Vie des campus

Quand des artistes prennent leurs quartiers à l’université

Par Marine Dessaux | Le | Relations extérieures

Les résidences d’artistes dans le supérieur se développent. Des initiatives qui ouvrent les portes des universités aux talents créatifs. Comment ces deux mondes s’enrichissent-ils mutuellement ? Témoignages.

Kaspar Ravel est un artiste qui travaille sur le numérique, également codeur web et hackeur éthique. - © Sorbonne Université
Kaspar Ravel est un artiste qui travaille sur le numérique, également codeur web et hackeur éthique. - © Sorbonne Université

Accueillir un artiste sur le campus, lui faire rencontrer étudiants et chercheurs, et mettre en avant les éventuelles créations qui découlent de cette rencontre de deux mondes : c’est la promesse des résidences artistiques dans les universités en France. Un dispositif régit par la convention-cadre « Université, lieu de culture » de 2013.

Ces opportunités sont plutôt insolites pour des artistes plus habitués à être invités par un territoire (ville, région…), des musées et des fondations. « J’avais résidé dans des fablabs, des salles de spectacle, mais jamais à l’université », confirme ainsi Kaspar Ravel, artiste numérique en résidence à Sorbonne Université depuis octobre 2022.

Un lien spécial au milieu universitaire

Pour Kaspar Ravel, ancien étudiant en mathématiques et théâtre, revenir dans son université, c’est quelque part « obtenir une validation académique ». Curieux de sciences, il raconte avoir visité avec intérêt plusieurs laboratoires et échangé avec des chercheurs lorsque nous le rencontrons sur le campus Pierre et Marie Curie où se tient l’exposition « Quelques formes discrètes ».

Geoffrey Rouge-Carrassat écrit, met en scène et interprète des spectacles seul en scène. - © Victor Tonelli / Hans Lucas
Geoffrey Rouge-Carrassat écrit, met en scène et interprète des spectacles seul en scène. - © Victor Tonelli / Hans Lucas

Geoffrey Rouge-Carrassat, metteur en scène et acteur, n’a lui pas de lien préexistant avec l’Université de Strasbourg (Unistra) où il a entamé une résidence en septembre 2022. Il a cependant également une relation particulière avec les études supérieures : après un master de création littéraire à l’Université Paris 8, il entame sa cinquième année de doctorat en sciences arts création recherche au Conservatoire national supérieur d’art dramatique-PSL.

« J’ai toujours eu un rapport à l’université, du fait d’être étudiant puis doctorant à côté de ma pratique artistique. Lorsque le service universitaire de l’action culturelle (Suac) de l’Unistra m’a proposé une résidence de recherche puis d’être artiste associé, j’ai accepté, car cela correspondait à ce que je traversais. Cela colle également avec mon profil d’artiste : je fais et travaille sur la médiation artistique, ce qui m’amène à être souvent en lien avec des élèves et étudiants », explique-t-il.

Nos deux interlocuteurs ont particulièrement apprécié la grande liberté artistique laissée par l’établissement. Le cahier des charges de Geoffrey Rouge-Carrassat était par exemple composé uniquement de mots clés : médiation, programmation, création et formation.

Des œuvres et ateliers avec étudiants et chercheurs

Ateliers de médiation artistique, de théâtre, exposition, conférence… Les résidences permettent d’intégrer l’artiste dans la vie universitaire. Ils sont ainsi régulièrement en contact avec ses acteurs et de ces rencontres naissent réflexions et projets.

Kaspar Ravel, qui s’intéresse particulièrement au glitch art, aux formats d’images numériques tels que le JPEG, et à la façon dont l’image est repliée sur elle-même, a trouvé un terrain commun avec Simone Azeglio, doctorant en neurosciences computationnelles à l’Institut de la Vision (Sorbonne Université/CNRS/Inserm).

Ce dernier étudie la façon dont la rétine décrypte une image, de concert avec le cerveau. Le déclic se fait lorsque tous deux évoquent l’intelligence artificielle et la façon dont elle dissèque une image.

De leurs échanges est ainsi née la thématique de l’exposition de Kaspar Ravel et plus précisément une œuvre issue de recherches communes.

