Métiers
&
carrières

« Les départs volontaires des hospitalo-universitaires, un phénomène à suivre de près »

Par La Rédaction | Le | Personnels et statuts

La désertion des hôpitaux publics par les personnels hospitalo-universitaires titulaires est peu médiatisée et a pourtant un impact majeur sur l'état et l’avenir de l’hôpital public. Intensification du rythme, conflit de valeurs, retraites moins avantageuses… Quel état des lieux pour les carrières hospitalo-universitaires dans un contexte de réformes annoncées par Emmanuel Macron ? Sarah Alves, professeure en gestion des ressources humaines à l’EM Normandie, fait le tour de la question dans une tribune pour Campus Matin.

Démissions et demandes de disponibilités sont en augmentation chez les hospitalo-universitaires. - © D.R.
Démissions et demandes de disponibilités sont en augmentation chez les hospitalo-universitaires. - © D.R.

Le 6 janvier dernier, le Président Emmanuel Macron présentait ses vœux au monde médical. L’occasion pour lui d’annoncer plusieurs mesures afin de remédier aux difficultés que rencontre l’hôpital français.

Parmi ces problématiques, un phénomène peu médiatisé et pourtant préoccupant : la désertion des hôpitaux publics par les personnels hospitalo-universitaires titulaires, à savoir les professeurs des universités-praticiens hospitaliers (PU-PH) et les maîtres de conférences-praticiens hospitaliers (MCU-PH).

Alors même que ces derniers constituent la pierre angulaire des soins, de l’enseignement et de la recherche dans les hôpitaux publics français.

Des démissions et des demandes de détachement en augmentation…

Depuis les données publiques du Centre national de gestion, on observe des départs volontaires d’hospitalo-universitaires selon trois modalités : les démissions, les disponibilités et les détachements.

Sarah Alves est professeure en gestion des ressources humaines à l’EM Normandie. - © LucieHodiesne
Sarah Alves est professeure en gestion des ressources humaines à l’EM Normandie. - © LucieHodiesne

Si la part des démissions des PU-PH est restée stable et faible, le phénomène a été plus prégnant chez les MCU-PH. Comparées à l’ensemble des motifs possibles de sorties définitives des effectifs (comme le départ en retraite), les démissions chez les MCU-PH ont augmenté de façon significative entre 2016 et 2022. Elles représentaient 15,87 % des modes de sorties des effectifs au 1er janvier 2016 et plus de 30 % pour l’année 2021.

La comparaison des données entre 2016 et 2022 montre en parallèle une évolution des demandes de disponibilité de plus de 50 % pour l’ensemble des hospitalo-universitaires et un doublement des demandes de détachement avec un rajeunissement de la population depuis 2016. Les disponibilités des hospitalo-universitaires sont motivées pour « convenance personnelle » à hauteur de 68,9 % (80,8 % pour les PU-PH et 52,6 % pour les MCU-PH).

Une prolongation d’activité en fin de carrière en chute

Enfin, s’il est possible pour un hospitalo-universitaire de prolonger son activité au-delà de l’âge légal, ces demandes de prolongation ont diminué de -76,2 % entre 2016 et 2022. Ces données montrent un désengagement de l’hôpital de la part des hospitalo-universitaires et un manque d’attractivité des institutions hospitalières. Si ce phénomène ne touche en valeur absolue qu’un faible nombre d’hospitalo-universitaires, les pourcentages sont plus éloquents.

Par ailleurs, ce phénomène vient se heurter au problème de démographie médicale observé depuis plusieurs années en France. Le Conseil national de l’ordre des médecins constatait en 2021 que les médecins de plus de 60 ans représentaient plus de 50 % de la population médicale ; les hospitalo-universitaires de plus de 60 ans atteignaient eux 26,7 % début 2022, alors qu’elle n’était que de 18,4 % début 2017. 

La recherche en lien avec cette tribune

La tribune de Sarah Alves, professeure en gestion des ressources humaines à l’EM Normandie, se fonde sur son article « Le départ volontaire des HU de l’hôpital public en France : quand lèvera-t-on le voile », publié par la Revue interdisciplinaire droit et organisations (Rido), no. 5, janvier-avril.

