D.R.
Romain Ledroit est journaliste spécialisé notamment dans le doctorat. - © D.R.

Journalistes et chercheurs sont amenés à travailler ensemble, notamment sur des projets d’Open source intelligence, qui reposent sur l’analyse des informations accessibles à tous pour mener des enquêtes. « Cela permet, dans des cas complexes tels que les conflits, d’analyser une grande quantité de données. Parfois, nous devons collaborer avec des chercheurs pour travailler ces données, le contexte de la publication par exemple, et déterminer ce qui est vrai ou faux », explique Romain Ledroit.

Gian-Andri Casutt rappelle toutefois que les journalistes ne sont pas les seuls acteurs auprès de qui les chercheurs sont amenés à communiquer : « Les médias ne représentent qu’une petite partie des interlocuteurs, même s’ils ont été très importants pendant la pandémie. »

La communication englobe désormais la prise de parole dans les affaires publiques. « De nombreux chercheurs doivent répondre et conseiller des décideurs politiques », rapporte le président d’Euprio.

Pour aller plus loin : imaginer des ressources communes dans l’Union européenne ?

Tout au long du colloque de l’EUA-CDE, les établissements ont fait part des projets et ressources existantes pour la formation à la communication, une partie d’entre elles étant disponibles en accès libre. Ces initiatives émergent dans différentes universités mais essaiment rarement.

« Nous devrions travailler davantage ensemble, lance Gian-Andri Casutt, proposer des cours en ligne que nous pourrions dispenser en anglais dans toute l’Europe gratuitement. Nous pourrions mettre en place des outils tels qu’un site web pour apprendre à bien communiquer, à prendre la parole en public, impliquant tout le personnel de l’université. »

Des propos tenus lors de la première plénière du colloque 2023 de l’EUA-CDE

Le Conseil pour l’enseignement doctoral de l’Association des universités européennes (EUA-CDE) organisait à Lathi en Finlande des conférences autour du thème : « Recherche engagée, le rôle de la communication dans la formation doctorale ». Ce réseau, rassemblant 277 universités d’Europe réparties dans 38 pays, s’est attaché lors de sa première plénière à revenir sur le contexte et les enjeux de la communication pour les doctorants et chercheurs.

* Il a notamment travaillé à News Tank Éducation & Recherche, éditeur de Campus Matin.