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Immersion au sein du métier d’archiviste : dans les petits papiers d’une université

Par Léa Gerakos | Le | Personnels et statuts

Depuis le début des années 2000, les archivistes ont vu leur rôle renforcé au sein des établissements universitaires : charge à eux d’assurer la pérennité des documents produits en interne. De la collecte à la suppression, Campus Matin a suivi le quotidien fait de rigueur et de passion d’Anne Fernandez, archiviste à l’Université Toulouse Capitole.

L’archiviste en établissement assure le classement des documents produits par tous les services - © Léa Gerakos
L’archiviste en établissement assure le classement des documents produits par tous les services - © Léa Gerakos

«  Les archives forment un cycle : elle se vident et se remplissent aussitôt. Après la gestion des fonds, des dossiers non traités qui s’accumulent, les documents à supprimer sont repérés et des campagnes d’élimination sont organisées. » C’est ainsi qu'Anne Fernandez, chargée d’archives et responsable de l’accès aux documents administratifs à l'Université Toulouse Capitole décrit son métier.

Nous l’avons rencontrée, au sein du campus de l’Arsenal. Elle nous invite à la suivre à travers les salles d’archives, où elle fait le récit de ses différentes missions.

Des services relativement récents au sein de l’enseignement supérieur…

Anne Fernandez est archiviste à l’Université Toulouse Capitole après être passée par d’autres établissements toulousains. - © Arthur Perset
Anne Fernandez est archiviste à l’Université Toulouse Capitole après être passée par d’autres établissements toulousains. - © Arthur Perset

« Les services d’archives en université se sont constitués autour des années 2000, l’Université Toulouse Capitole a été l’une des premières à s’en doter », retrace Anne Fernandez.

Le service des archives de l’établissement toulousain a en effet été créé en 2003. Il est intégré à la direction des affaires juridiques et institutionnelles et a conservé, jusqu’à aujourd’hui, son nom initial de « mission archives ».

… mais un poste incontournable

En 2001, une circulaire du Premier ministre Lionel Jospin définit le rôle des chargés d’archives dans les établissements publics. Un document qui permet d’asseoir l’importance de cette fonction, garante de la traçabilité des évènements passés. « Les documents d’archives constituent une source irremplaçable d’informations pour l’enseignement et la recherche en sciences humaines, et en particulier pour l’histoire et ses disciplines associées », peut-on notamment lire. 

« Le recoupement de toute l’activité des services, c’est ici. Tout passe par les archives !, déclare Anne Fernandez. Depuis 2013, je suis fonctionnaire au sein de l’université, un statut qui a permis de stabiliser la fonction et d’asseoir l’importance de cette mission dans l’établissement. » En effet, la mission archives de l’université a progressivement gagné sa place comme service incontournable au fonctionnement de l’établissement.

« Sans les archivistes, on pourrait conserver beaucoup de choses mais ne se servir de rien. Nous participons à la construction de l’histoire de nos établissements, insiste-t-elle. Le poste d’archiviste dans les établissements publics est indispensable, car les archives publiques sont imprescriptibles et inaliénables. Elles sont rattachées à l’établissement, elles ne peuvent pas en sortir.  »

Les quatre grandes missions d’un archiviste

Anne Fernandez classe ses documents à la suite en les répertoriant dans un inventaire. - © Léa Gerakos
Anne Fernandez classe ses documents à la suite en les répertoriant dans un inventaire. - © Léa Gerakos

Anne Fernandez entre dans le détail de ses missions : « La gestion du cycle de vie du document, c’est notre spécialité. On ne peut pas facilement supprimer des documents d’archives. » En effet, l’archiviste doit veiller à ce que les règles soient respectées en matière de conservation, d’élimination et de communication des documents selon la production et la demande de chaque service.

« Nous avons quatre grandes tâches : la collecte, le classement, la conservation et la transmission », précise notre interlocutrice.

Collecter et sensibiliser les producteurs de documents

« Notre mission première est de faire de la collecte en allant dans les services pour expliquer les documents que nous souhaitons récupérer, mais aussi de sensibiliser les producteurs sur la question des archives : tout ce qu’il produit a une valeur probante pour l’établissement voire une valeur historique pour les chercheurs. »

Un livre d’or regroupe des photographies de ce qui deviendra le troisième campus de l’Université Toulouse Capitole : la manufacture des tabacs lors de sa construction - © Léa Gerakos
Un livre d’or regroupe des photographies de ce qui deviendra le troisième campus de l’Université Toulouse Capitole : la manufacture des tabacs lors de sa construction - © Léa Gerakos

En effet, de la présidence aux enseignants-chercheurs en passant par les directeurs généraux des services, la scolarité, l’administration, les ressources humaines… Tous les services et acteurs des universités sont des producteurs de documents et « n’importe quel document produit est une archive », explique Anne Fernandez.

