Numérique

Les pistes des lauréats Demoes pour fluidifier la collaboration entre universités et edtechs

Par Isabelle Cormaty | Le | Edtechs

À la demande des pouvoirs publics, les 17 établissements lauréats de l’AMI « Démonstrateurs numériques dans l’enseignement supérieur » travaillent sur des préconisations pour favoriser l’essaimage des projets. Voici les premières pistes proposées par le groupe de travail sur la collaboration avec les edtechs pour favoriser la contractualisation avec les entreprises du secteur.

Les 17 lauréats de l’AMI Demoes se sont partagés une enveloppe de 110 millions d’euros.  - © France Universités - Université de Haute-Alsace
Les 17 lauréats de l’AMI Demoes se sont partagés une enveloppe de 110 millions d’euros. - © France Universités - Université de Haute-Alsace

Manque de formation des enseignants aux enjeux du numérique, difficulté à trouver un modèle économique gagnant-gagnant entre entreprises edtechs et établissements du supérieur ou encore financements exclusivement sur projets… Les freins au développement des edtechs dans l’ESR sont nombreux comme détaillé dans le livre blanc de cinq associations du secteur, publié fin février. 

17 établissements lauréats, en octobre 2021, de l’appel à manifestation d’intérêt Démonstrateurs numériques dans l’enseignement supérieur (Demoes) travaillent eux avec des entreprises edtechs pour le déploiement d’outils de transformation numérique au service de l’enseignement. 

Avant la fin des projets en 2025, les lauréats devront remettre à l’État des préconisations pour faciliter l’essaimage. Sept groupes de travail thématiques se sont constitués pour élaborer un « livre blanc ». L’un d’entre eux, animé par la pilote politique et stratégique du projet Demoes de l’Université de Picardie Jules Verne, concerne la collaboration avec l’écosystème edtech. 

« Les universités et les edtechs sont conscientes de l’intérêt de travailler ensemble. Les établissements veulent aller vers la edtech sur des sujets qu’ils maîtrisent peut-être, mais qu’ils feraient moins bien ou moins rapidement », commence Lucie Jacquet-Malo qui a notamment échangé avec les associations représentatives des edtechs — l’Afinef et EdTech France — dans le cadre du groupe de travail.

Revoir les procédures d’achats publics

Le principal frein à la collaboration entre la edtech et les établissements réside dans les procédures d’achat public « trop rigides », d’après la responsable du groupe de travail.

Lucie Jacquet-Malo est la pilote politique et stratégique du projet Demoes de l’Université de Picardie Jules Verne. - © D.R.
Lucie Jacquet-Malo est la pilote politique et stratégique du projet Demoes de l’Université de Picardie Jules Verne. - © D.R.

« Nous avons demandé aux tutelles la simplification des procédures d’achat. En dessous d’un certain seuil, on pourrait rendre les achats plus simples, comme pour les achats innovants, il faudrait inciter les directions financières des établissements à procéder à ce type d’achat », souligne-t-elle.

Depuis 2021, les établissements peuvent en effet procéder à un achat innovant, c’est-à-dire acheter sans publicité ni mise en concurrence pour des fournitures ou services innovants, inférieurs à 80000 euros.

Le groupe de travail sur la collaboration avec la edtech a également demandé au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche de rejoindre le mouvement « je choisis la French Tech », qui encourage l’achat public et privé auprès des start-up tricolores.

Former les agents comptables et responsables financiers

« Il y a un besoin de formation des directions financières, des agents comptables, des gouvernances et des edtechs. Nous voulons mettre en place des retours d’expérience et créer un plan de formation en lien avec les associations des directeurs généraux des services et des agents comptables », avance Lucie Jacquet-Malo.

Objectif : inciter les établissements à faire des marchés négociés sans passer systématiquement par des centrales d’achat, simplifier la contractualisation et en réduire la durée. Les délais peuvent en effet aller jusqu’à 18 mois, ce qui est incompatible avec le fonctionnement des start-up.

« L’Université de Picardie Jules Verne a fait une demande en juin pour être affiliée à Nolej, nous avons eu une réponse des centrales d’achat seulement fin mars », illustre-t-elle. 

Avoir un portage politique

La pilote du groupe de travail invite également les gouvernances des établissements à avoir un portage fort de la stratégie de contractualisation avec les edtechs. Elle suggère par exemple de nommer une personne référente chargée des relations avec les edtechs ainsi qu’un comité qui définisse la stratégie de contractualisation avec les entreprises du secteur de l’éducation.