L'œuvre issue du travail commun entre Simone Azeglio et Kaspar Ravel, exposée à la Passerelle de Sorbonne Université. - © M. Dessaux
L'œuvre issue du travail commun entre Simone Azeglio et Kaspar Ravel, exposée à la Passerelle de Sorbonne Université. - © M. Dessaux

Des rencontres qui ne fonctionnent pas toujours

Il a dédié l’année à la thématique du jeu, un thème fédérateur…qui n’exclut pas des difficultés à nouer le contact avec des étudiants. Geoffrey Rouge-Carrassat a ainsi vécu un échange qui a été mal accueilli, ce qui a ensuite modifié sa vision des choses. 

« Des étudiantes sont venues voir une répétition et la rencontre n’a pas fonctionné. Cela m’a beaucoup fait réfléchir à la médiation. Je savais qu’il y aurait des situations comme celle-ci, c’était une période dure à traverser, mais finalement enrichissante », rapporte-t-il.

Le metteur en scène souligne la richesse de partager avec une génération d’étudiants très critiques des objets de recherche-création. Chaque année, il fait le bilan de ce qui a fonctionné et construit ses interventions pour l’année suivante en fonction.

En 2023-2024, dernière année de résidence de Geoffrey Rouge-Carrassat à Strasbourg, c’est le thème de la peur, comme émotion suscitée par le spectacle ou vécu par les acteurs, qui influencera les thématiques de ses interventions.

Une présence physique à organiser sur l’année

« C’est important, quand on est associé à un lieu, d’y être présent. Il faut qu’il y ait de la curiosité pour ce contexte, être attentif à ce qui s’y passe », estime Geoffrey Rouge-Carrassat. Pas simple pour autant d’organiser son temps entre Paris et Strasbourg ! L’acteur s’est néanmoins assuré de venir neuf semaines l’année universitaire passée.

Pour Kaspar Ravel, la résidence artistique est également découpée en différents temps. Sa résidence compte quinze mois de présence étalés sur trois ans, soit jusqu’en 2025.

Un financement par les étudiants ou le label Saps

Indirectement, ce sont les étudiants qui financent la venue de certains artistes. En effet, à l’Unistra, ils sont rémunérés par le service d’action culturelle dont le budget est issu de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC). Une taxe qui s’est élevée, en 2023, à 100 € par étudiant.

Une provenance à laquelle Geoffrey Rouge-Carrassat est sensible, c’est pourquoi il a accepté de revoir à la baisse les exigences de la convention collective du spectacle vivant. Ni hôtel ni dédommagement pour les repas n’ont été requis : le metteur en scène a mangé au restaurant universitaire et dormi en résidence étudiante !

« Il me semblait normal d’être logé à la même enseigne que les étudiants. Je suis proche des enjeux étudiants, donc cela me va. »

La résidence de Kaspar Ravel est, elle, financée via le label Science avec et pour la société (Saps), obtenu par Sorbonne Université en 2021 et reconduit en 2022 pour trois ans. Les rétributions peuvent prendre différentes formes : une bourse, une rémunération pour des prestations ou encore une commande, comme le spécifie l’appel à candidatures.

Le service culturel : coordinateur et valorisateur

Les services culturels des universités (Suac) ont un rôle important de coordination et valorisation autour de la résidence artistique. Le Suac de l’Unistra, en lien avec la nouvelle salle de spectacle cogérée par l’établissement et le Crous, la Pokop, organise diverses actions : des soirées projection de films sélectionnés par un artiste, des débats, publications…

Sophie Hedtmann, chargée de projets au Suac strasbourgeois, explique : « Une résidence artistique, c’est un temps dédié à la création. L’artiste va trouver une matière à l’université et l’université se nourrira de ce qui est fait. » 

À chacun sa façon de faire : contrairement au service culturel de Sorbonne Université, qui passe par des appels à candidatures, celui de l’Université de Strasbourg identifie et sollicite lui-même les artistes en fonction des besoins.

Mais l’enthousiasme est toujours partagé : « Une résidence d’artiste apporte une richesse infinie et sans cesse inédite de rencontres, de savoirs et de connaissances », résume Sophie Hedtmann.