Vie des campus

Les auto-stages, l’alternative de secours face à la pandémie ?

Par Marine Dessaux | Le | Expérience étudiante

Le concept en a rendu perplexe plus d’un : l’auto-stage consiste un en « accueil par lui-même d’un étudiant entrepreneur ». C’est du moins la définition de la Dgesip dans une récente circulaire pour l’assouplissement des stages. Alors, voie de secours ou réelle alternative pour un apprentissage pratique différent ? Campus Matin a posé la question.

L’auto-stage se fait par définition seul, sans encadrement obligatoire mais doit être gratifié. - © CPU - Université de Lorraine
L’auto-stage se fait par définition seul, sans encadrement obligatoire mais doit être gratifié. - © CPU - Université de Lorraine

Nés avec le statut d’étudiant-entrepreneur à la rentrée 2014, les auto-stages n’en portaient alors pas le nom. On parle d’abord de « substitution de stage », c’est-à-dire de la possibilité pour les étudiants de travailler dans leur entreprise sur le temps du stage.

Cette alternative au stage classique est néanmoins relativement peu utilisée et souvent cantonnée aux projets soutenus par les Pôles étudiants pour l’innovation, le transfert et l’entrepreneuriat (Pépite).

Elle est cependant revenue sur le devant de la scène dans une récente circulaire de la Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (Dgesip) listant les possibilités d’assouplissement des stages étudiants, qui utilise pour la première fois le terme d’auto-stage. En effet, dans la circulaire du 15 février 2021 , on peut lire :

« Les assouplissements peuvent être relatifs à la forme du stage. Notamment : (…) les «auto-stages » : accueil par lui-même d’un étudiant-entrepreneur. La convention de stage comportera alors comme organisme d’accueil l’entreprise de l’étudiant-entrepreneur. »

Une désignation un peu particulière qui n’a pas manqué de faire réagir la communauté ESR sur les réseaux sociaux. Et pour cause : quel est l’intérêt d’un stage - qui consiste en une période d’apprentissage pratique au sein d’une entreprise - si l’étudiant doit réaliser cet accueil « par lui-même » dans sa propre structure ?

Campus Matin a posé la question à deux écoles et à un ancien étudiant-entrepreneur qui a bénéficié de ce dispositif.

À l’Iscom, des auto-stages à la marge

Cécile Montigny est directrice innovation entreprises et carrières à l’Iscom - © Iscom
Cécile Montigny est directrice innovation entreprises et carrières à l’Iscom - © Iscom

« Nous mettons en place quelques auto-stages, mais très peu - deux seulement cette année - car la validation de ces derniers dépend de beaucoup de critères. Un encadrement très particulier est mis en place pour l’étudiant qui souhaite faire son stage dans sa propre structure ou dans l’optique d’en développer une », explique Cécile Montigny, directrice innovation entreprises et carrières à l’Institut supérieur de communication (Iscom).

Au sein de l’école de communication et publicité parisienne, les élèves peuvent demander à faire un auto-stage soit parce qu’ils sont déjà auto-entrepreneurs, soit parce que leur projet est « à un stade de réflexion poussée », précise Cécile Montigny.

Dans un cas comme dans l’autre, ces stages doivent être accompagnés :

  • en faisant une demande auprès du Pépite CréaJ IDF, afin d’obtenir le statut d’étudiant-entrepreneur et de bénéficier des divers dispositifs mis en place par le Pépite (formations, espaces de co-working etc) ;
  • ou en se tournant vers l’Union des couveuses, une association partenaire de l’Iscom.

« Pour nous, il fallait que les auto-stages soient aussi structurants qu’un stage classique, témoigne Cécile Montigny. Ainsi, chaque étudiant réalisant un stage dans sa propre structure, un accompagnement avec des points d’étapes réguliers est mis en place. Au cours de son activité, l’étudiant-entrepreneur doit également constituer un dossier entrepreneurial qu’il présentera à un jury en fin d’année. »

Dans les faits, il existe donc une forme d’encadrement pour les auto-stages. Et, en termes de locaux, pour éviter l’isolement des « auto-stagiaires », l’école ouvre ses portes. « Avec la crise sanitaire, l’école est également ouverte pour les étudiants en télétravail », ajoute Cécile Montigny.

