Comment des universités françaises accompagnent la transformation pédagogique à l’étranger ?
La coopération internationale fait partie intégrante de la stratégie des universités françaises. Dans certains cas, elle peut aussi donner lieu à des projets d’innovation pédagogique d’envergure avec des partenaires étrangers. Retour d’expérience avec les universités de Strasbourg et de Caen.

Depuis 2024, l’Université de Strasbourg accompagne le Vietnam dans sa transformation numérique, dans le cadre du projet ACCEES. L’objectif du projet : accompagner les établissements d’enseignement supérieur vietnamiens dans leur transformation pédagogique et numérique. Doté d’un financement Erasmus + de 1,1 millions d’euros, le projet mobilise un consortium européen composé des universités de Strasbourg, Mons (Belgique) et Patras (Grèce), 11 partenaires vietnamiens ainsi que l’Agence universitaire de la francophonie (AUF).
Le projet est né sur les bases de coopérations anciennes avec ce pays, et à l’aide d’un doctorant, Nguyen Tan Dai, originaire du Vietnam : « C’est lui, qui a monté le projet, trouvé les premiers financements à l’AUF et qui nous a contactés pour nous associer », indique Najoua Mohib, enseignante-chercheuse en sciences de l’éducation, qui assure la coordination locale du projet.
Forte de ses liens de coopération avec la Mauritanie existant depuis 2018, l’Université de Caen Normandie a pu engager un dialogue avec le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche scientifique mauritanien (MESRS) qui l’a sollicitée pour la création d’un centre d’appui. « Sur ce projet nous avons aussi le soutien du Ministère de l’Europe et des affaires étrangères en France dans le cadre du Fonds Équipe France », indique Matthieu Le Crosnier, ingénieur pédagogique au Centre d’enseignement multimédia universitaire (CEMU) et chef de projet pour l’Université de Caen Normandie.
Identifier les besoins des partenaires
Les projets ont commencé par une phase d’identification des besoins. Ainsi, en 2024, deux agents du CEMU de Caen ont passé une semaine exploratoire sur place pour « rencontrer les acteurs et les enseignants afin d’évoquer le projet et le réajuster en fonction de leurs besoins locaux. Nous avons identifié les problématiques administratives et techniques en Mauritanie et accompagné la structuration du centre de pédagogie universitaire », rappelle le chef de projet.
A Strasbourg aussi l’identification des besoins sur place était essentielle pour que le projet soit réellement conforme aux attentes des universités. « Le Vietnam s’est lancé dans un programme national de transformation numérique à 2030. De nombreux établissements du pays sont équipés mais il y a de grandes disparités sur le territoire. Certaines universités, comme celle de Can Tho, sont très avancées au niveau des équipements et de l’engagement des personnels, mais ce n’est pas le cas partout », précise Najoua Mohib.
Pour Nguyen Tan Dai, devenu depuis docteur en sciences de l’éducation et de la formation à l’Unistra, responsable du Campus numérique francophone de Hô Chi Minh-Ville et porteur du projet à l’international, l’autre enjeu est de développer des compétences et des standards communs en numérique éducatif. « Si on a les infrastructures, on manque de compétences numériques et de standards communs. Aujourd’hui, chaque partie prenante dans l’écosystème universitaire se débrouille tant bien que mal, avec ses propres moyens. Avec ce projet, l’idée est de créer des liens cohérents et structurants entre les acteurs universitaires. »
Un accompagnement sur-mesure
Pour parvenir à cette harmonisation des pratiques, la première phase du projet prévoit la construction d’un référentiel de compétences numériques pour les étudiants et les enseignants avec trois séjours d’accompagnement prévus au Vietnam. « Nous leur faisons part des difficultés que nous avons nous-mêmes rencontrées et des conclusions que nous avons tirées de notre expérience », précise Najoua Mohib.
En parallèle, une délégation vietnamienne est venue en juin dernier pour des visites d’études. « Nous avons visité les universités de Mons, Strasbourg et Patras, ce qui a permis d’observer comment l’écosystème de chaque université était construit. Nous avons aussi découvert des bonnes pratiques en matière d’infrastructures, de matériels et de compétences… et ce qui marche moins bien. Ces trois semaines ont alimenté la réflexion des universités partenaires vietnamiennes ce qui permettra de raccourcir la durée d’implémentation et d’accélérer notre évolution », estime Nguyen Tan Dai.
Une fois cet état des lieux réalisé, les équipes se réuniront de nouveau pour définir les compétences clés à intégrer au référentiel. « Tous les ateliers sont fondés sur la collaboration entre enseignants et personnels administratifs. Nous sommes dans une logique d’accompagnement participatif : ce sont les équipes vietnamiennes qui rédigent elles-mêmes leur propre référentiel de compétences numériques et conçoivent des ateliers adaptés à leurs besoins », affirme Najoua Mohib.
