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« Il fallait faire le deuil de notre compte Twitter » : l’interview de Céline Authemayou, Groupe Insa

Par Léa Gerakos | Le | Relations extérieures

C’est une première dont le Groupe Insa se serait bien passé : son compte Twitter a été verrouillé par la firme d’Elon Musk en février. Malgré différentes tentatives, l’institution n’a pas réussi à reprendre la main et a désormais fait une croix sur le réseau social à l’oiseau bleu. Céline Authemayou, chargée de communication, explique les conséquences de ce black-out et les alternatives envisagées, au premier rang desquelles LinkedIn.

La communication de l’ESR doit-elle déserter twitter ? - © freepik
La communication de l’ESR doit-elle déserter twitter ? - © freepik

Le battement d’ailes d’un oiseau bleu en Californie peut-il déstabiliser la communication d’écoles d’ingénieurs en France  ? Oui, à en croire l’expérience malheureuse du Groupe Insa sur Twitter. Compte bloqué, service client aux abonnés absents et finalement abandon du réseau social… Voici l’enchaînement que décrit Céline Authemayou, chargée de projet communication du groupe. Preuve que les manœuvres stratégiques du milliardaire Elon Musk, qui a racheté Twitter en 2022, ont des conséquences jusque dans l’enseignement supérieur français.

L’ancienne consultante chez Canévet et associés, qui fut aussi journaliste à l’Étudiant, était aux premières loges en février lorsque l’affaire a débuté et a tout tenté pour y remédier. Pour Campus Matin, elle partage son analyse et les solutions imaginées avec ses collègues.  

Pourquoi le compte Twitter du Groupe Insa s’est-il retrouvé bloqué en février ? 

Céline Authemayou : Tout a commencé en février avec une notification qui indiquait que le compte du Groupe Insa avait été verrouillé à la suite d’une activité suspecte, ce qui m’a évidemment surprise au vu de notre activité très sage et institutionnelle, comme beaucoup de comptes de notre secteur. Nous partagions de l’information sans exprimer de positionnement et nous étions trois collègues à nous partager l’accès à la page pour en assurer la veille et l’interaction, elle n’était donc pas ouverte à pléthore de personnes. 

Même s’il n’avait pas énormément d’abonnés, autour de 7 850, le @groupeinsa était quand même un canal dont la ligne éditoriale permettait la valorisation de la recherche. Outre les actualités institutionnelles classiques, nous mettions en avant les articles de nos chercheurs dans The Conversation et partagions les travaux de nos Insa. Cette ligne éditoriale était spécifique à Twitter, nous ne l’avions sur aucun autre canal.

Comment avez-vous réagi  ? 

Céline Authemayou : Dès la réception du message, j’ai cherché à contacter le service après-vente (SAV). C’est là que j’ai constaté que tout passait par des tickets. Il m’a d’abord fallu trouver le bon ticket à ouvrir étant donné qu’il y a plusieurs situations et façons de contacter le SAV. J’ai suivi celui qui me paraissait le plus approprié, à savoir « votre compte a été verrouillé et vous n’en connaissez pas les causes ». Au bout de quatre ou cinq jours après le dépôt de ce ticket, je n’avais toujours pas de nouvelles. Donc j’ai essayé plusieurs autres tickets. 

On ne retrouvera plus jamais ce compte

Pendant un mois nous avions espoir de reprendre la main dessus, mais lorsque le délai des 30 jours est arrivé, nous avons fini par nous rendre à l’évidence que l’affaire s’annonçait compliquée. Si un compte n’est pas déverrouillé dans ce délai, c’est peine perdue en général. J’ai fait des tickets, encore et encore, jusqu’à cette échéance. Depuis le black-out nous avions aussi perdu tous nos abonnements, aujourd’hui au nombre de zéro.

On ne reprendra plus la main sur ce compte. C’est très embêtant d’autant plus qu’il continue d’exister. J’aurais préféré qu’il soit supprimé, plutôt qu’il existe toujours sans que nous puissions avoir prise dessus. 

Quels sont les recours à votre disposition  ? 

Céline Authemayou : J’ai tout de même continué à chercher, notamment dans les archives avec mes collègues. Nous voulions nous assurer de n’avoir rien raté, mais tout semblait correct. 

J’ai contacté des cadres de Twitter sur LinkedIn

J’ai poursuivi mes recherches auprès d’experts. J’ai contacté des cadres de Twitter sur LinkedIn, j’ai visé des personnes qui évoluent dans le secteur des réseaux sociaux et de la communication numérique, comme des journalistes Tech ou des personnes qui connaissaient quelqu’un qui connaissait quelqu’un… Rien n’a été concluant, la réponse systématique était : il faut passer par les tickets.