En cause, une intensification du rythme et crise de sens 

Ce désengagement est en grande partie dû aux conditions de travail à l’hôpital. Les nouveaux procédés de gestion — avec la mise en place de la tarification à l’activité (T2A) et du programme de médicalisation des systèmes d’information — ont conduit les hôpitaux, il y a deux décennies, à entrer dans une logique d’optimisation et de rationalisation des activités de soin.

Or, ce faisant, l’hôpital a perdu de vue sa mission de service public, une mission auxquels les hospitalo-universitaires sont pourtant fortement attachés. Il y a là le terreau pour que des conflits de valeurs naissent pour les soignants et qu’ils refusent de rester dans ces organisations de travail qui n’ont plus de sens pour eux.

Force est de constater par ailleurs une forte intensification du travail qui n’est pas seulement due à la crise sanitaire. Ce dernier est alors de plus en plus conduit en urgence. L’agressivité de tous devient latente, l’exigence émotionnelle grandit, mais c’est surtout le sentiment de ne pas pouvoir faire correctement son travail qui démobilise les personnels des hôpitaux.

Nouveaux modes de gouvernance, retraites… Les pistes d’amélioration

Parmi les mesures annoncées le 6 janvier 2023, s’attaquer aux conditions de travail, par le biais de la T2A et de l’organisation des 35 heures à l’hôpital, est certainement une bonne chose tant elles impactent négativement l’attractivité du métier de soignant dans ces contextes organisationnels. Réfléchir à de nouveaux modes de gouvernance, avec le tandem médico-administratif, constitue aussi sans doute un premier élément de réponse sur le problème de management que dénonçait déjà en 2021 le président de l’intersyndicale nationale des internes.

Mais régler la question managériale par le « haut » n’est pas suffisant. Il faut s’attaquer au management opérationnel et former les médecins à sa pratique. D’autres pistes sont à creuser. Le Ségur de la santé a, par exemple, négligé le volet universitaire de la santé et n’a pas traité une des revendications prioritaires des hospitalo-universitaires, à savoir l’amélioration de la retraite, comme le mentionnait une lettre ouverte du syndicat des hospitalo-universitaires.

Un sentiment d’injustice nourrissant incompréhension et ressentiment

Même s’ils partagent leur temps entre un mi-temps dédié à l’hôpital et un mi-temps dédié à la faculté, peu de personnes savent que la retraite des hospitalo-universitaires n’est en réalité établie que sur la base du salaire universitaire (les émoluments versés par les hôpitaux n’entrent pas dans l’assiette de calcul de la retraite). La retraite d’un hospitalo-universitaire correspond donc en réalité à l’équivalent d’une carrière professionnelle à mi-temps. Cette situation génère un sentiment d’injustice, nourrissant incompréhension et ressentiment.

Ces deux propositions nous renvoient à la longue liste de préconisations établie en 2021 par l’Académie nationale de médecine (voir encadré). Il y a urgence à agir, ce d’autant plus que, comme l’a indiqué le Président, ces mesures prendront plus ou moins de temps à produire des effets tangibles. 

Les 10 propositions de l’Académie nationale de médecine

Le 30 juin 2021, l’Académie nationale de médecine suggérait des pistes pour une meilleure attractivité des carrières hospitalo-universitaires : 

• Réfléchir sur la possibilité de modulation des critères de sélection et de formation en fonction de la discipline et du lieu d’exercice.

• Étendre la mission temporaire à une année entière avec maintien intégral du salaire.

• Assurer un rattrapage rapide dans l’intégration dans le corps des PU-PH.

• Diversifier les profils centrés sur la recherche, la pédagogie ou les soins.

• Prévenir les démissions des hospitalo-universitaires en agissant sur ses causes : organisation de l’activité, reconnaissance, stagnation salariale en milieu de carrière.

• Moduler le temps hospitalo-universitaire au sein du service et de l’équipe, de façon libre entre les membres de l’équipe et non individuellement.

• Reconnaitre la valence universitaire des services en instaurant un avis décisionnel du doyen pour la nomination des chefs de service des centres hospitaliers et universitaires.

• Promouvoir de façon volontariste l’égalité femmes-hommes.

• Revaloriser la carrière de manière significative en révisant la grille indiciaire dans son ensemble : début, milieu et fin de la carrière.

• Instaurer une pension de retraite sur l’intégralité de l’activité hospitalière.