A l’issue de cette réflexion, le référentiel de compétences numériques doit être harmonisé au 1er janvier 2026. Il sera expérimenté dans les neuf universités vietnamiennes impliquées dans le projet. « Les universités sont représentatives de l’écosystème de l’enseignement supérieur du Vietnam. En fonction du résultat acquis, ce référentiel pourra essaimer dans les autres établissements du pays pour un réel socle commun des compétences numériques », soutient Nguyen Tan Dai.
La formation des équipes pédagogiques
Pour les deux universités françaises, une partie du projet repose aussi sur la formation des équipes partenaires. Après la création officielle du centre d’appui à la pédagogie mauritanien, en février 2025, le projet auquel participe le CEMU entre maintenant dans la deuxième phase : la montée en compétences des équipes mauritaniennes. « Nous formons l’équipe des ingénieurs pédagogiques et agents techniques qui vont prendre en main le centre, ainsi que le premier réseau d’enseignants référents des établissements de l’enseignement supérieur mauritanien », précise Matthieu Le Crosnier.
Cette phase de formation s’organise sur une période de huit à dix mois, à distance et en présentiel. « Nous avons des activités sur la plateforme pédagogique de l’université de Caen sur laquelle nous fournissons de la théorie et des activités. Il y a aussi deux séminaires de regroupement pédagogique l’un à Caen et l’autre à Nouakchott. »
Ces temps de formation ont un objectif : une appropriation des pratiques pédagogiques et l’autonomie des équipes. « Nous accompagnons les équipes à produire eux-mêmes les outils pédagogiques et surtout à rédiger un plan d’actions de transformation pédagogique de l’enseignement supérieur mauritanien qui sera proposé au MESRS. L’objectif est l’autonomisation des équipes opérationnelles. »
Même approche pour l’Université de Strasbourg. Après la validation du référentiel de compétences, l’équipe française prévoit de retourner au Vietnam pour aider à la conception et la mise en œuvre de quatre modules de formations pour favoriser le développement concret des compétences.
L’équipe strasbourgeoise estime servir de « levier » pour « aider le Vietnam à aller plus vite pour se hisser aux standards internationaux. Les établissements vietnamiens sont là où nous étions il y a 25-30 ans en matière de formation à la pédagogie. Ils manquent encore de plateformes standardisées et sécurisées mais aussi de centres de pédagogie universitaire tels que ceux dont nous nous disposons en France », considère Najoua Mohib.
Puis il s’agira de développer une plateforme de partage des ressources éducatives libres, d’abord entre les dix universités partenaires. « Cette action, qui est prévue dans le projet, va aussi dans le sens du programme national de transformation numérique du Vietnam », appuie Nguyen Tan Dai.
Faire rayonner l’expertise française
Ces projets de transformation pédagogique mettent en valeur l’expertise de la France. C’est dans ce cadre que l’Université de Caen participe à un autre projet, baptisé IDEAL, et cette fois avec des pays des Balkans. « Nous avons l’expérience du projet en Mauritanie. L’idée avec ce nouveau projet c’est de mener une démarche similaire à l’échelle d’un réseau d’universités qui, elles, ont déjà entamé le processus d’appui à la pédagogie. »
Ce projet, qui implique deux universités albanaises, trois établissements kosovars, et l’Université de Valladolid en Espagne, a pour objectif de former les enseignants et les personnels dédiés (ingénieurs pédagogiques et techniciens) à la pédagogie en ligne et l’enseignement à distance mais aussi développer des infrastructures et intégrer des technologies dans l’apprentissage des langues.
Si ce projet est encore en recherche de financements, les partenaires ont déjà commencé à travailler ensemble. « Nous travaillons avec nos collègues d’Albanie et du Kosovo pour identifier leurs besoins. Nous allons régulièrement sur place. A l’inverse, une délégation du Kosovo et d’Albanie est venue à Caen pour un temps de formation à la pédagogie numérique », précise Matthieu Le Crosnier.
A l’Université de Strasbourg, le projet qui a démarré il y a six mois, reste très lourd pour l’équipe, l’empêchant d’envisager d’autres projets en parallèle. « Pour le moment nous ne sommes pas engagés dans d’autres projets de cette envergure, même si nous avons d’autres coopérations internationales avec des pays européens et des pays partenaires comme le Chili, le Japon ou encore le Koweït. En revanche, le laboratoire LISEC est engagé dans de nombreux projets financés qui visent à répondre à des besoins socio-économiques sur le territoire (transition environnementale, intelligence artificielle, etc.). Par ailleurs, une suite au projet ACCEES est en cours d’élaboration pour poursuivre la collaboration avec le Vietnam », conclut Najoua Mohib.