Elle nous fait découvrir des documents tout juste sortis des salles d’archives : un livre de photographe dont les images témoignent de l’évolution du site universitaire et qui serviront à la création future d’une photothèque, des diplômes datant du 19e siècle n’ayant jamais été récupérés, de la correspondance, des listes de scolarité, des inventaires d’achats datant du 15 octobre 1970 ou encore des attestations de réussite…

Classer, sans quoi il serait impossible de retrouver

Parmi les tâches de l’archiviste : sensibiliser les services à l’importance du classement des documents en les épaulant dans la création d’une organisation adaptée à chaque production.

Anne Fernandez attribue une cote à chaque fois qu’un service transmet un document. - © Léa Gerakos
Anne Fernandez attribue une cote à chaque fois qu’un service transmet un document. - © Léa Gerakos

« Il faut être capable de s’adapter, comprendre, ne pas hésiter à poser des questions. Par exemple, je n’y connais pas grand-chose en matière de gestion de chantier, il me faut fournir la bonne information pour que mes interlocuteurs soient à l’aise dans leur production de documents et que, des années plus tard, ils soient capables de les retrouver grâce au classement logique et intuitif que nous les aurons aidés à instaurer », raconte l’archiviste.

Conserver selon des règles minutieuses

Classer les documents est une chose, les conserver en est une autre. En ce qui concerne les établissements de l’enseignement supérieur, les exigences ne manquent pas.

« Dans les universités, on hérite d’un bâtiment qui n’est pas fait pour la conservation des archives et nous devons faire en sorte que ce soit fonctionnel. Veiller à ce que les portes ferment à clé, qu’il n’y ait pas de danger de feu, d’inondation, prévoir des interventions rapides en cas de soucis techniques purs… Il faut parfaitement connaître les salles d’archive, savoir ce qui est dedans pour pouvoir sauver le plus important en cas de catastrophe. Nous en sommes garants. »

Anne Fernandez gère 15 salles d’archives dispersées sur quatre sites, équivalant à quatre kilomètres linéaires de documents environ. 

La finalité : faire vivre les documents archivés

Un diplôme de bachelier de 1838 est délivré « au nom du roi ». - © Léa Gerakos
Un diplôme de bachelier de 1838 est délivré « au nom du roi ». - © Léa Gerakos

Toutes ces précautions vont permettre, in fine, de transmettre des documents classés à la fois à des personnels ou des enseignants-chercheurs, mais aussi à des particuliers dans le cadre de recherches généalogiques par exemple. Les demandes sont diverses, les archives peuvent servir pour toutes sortes de projets, notamment des expositions.

« Ce qui est plaisant dans le milieu universitaire, avec le Service commun de documentation (SCD) et les bibliothèques universitaires, nous avons la facilité d’avoir des espaces pour exposer, des collègues pour nous conseiller, si l’on a une initiative il y a toujours moyen de faire quelque chose de constructif », estime Anne Fernandez.

Un réseau national pour les archivistes

L’association des archivistes français (AAF) est un réseau professionnel auquel peuvent adhérer des archivistes professionnels de différentes provenances : universités, départements, mairies… Siégeant à Paris, l’association regroupe plus de 3000 membres, issus du secteur public comme du secteur privé, et accueille plus de mille stagiaires à l’année. 

« L’idée est d’échanger sur les pratiques, les applications des nouvelles lois, de prendre du recul. L’association a une liste de diffusion sur laquelle les archivistes de tous bords communiquent, ça permet de répondre aux questions qui se posent lorsqu’on est en poste », décrit Anne Fernandez.

Et quand on ne peux plus conserver… il faut supprimer !

 Contrairement aux idées reçues, « l’activité préférée de l’archiviste c’est l’élimination d’archives. Ça ne sert à rien de tout conserver : c’est chronophage et ça prend la place, donc il faut faire des choix même s’ils sont parfois difficiles à faire ! », décrit notre interlocutrice. 