Une possibilité d’assouplissement qui n’est pas utilisée comme telle

Si la crise sanitaire est à l’origine des mesures d’assouplissement pour les stages mises en place par le gouvernement, les élèves de l’Iscom n’ont pas eu recours aux auto-stages pour combler un potentiel déficit d’opportunités.

« Sur plus de 400 élèves, seules deux personnes n’ont pas encore de stage. Nous n’avons pas eu à favoriser d’autres formes d’assouplissement que d’adapter la durée et la place du télétravail dans les stages », précise la directrice innovation entreprises et carrières.

En effet, l’auto-stage peut difficilement être une voie de secours dans la mesure où il requiert un investissement de temps de l’établissement et de la structure accompagnante. « L’auto-stage s’adresse à des étudiants qui, même s’ils ne souhaitent pas nécessairement en vivre, travaillent sur des projets qui ne sont pas à courte durée. Cela demande une vraie mobilisation pour aider à la construction du business model », rapporte Cécile Montigny.

À l’Ensta Bretagne, les auto-stages ne sont pas conseillés

Antonin Raffarin est responsable entreprenariat à Ensta Bretagne - © D.R.
Antonin Raffarin est responsable entreprenariat à Ensta Bretagne - © D.R.

À l’école d’ingénieurs Ensta Bretagne, les étudiants ont théoriquement la possibilité de faire des auto-stages. Mais, cela ne s’observe pas en pratique, car cette alternative n’est pas recommandée par le responsable entrepreneuriat, Antonin Raffarin.

« Je ne conseille pas aux étudiants de faire un auto-stage, témoigne-t-il. Je me base sur mon expérience personnelle : j’ai créé une entreprise et il s’est avéré que mon expérience sur le terrain a été très bénéfique. »

« Il y a tout l’aspect management à apprendre. Faire un stage dans une structure permet d’avoir accès à des retours d’expériences, d’identifier les différents pôles à maîtriser au sein d’une entreprise. De plus, le réseau joue énormément pour la suite ».

Il explique que, souvent, les ingénieurs ont une très bonne maîtrise du produit et moins de l’aspect commercial quand les profils marketing ont au contraire une très bonne stratégie, mais du mal à passer à l’échelle dans la production.

Par ailleurs, « il y a la problématique du moral, aussi, quand l’étudiant est laissé à lui-même, souligne Antonin Raffarin. Laisser l’étudiant se débrouiller seul me parait très compliqué aujourd’hui. Sauf s’il est entouré par un incubateur par exemple ».

Découvrir différentes structures et travailler sur son projet à côté

Ainsi, Antonin Raffarin conseille aux étudiants-entrepreneurs de faire des stages dans différentes structures, autres que la leur. « Tout est bon à prendre ! Si on veut balayer l’aspect management humain, dans un grand groupe, il y aura un côté hiérarchique qu’on ne pourra pas retrouver dans une start-up. À l’inverse, une petite structure type start-up permet de balayer tous les pôles. Nous encourageons les étudiants à faire des stages dans des structures opposées pour qu’ils se rendent compte des problématiques dans chaque cas de figure. Plus il y a d’expérience, plus y a de problématiques soulevées. »

Et, même en faisant un stage, l’étudiant peut travailler sur son entreprise à côté. « Cela rajoutera une charge de travail, mais s’il y a de la motivation derrière, c’est possible », ajoute Antonin Raffarin.

Par ailleurs, comme pour l’Iscom, l’Ensta n’a pas eu à recourir à l’assouplissement proposé par le Mesri pour aider ses étudiants à trouver un stage. « Là seule chose sur laquelle il y a eu un changement c’est l’obligation de passer six mois à l’international », indique le responsable entrepreneuriat.

