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Covid-19 : les ingénieurs pédagogiques, acteurs centraux de la résilience

Par Marc Guiraud | Le | Management

« La place et le rôle des ingénieurs pédagogiques dans les universités vont gagner en importance dans la période post crise et ils seront des acteurs centraux de la résilience » déclare Hugo Gaillard, enseignant-chercheur en management à Le Mans Université, interrogé le 27/04/2020.

« Ce qui est majeur, c’est la découverte forcée ou contrainte des outils de travail collaboratif, et parfois du sens même du mot collaborer. »

Covid-19 : les ingénieurs pédagogiques, acteurs centraux de la résilience
Covid-19 : les ingénieurs pédagogiques, acteurs centraux de la résilience

Comment analysez-vous d’un point de vue RH la bascule brutale des personnels de l’ESR dans le télétravail ?

Pas tous égaux face au numérique

D’abord, remarquons qu’aucun chef de service, directeur d’UFR ou de département n’aurait pu faire accepter aussi vite un tel virage en matière de pratiques, d’outils, de processus, et de rapport au travail, que le Covid-19. 

Ensuite, de gré ou de force, avec le confinement, tous les collègues, académiques ou personnels administratifs, se sont mis au télétravail. Mais cette bascule forcée montre cependant que nous ne sommes pas tous égaux face au numérique. Pour tous ceux qui se servent de ces outils naturellement et sans y penser, combien de collègues dépassés, en difficulté, étonnements peu disponibles pour des confcall, mais prompts à répondre aux mails ?

Les populations travaillant dans l’ESR ont elles des spécificités dans leur rapport au télétravail ?

Beaucoup de télétravail pour les enseignants-chercheurs, mais sur la partie recherche de leur poste, pas sur la partie enseignement, même lorsque l’enseignement à distance existe, il intervient en complément du cours présentiel qui constitue majoritairement le pivot pédagogique des cours. Et ici nous ne parlons pas des enseignements qui induisent la pratique, la manipulation, le test, et à ce titre finalement, peu de disciplines sont vraiment épargnées.

S’atteler à la continuité de la recherche

Les réticences ou doutes sur l’enseignement à distance ont été balayés par la nécessité de la continuité pédagogique, et si ce n’est pas le cas, ils ont été mis de côté pour « l’effort de guerre ». Mais il va falloir maintenant s’atteler à la continuité de la recherche, parce que, pour un certain nombre d’entre nous, les protocoles induisent des manipulations en laboratoire, des observations ou des enquêtes de terrain, bref, tant que choses qui semblaient évidentes il y a peu, et qui relèvent du rêve éveillé aujourd’hui.

Une bascule aussi large et instantanée dans le télétravail n’a pas pu, par définition, être accompagnée en amont…

Entraide numérique entre collègues

Oui et non, les établissements d’enseignement supérieur avaient heureusement développé des actions de formation au numérique dans les années précédentes. Les ressources numériques étaient le plus souvent existantes, disponibles, mais pas ou peu utilisées. Les ingénieurs pédagogiques existent dans les universités, ils sont en général forces de propositions pour présenter les outils dans les laboratoires, ou travailler de manière plus individualisée avec les enseignants-chercheurs. Je pense que leur place et leur rôle vont gagner en importance dans la période post crise et qu’ils seront des acteurs centraux de la résilience.

Et nous avons aussi constaté l’existence d’une solidarité et d’une entraide numérique entre collègues. Parfois, les soutiens sont venus en coulisses des conjoint(e)s, et finalement ce virage serré vers le numérique a été plutôt bien négocié.

Enseignants-chercheurs et personnels administratifs ont tous installé chez eux un espace de travail, plus ou moins pratique, mais attention au blurring, cette fameuse difficulté à distinguer le temps professionnel du temps personnel au travail.

Ce qui est majeur, c’est la découverte forcée ou contrainte des outils de travail collaboratif, et parfois du sens même du mot collaborer.

Etudiants Le Mans Université - © Marion Billou
Etudiants Le Mans Université - © Marion Billou

L’occasion d’une prise de conscience, d’une certaine manière ?

Outil incroyable (et presque inespéré) pour les DRH

Les individus qui pensaient pouvoir se passer du numérique et se mettaient en retrait des transformations digitales sont désormais conscients de l’état de leurs compétences et de leur dépendance à un système non numérisé. Les collègues de ces individus sont eux aussi désormais conscients de ces difficultés.

Le confinement chamboule le contenu et la répartition du travail. Le passage à distance a pu induire pour de nombreux personnels un glissement de la charge de travail vers leurs collègues plus habiles, ce qui en situation de crise ne cause que peu de dommages, mais laissera des traces a posteriori. Attention également aux séquelles, sur l’estime du soi professionnelle ou les relations professionnelles

Cette crise est aussi un outil incroyable (et presque inespéré) pour les DRH, pour détecter les besoins en compétences des établissements, et des individus qui doivent les acquérir. De ce point de vue, cette situation est bien plus efficace qu’un entretien annuel d’évaluation, qu’une évaluation à 360 degrés ou qu’un bilan de compétence.

En septembre, l’enseignement à l’université reprendra-t-il comme avant le corona virus, ou bien la bascule dans le digital learning est-elle irréversible ?

Assurer les conditions les meilleures aux étudiants

J’aimerais vraiment connaître la personne qui a une réponse certaine à cette question. Je ne sais pas ce qui se passera en septembre, mais on peut envisager au moins  deux types de comportements post crise : d’un côté les enseignants qui ont découvert ou redécouvert les apports du numérique pour la pédagogique et qui se saisiront de cette « révélation » pour compléter leurs dispositifs présentiels (à considérer que le présentiel reprenne effectivement) ; et d’un autre côté, ceux qui auront rencontré de nombreuses difficultés avec la distance pédagogique, et qui s’empresseront par de multiples stratégies, de retrouver la situation initiale, en tout présentiel.

D’une manière générale, l’incertitude, légitime parce que liée à l’évolution elle-même incertaine de l’épidémie, nous pousse à la prudence.

Personne n’oublie que le cœur de cette situation, l’essence de notre mission, est d’assurer les conditions les meilleures aux étudiants, notamment à tous ceux qui sont bien plus impactés que les enseignants-chercheurs : confinés dans 9 m2, consultant les cours sur smartphone pour certains, disposant d’une connexion internet limitée ou nulle.

Le Mans Université - © D.R.
Le Mans Université - © D.R.

https://www.hugogaillard.fr/2018/11/08/bio/