Vie des campus

Twitter, c’est fini ! Les stratégies des établissements qui ont quitté le réseau social X

Par Marine Dessaux | Le | Relations extérieures

Pour de plus en plus d'établissements du supérieur, X (anciennement Twitter) c’est fini ! Comment ont-ils pris cette décision et quelle est leur nouvelle stratégie réseaux sociaux ? Récits de communicants et conseils d’un consultant en communication.

Une quinzaine d'établissements ont suspendu leurs activités sur X depuis août 2023. - © Freepik
Une quinzaine d'établissements ont suspendu leurs activités sur X depuis août 2023. - © Freepik

Le rachat de Twitter par Elon Musk, en octobre 2022, suivi d’une série de mesures controversées a-t-il sonné le glas de l’activité des établissements du supérieur sur ce réseau social ? 

Plusieurs ont en tout cas décidé d’y suspendre leurs activités. L’Université Rennes 2 a ouvert le bal, le 31 août 2023, en mettant son compte en veille. L’établissement breton évoque une évolution éditoriale de la plateforme qui encourage les propos violents et discriminants.

« En se retirant du code européen des bonnes pratiques contre la désinformation et en modifiant ses règles de modération, X est devenu un lieu de propagation de fake news, de contenus haineux rentrant en contradiction avec notre mission de transmission des savoirs et de la science, d’ouverture aux autres et de tolérance », écrit-il le 17 octobre dernier.

Depuis, une quinzaine d’universités et d’écoles ont suivi le mouvement (voir le recensement effectué par Canévet et Associés) : Centrale Nantes, Sciences Po Toulouse, les universités de Lyon 3, Jean Monnet Saint-Étienne, Picardie Jules Vernes, Bordeaux, Strasbourg, Nantes…

Partir ou rester : un process de décision plutôt rapide

« Quitter X est une décision qui peut se prendre assez vite, parfois sur un coup de tête du responsable de l’établissement. En revanche, l’annonce peut prendre plus de temps à venir : certains suspendent leur activité, mais attendent de voir ce qu’il se passe avant de communiquer », observe Patrice Razet, consultant en communication de l’agence Canévet et Associés, qui conseille notamment les établissements sur leur stratégie réseaux sociaux.

Philippe Vellozzo est directeur de la communication de l’Université de Bordeaux. - © D.R.
Philippe Vellozzo est directeur de la communication de l’Université de Bordeaux. - © D.R.

L’Université de Bordeaux a annoncé en janvier 2024 suspendre son compte, après avoir longuement pesé le pour et le contre. « C’était une décision éthique aux conséquences importantes, qui implique au bout du compte un véritable changement de paradigme », estime Philippe Vellozzo, directeur de la communication de l’établissement.

De son côté, l’Université de Strasbourg, qui a également partagé sa décision en début d’année, a tranché lors d’une discussion en conseil de présidence. « Nous avons eu une première discussion au moment du rachat par Elon Musk, puis lorsque nous avons vu des chercheurs partir et le débat naître. Ce qui nous a finalement fait arrêter cette décision est la montée en puissance des propos antisémites, après l’attaque du 7 octobre en Israël », retrace Armelle Tanvez, directrice de la communication de l’établissement. 

De son côté, le groupe d’écoles d’ingénieurs Insa n’a pas eu le choix : c’est à la suite de la suspension de son compte, en février 2023, qu’il a dû arrêter son activité sur X, comme vous le racontait Campus Matin.

« Ce qui se jouera sur le temps long, c’est avant tout de retrouver sa place sur un autre réseau social. Il y a toute une communauté à refabriquer », souligne Patrice Razet.

Un effet désintox sur les communicants !

X était — et reste — un outil de veille pour les communicants. Depuis le départ de leur établissement, nos interlocuteurs ont néanmoins réduit le temps passé sur ce réseau social. 

« X permet toujours de repérer des signaux faibles de crise, la veille y reste intéressante, mais j’y trouve beaucoup moins de choses. J’étais une fervente utilisatrice, désormais désintoxiquée », raconte Céline Authémayou, chargée de communication du Groupe Insa.

Même son de cloche à l’Université de Strasbourg : « Nous avons échangé avec ceux qui étaient les plus présents sur X, afin d’évaluer si nous perdions réellement quelque chose en arrêtant notre veille sur X. Nous nous sommes demandé si nous ne pouvions pas plutôt trouver l’information ailleurs. Cela nous a fait prendre conscience du côté addictif du réseau. » Finalement, une seule personne du service communication gardera son compte sur X pour suivre ce qu’il se dit sur l'établissement. 