« Je n’aurais pas pu faire tout ça si je n’avais pas pris la décision de faire mon stage dans ma propre entreprise »

Adel Lusakula a fondé son entreprise pendant ses études et a opté pour un auto-stage - © D.R.
Adel Lusakula a fondé son entreprise pendant ses études et a opté pour un auto-stage - © D.R.

Ancien étudiant-entrepreneur de l’Isae-Ensma, Adel Lusakula travaille à la conception de drones pour le sauvetage en haute montagne depuis sa première année au sein de l’école d’ingénieurs, en 2017/2018. Il gagne d’ailleurs dès cette première année de maturation, le prix régional du projet innovant et social du concours Pépite.

En deuxième année, quand vient le moment de choisir où effectuer son stage, il opte pour sa propre start-up. « J’étais le premier de mon école à essayer ce format, raconte-t-il. C’est le Pépite de l’Université de Poitiers - où j’ai commencé à suivre des cours début 2018 - qui nous a présenté cette alternative et j’y réfléchissais depuis quelque temps. Cela me permettait de me concentrer encore mieux sur mon projet, de tester et de voir comment être autonome. »

Un encadrement et une débrouillardise indispensables

L’encadrement de cet auto-stage n’est alors pas obligatoire, mais Adel Lusakula trouve par lui-même un accompagnant - un ancien de son école - pour le suivre sur les aspects de recherche et développement.

Lors de réunions mensuelles, ils avancent sur le développement du projet d’entreprise. « La partie juridique nous a pris énormément de temps. À ce stade, étant étranger, il était loin d’être simple de fonder une entreprise », rapporte le fondateur de Queen Cassiopeia.

Il profite également de ces six mois à travailler sur son projet pour se former. Débrouillard, il entre en contact avec deux associations qui l’aident dans le développement de ce projet.« Je lis beaucoup de livres, ça peut m’aider à avoir un retour. J’essaie aussi de côtoyer au maximum des entrepreneurs, pour apprendre de leur expérience. Aujourd’hui, j’ai deux parrains qui sont des chefs d’entreprise que je peux contacter lorsque j’ai des difficultés », dit-il.

Retour positif

Avec le recul, l’entrepreneur est très positif sur son expérience en autonomie : « En école d’ingénieurs, il est difficile de diminuer le temps passé à étudier, j’ai donc été vraiment content d’avoir du temps dédié à mon projet. Le fait d’être seul chez moi pendant cette période ne m’a pas énormément dérangé ».

La seule problématique qu’il soulève est une question de statut : « Comme je n’étais pas encore une entreprise, je n’avais pas accès à l’atelier pour la fabrication du drone. Il n’y avait pas de créneau prévu pour mon cas particulier ».

Aujourd’hui, l’entreprise d’Adel Lusakula s’apprête à présenter son premier prototype. Il a remporté un deuxième prix Pépite et a été finaliste d’une compétition du premier salon aéronautique à la Réunion. Il a également reçu une lettre d’appui du ministère de la relance.

« Je n’aurais pas pu faire tout ça si je n’avais pas pris la décision de faire mon stage dans ma propre entreprise », assure-t-il.

Auto-stage et rémunération

« Attention, le stage devra être gratifié au plafond légal pour des questions de couverture accident », précise la circulaire de la Dgesip.

Comme tous les stages de plus de deux mois, la gratification des auto-stages est obligatoire. Une complication de plus pour les aspirants auto-stagiaires qui ne gagnent pas encore d’argent par le biais de leur entreprise, et ne peuvent donc pas se verser de salaire.

D’ailleurs, les trois entités interrogées n’ont pas recours à la gratification : soit en restreignant la durée du stage à deux mois, soit en incitant les étudiants à souscrire à une mutuelle spécifique, soit parce qu’ils bénéficient du statut auto-entrepreneur.