Nous avons donc décidé d’officialiser la perte du compte fin avril, pour informer nos communautés de ce black-out, si tant est que nous touchions les mêmes cibles sur LinkedIn et sur Twitter.

Et maintenant, va-t-il y avoir un nouveau compte pour le groupe Insa sur Twitter  ? 

Nous n’avons pas d’exemple à suivre

Céline Authemayou : Aujourd’hui nous devons trancher collectivement avec mes collègues sur la question de la création d’un nouveau Twitter pour le groupe. C’est une décision compliquée à prendre. Nous sommes visiblement les premiers à en faire les frais donc nous n’avons pas d’exemple à suivre. Twitter continue d’être énormément utilisé, malgré les différentes problématiques techniques et politiques du moment. Mais ce n’est pas aisé de revenir sur un réseau social en partant de zéro alors que l’engagement y est très faible. 

Des médias américains comme la National Public Radio (NPR) ou le Public Broadcast System (PBS) ont eu des positions très tranchées - et politiques  ! - en quittant Twitter. Je pense aussi au Massachusetts Institute of Technology (MIT) qui s’est retrouvé obligé de préciser dans un tweet n’avoir jamais payé pour le badge bleu. Jusqu’à présent, pour obtenir la pastille bleue de la certification, il fallait envoyer un formulaire à Twitter pour déclencher les vérifications de fiabilité sur le compte en question. En instaurant le paiement à hauteur de huit dollars par mois pour l’obtention de cette certification, Elon Musk a changé la donne, ôtant à ces pastilles leur gage d’authenticité. Payer pour ce badge c’est mettre un doigt dans l’engrenage. 

Nous ne nous comparons bien évidemment pas à ces médias et aujourd’hui, il est difficile d’avoir une position radicale de se dire « on n’y va plus ». Pour autant, avons-nous envie de déployer du temps et de l’énergie pour reconquérir ce réseau  ? C’est toute la question.

Le sondage posté sur LinkedIn par Céline Authemayou - © D.R.
Le sondage posté sur LinkedIn par Céline Authemayou - © D.R.

J’ai tendance à dire que non, même si ça crève le cœur de se dire que ce compte existe toujours et que les personnes que nous avons pu toucher avec ne sont plus accessibles. On se questionne encore, mais je pense que l’on penche davantage vers le fait de ne pas en recréer.  

Au message posté sur LinkedIn, nous avions ajouté un sondage, plus pour créer une interaction que pour guider notre décision. Sur les 300 réponses recueillies à la question « le Groupe Insa doit-il revenir sur Twitter », trois quarts des répondants ont répondu non.

Quel avenir envisagez-vous concernant la place du groupe Insa sur les réseaux sociaux  ?  

Céline Authemayou : Aujourd’hui nous avons investi plusieurs réseaux sociaux, notamment LinkedIn. Les taux d’engagement et nombre d’abonnés sont montés en flèche dans le courant de l’année : en dix mois nous avons eu plus de 190 % d’abonnés dessus, avec la volonté d’en faire notre canal principal de communication. Nous y retrouvons toutes nos cibles : personnel, étudiants, alumni, potentiels partenaires, jeunes diplômés. C’est un réseau que j’ai personnellement pas mal investi.  

Nous sommes également sur Instagram depuis janvier 2022. Le nombre d’abonnés y monte doucement contrairement à LinkedIn, mais la campagne de communication #OsezLeGroupeInsa de cet hiver a donné de très bons résultats. 

Nous nous posons la question de rejoindre Mastodon pour remplacer Twitter. Mais à l’heure où la notion de communication responsable doit toutes et tous nous préoccuper, il faut prendre le temps de se questionner : outre les questions classiques, portant sur la cible et la ligne éditoriale, celle de l’investissement que nous sommes prêts à y consacrer doit être traitée. Doit-on en profiter pour recentrer nos modèles  ? Moins dire pour mieux dire, en résumé  ? Finalement, pour reprendre les mots de ma collègue Véronique Desruelles, directrice de la communication du groupe, voyons dans cette mauvaise expérience, une vertu  !

À ce jour, je n’avais rien vu de tel. Le groupe Insa est le premier établissement de l’enseignement supérieur à quitter Twitter. La démonstration de tout cela, c’est que l’on est très dépendant d’un outil sur lequel nous n’avons pas la main.