LinkedIn, Threads, Bluesky… Où vont les établissements ?

Beaucoup de LinkedIn, un zeste de Bluesky et un soupçon de Threads ? Il est trop tôt pour donner la recette qui assure un départ de X réussi. Alors, les établissements expérimentent.

« On ne peut pas élaborer une stratégie sur les réseaux sociaux dans l’abstrait. Nous explorons donc de manière systématique les possibilités : Mastodon et Bluesky depuis quelques mois, et plus récemment Threads (NDLR : le réseau lancé par le groupe Meta en décembre 2023) », indique Philippe Vellozzo.

Armelle Tanvez est directrice de la communication de l’Unistra.  - © D.R.
Armelle Tanvez est directrice de la communication de l’Unistra.  - © D.R.

L’Université de Strasbourg s’est contentée de Bluesky et Threads pour retrouver les publics qu’elle ciblait via X : les partenaires institutionnels et les journalistes. « Nous allons voir ce que donne Threads dans les six mois à venir avant d’arrêter notre stratégie. Sur Bluesky, nous ne constatons pas encore de montée en puissance », partage Armelle Tanvez.

Le Groupe Insa n’a, lui, pas rejoint de nouvelles plateformes. « Nous nous questionnons toujours sur l’intérêt et le choix d’un nouveau réseau social. Nous préférons regarder ce qu’il se passe avant d’y investir du temps », explique Céline Authémayou.

Mais le grand gagnant, c’est LinkedIn. Tous nos interlocuteurs observent une audience en hausse constante depuis leur arrivée sur la plateforme. Y reporter une partie de son contenu devient ainsi la décision la plus logique. « Il faut aller là où est tout monde, conseille Patrice Razet. LinkedIn, d’abord, puis éventuellement Threads qui comptabilise 130 millions d’utilisateurs par mois. Ce qui reste encore loin de X à 619 millions. »

Quid de Whatsapp ?

Les chaînes Whatsapp, dont se sont saisies quelques personnalités politiques à l’instar de la maire de Paris, Anne Hidalgo qui a elle aussi quitté X, ne sont pas plébiscitées par les établissements du supérieur. « À ma connaissance, seule l’Université Côte d’Opale s’y trouve. Ce support ne permet pas le dialogue, il est surtout intéressant pour partager un agenda avec les médias », indique Patrice Razet.

L’occasion de repenser sa stratégie réseaux sociaux

Ces changements de plateformes sont l’opportunité de réfléchir à la pertinence et l’usage de chaque réseau social. « Nous avons invité les autres comptés liés à l’Unistra à quitter X. Mais nous ne leur recommandons pas de se reporter automatiquement sur Bluesky ou ailleurs. C’est le moment pour eux de s’interroger sur la raison de leur présence. Les facultés, par exemple, se rendent compte que c’est plutôt par d’autres réseaux qu’elles pourront communiquer au mieux », raconte notamment Armelle Tanvez.

Patrice Razet est consultant en communication à l’agence Canévet et Associés. - © Canévet et associés
Patrice Razet est consultant en communication à l’agence Canévet et Associés. - © Canévet et associés

Ce n’est pas parce que les établissements du supérieur ont quitté X qu’ils ont changé leur philosophie des réseaux sociaux, regrette Patrice Razet. « Sur LinkedIn ou Threads, ce sont des informations institutionnelles qui sont poussées plutôt que d’adopter une réelle approche de partage avec une communauté. »

Il suggère : « Au vu du nombre de réseaux sociaux existants, une possibilité intéressante est de saucissonner sa présence selon les publics : LinkedIn pour les alumni, un outil interne ou Discord pour les étudiants, Instagram pour les lycéens… Twitter et Threads sont dédiés à l’actualité et aux débats, si l’établissement ne veut pas d’interaction, alors il ne faut pas y être. Mais ce sont des endroits qui permettent aux enseignants-chercheurs de participer au débat public. »

Quelle présence du chef d'établissement ?

« Pour contribuer au débat social, utiliser la voix d’un individu plutôt que celle d’un établissement fonctionnera mieux. Ainsi, il est plus pertinent de faire incarner une prise de parole politique par le chef d’établissement que l’institution qui, elle, présentera ses services. Les présidents d’université et directeurs de grandes écoles ont donc tout intérêt à être présents, même s’ils n’écrivent pas directement leurs posts, sur X, tant que ce réseau social existe et est le plus utilisé, et éventuellement sur Threads », analyse Patrice Razet.