Ce comité pourrait inclure le référent edtech, le directeur des systèmes d’information, les vice-présidents numériques et de la commission formation et vie universitaire (CFVU), des enseignants, la direction des finances, des ingénieurs pédagogiques et des représentants étudiants. 

« L’intégration d’outils edtechs est fondamentale pour la réussite étudiante. Les vice-présidents numériques et CFVU doivent être partie prenante du projet. Tous les établissements n’ont pas dans leur gouvernance une personne qui suit la stratégie edtech », constate Lucie Jacquet-Malo.

Inventer de nouveaux modèles économiques

Avec des financements essentiellement liés à des appels à projets, quid de la pérennisation de ces solutions edtechs utilisées pour une durée déterminée ? « Les établissements prennent des abonnements, mais n’ont pas la possibilité de les pérenniser à la fin des appels à projets. Nous voulons trouver une nouvelle manière de contractualiser », explique Lucie Jacquet-Malo. 

Pour son projet Demoes, l’Université de Haute Alsace a collaboré avec la edtech KDetude spécialisée dans les mathématiques. - © UHA
Pour son projet Demoes, l’Université de Haute Alsace a collaboré avec la edtech KDetude spécialisée dans les mathématiques. - © UHA

Au cœur de cet enjeu figure la question de la propriété intellectuelle des outils coconstruits entre une entreprise et une université. « Dans le cadre de Demoes, la société Kdetude a développé un code open source qu’elle a vendu à l’Université de Haute Alsace. L’établissement peut ensuite modifier le code et l’entreprise le retravailler pour le proposer à d’autres établissements. Cette stratégie gagnant-gagnant nous semble intéressante », détaille la pilote politique et stratégique du projet Demoes de l’UPJV.

Un événement national prévu

Pour permettre aux établissements et aux edtechs de dialoguer, se former voire réfléchir à de nouveaux modes de contractualisation, le groupe de travail sur la collaboration avec la edtech souhaite organiser dans les mois qui viennent un événement national. 

Pour les edtechs, des prérequis pour travailler avec l’ESR

Côté edtech, quelques impératifs aussi s’imposent aux entreprises. À commencer par l’interopérabilité avec Moodle, le LMS utilisé dans la plupart des établissements publics.

« La réussite étudiante passe par une expérience optimale. Un jeune qui entre dans le supérieur se crée déjà un compte CAF, Amei et à l’université. S’il doit en créer un sur chaque plateforme edtech, cela devient ingérable. Il est également plus simple pour les enseignants de faire des exports sur Moodle », précise-t-elle.

L’hébergement des données au cœur des préoccupations

L’hébergement des traces d’apprentissage en interne répond à une autre problématique : le respect du RGPD et le stockage des données en Europe.

« Les délégués à la protection des données sont souvent frileux, quand une entreprise edtech a un abonnement Amazon Web Services pour stocker ses données. Il ne faut pas refuser systématiquement de travailler avec ces edtechs, mais développer en parallèle les data centers labellisés et encourager les entreprises qui sont hébergées là-bas », ajoute la pilote du groupe de travail. 

La labellisation de solutions écartée par le groupe de travail

Enfin, le groupe de travail a écarté à l’unanimité la labellisation de solutions. « Un label accentuerait la fracture entre les petites edtechs qui se lancent et celles qui sont déjà installées sur le marché et cela ne permettrait pas à la France d’être compétitive par rapport aux autres pays », met en garde Lucie Jacquet-Malo.

Six autres groupes de travail transversaux

En plus du groupe sur la collaboration entre universités et edtechs, six autres groupes de travail transversaux réunissent les 17 lauréats de l’AMI Demoes. Ils concernent : 

• l’université inclusive et le bien-être étudiant ;
• les apprentissages nomades ;
• les démarches et usages des e-portfolio ;
• la pédagogie et les nouveaux environnements virtuels ;
• la construction d’une transformation numérique responsable ;
• la stratégie et le pilotage de la transformation numérique.

La coordinatrice nationale de la stratégie pour l’enseignement et le numérique au SGPI, Mireille Brangé a demandé à chacun de ces groupes de creuser la question de l’IA, l’articulation avec la recherche et l’accompagnement à la conduite du changement.

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