Les pieds dans le présent et la tête à dans trente ans

«  Nous avons les pieds dans le présent et la tête à dans 30 ans ! Qu’est-ce qui va intéresser les chercheurs dans tout ce que je récupère ? Comment va évoluer la recherche ? Le but de métier, c’est que les gens qui viendront après nous soient capables de reconstituer l’histoire de l’établissement à travers les documents que nous auront laissés », expose Anne Fernandez.

Les archives départementales comme dernier juge

L’archiviste voit passer tous types de documents, par exemple les prises de décisions de la gouvernance. - © Léa Gerakos
L’archiviste voit passer tous types de documents, par exemple les prises de décisions de la gouvernance. - © Léa Gerakos

Le tri se fait avec l’appui de son collègue du même service durant des temps forts de l’année : janvier, juillet et octobre. Une fois que les services producteurs des archives concernées par l’élimination ont donné leur accord, les dossiers amassés sont envoyés aux archives départementales. Celle-ci forment « le point névralgique de tous les services d’archives à l’échelle nationale. Elles exercent le contrôle scientifique et technique pour le compte de l’État. »

Par la suite, Anne Fernandez obtient un visa certifiant de l’élimination des documents, qui devient lui-même une archive témoignant de l’histoire des archives : « C’est aussi un document historique, un moyen en creux de savoir ce qu’il s’est passé », raconte cette dernière.

Des documents brûlés à défaut de pouvoir être recyclés

Concrètement, comment sont supprimées les archives ? « Aujourd’hui, notre prestataire les brûle, dit l’archiviste. Lorsque nous nous pencherons sur un plan de développement durable, il faudra trouver un autre moyen. Recycler oui, mais cela veut dire ni plastique, ni agrafes, ni trombones, il faudra prendre d‘autres habitudes au sein des services producteurs ». Un plan qui demandera donc des adaptations dès le début du cycle de vie du document.

Ce sont dans les sous-sols de l’établissement que les différentes salles d’archives se trouvent - © Léa Gerakos
Ce sont dans les sous-sols de l’établissement que les différentes salles d’archives se trouvent - © Léa Gerakos

Quelle évolution du métier à l’ère du numérique ?

Contrairement aux idées reçues, « nous ne sommes pas que dans nos vieux papiers, notre poussière et nos sous-sols. Nous évoluons en même temps que la technique qui permet de créer des documents », souligne Anne Fernandez.

« La numérisation des archives fait partie des préoccupations récurrentes aujourd’hui, rapporte Anne Fernandez. Le numérique facilite la recherche, car il offre des possibilités techniques permettant d’aller plus vite que du feuille à feuille », reconnait-elle.

Un vrac numérique comme un vrac papier doivent être rangés

Une solution qui ne présente néanmoins pas que des avantages. « Aujourd’hui, nous avons l’impression de pouvoir remplir des espaces et des espaces numériques alors que la question reste la même : des serveurs dans des salles refroidies où sont entassées des données… Il y a un enjeu écologique déjà d’une part, et d’autre part, les mêmes règles s’appliquent pour un vrac numérique comme pour un vrac papier, ils doivent être rangés pour entrer en salle d’archives si l’on souhaite pouvoir retrouver des informations. » Le cœur des missions de l’archiviste demeurent donc, au format papier comme numérique.

Le parcours d’Anne Fernandez

C’est lors de son DUT en information communication qu’Anne Fernandez découvre l’univers de la documentation, une révélation pour l’étudiante. Après un stage aux archives municipales de Toulouse puis des vacations dans plusieurs établissements publics, elle se spécialise lors de son master ingénierie documentaire option archives en 2009 à l'Université Toulouse 2 - Jean Jaurès.

Après avoir été contractuelle à la Cité administrative de la ville rose où elle a travaillé dans les caves et les services de la mairie, elle intègre l’Université Toulouse Capitole en 2010 comme archiviste et y découvre le fonctionnement administratif dans le supérieur. Mais Anne Fernandez ne s’arrête pas là et passe le concours de recrutement des Ingénieurs et personnels techniques, de recherche et de formation (ITRF), un succès qui lui confère une titularisation en tant que « chargée d’archives ».

Après un détour par les archives des affaires juridiques générales et des archives de l'Université Jean Moulin Lyon 3 où elle est responsable du service archives de 2013 à 2015, Anne Fernandez retourne à l’Université Toulouse Capitole : « Je savais que je voulais travailler dans l’enseignement supérieur. Nous sommes au cœur de la construction de l’histoire et je trouve ça passionnant », explique-t-elle.

En octobre, elle voguera vers de nouvelles aventures aux Archives départementales de la Haute-Garonne.