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Art, doctorat, recherche et innovation : les 1001 créations de Monique Martinez

Par Marine Dessaux | Le | Stratégies

Elle a été la première directrice du collège doctoral de la Comue Université de Toulouse, a participé à la création du Réseau national des collèges doctoraux, fondé une plateforme innovante qui génère des dispositifs artistiques et lève des fonds, défend la recherche « en création »… Monique Martinez, enseignante-chercheuse à l’Université Toulouse Jean-Jaurès spécialiste de la création, a repoussé tout au long de sa carrière les frontières traditionnelles des sciences humaines et sociales.

Monique Martinez défend avec ferveur le doctorat et la recherche en création. - © Campus Matin
Monique Martinez défend avec ferveur le doctorat et la recherche en création. - © Campus Matin

Élève de l’École Normale Supérieure qui recrute des fonctionnaires et les prépare à l’enseignement et la recherche, Monique Martinez débute sa carrière à l’Université Toulouse-Jean Jaurès (UT2J) en 1988. Elle bénéficie d’un poste d’« ancien normalien doctorant », financé via son école.

Très vite, face aux étudiants, elle se rend compte que sa pédagogie doit évoluer pour ne plus être dans une relation « de derrière une table ». Cette chercheuse spécialisée dans théâtre contemporain hispanique, veut faire vivre la langue par le théâtre. Elle fonde donc en 1989 une compagnie, « Les Anachroniques », qui propose depuis 35 ans des représentations en espagnol et a suscité la création de troupes universitaires en allemand, italien, polonais ou encore en arabe pour donner naissance au Festival Universcènes en 2006.

Créer du lien entre recherche et création

Presses universitaires du Mirail - © Presses universitaires du Mirail
Presses universitaires du Mirail - © Presses universitaires du Mirail

Cette pratique nourrit ses recherches et voit naître la collection Nouvelles Scènes éditée aux Presses universitaires du Mirail. Ce lien entre pratique des arts et recherche est un fil rouge du parcours de Monique Martinez. « Tous mes doctorants qui font des recherches sur le théâtre ont fait ou font du théâtre, observe-t-elle. C’est un outil de professionnalisation et d’élargissement des compétences, mais aussi de recherche par les arts. »

La recherche dans le domaine de la création connaît aujourd’hui un essor dans les universités françaises. Son atout ? Permettre de légitimer le statut de chercheur pour des artistes qui publient autour de leur pratique. In fine, l’enseignante-chercheuse est persuadée qu’elle est la clé pour inscrire pleinement les écoles d’art au sein des universités. En effet, « en dehors de l’école de théâtre de Lyon rattachée à l’enseignement supérieur, les professeurs sont des praticiens qui n’ont pas le statut de chercheurs ».

Cap sur le doctorat

Au bout d’une vingtaine d’années, la troupe Anachroniques se scinde : l’une pour se professionnaliser et l’autre demeurant universitaire. Monique Martinez décide de se concentrer sur un nouveau projet et passe le relai pour l’organisation du festival Universcènes. Très attirée par l’interdisciplinarité, elle travaille au sein du laboratoire LLA-Créatis, dirigé par Emmanuelle Garnier de 2011 à 2018, qui devint ensuite présidente de l’UT2J.

« Je me suis dit que j’allais m’occuper du doctorat », raconte-t-elle. Directrice de l’ED art, lettres, philosophie, langues et infocommunication de l’Université Toulouse Jean-Jaurès à partir de 2007, Monique Martinez prend la direction du collège doctoral de la Communauté d’universités et établissements (Comue) toulousaine en 2009. C’est alors le début de la structuration des écoles doctorales en collèges doctoraux. « C’était inattendu », se rappelle-t-elle. Elle crée ensuite l’école des docteurs de Toulouse, qui fédère les 15 écoles doctorales portées par les établissements de la ville rose. Avec toujours un œil sur les « aspects de professionnalisation, à l’international et en entreprise ».

Des projets qui ne vont pas assez loin, en lien avec la perte de l’Idex

Alors que le projet d’Idex échoue à Toulouse en 2018, elle finit son mandat à l’école des docteurs et déplore que « cela n’avance pas ». En effet, le doctorat n’est pas transféré à la Comue comme dans d’autres sites. Ce n’est que depuis cet été que le projet de co-accréditation du doctorat par l’Université de Toulouse est entériné (voir encadré). Une initiative qui ne va pas cependant pas aussi loin que ce qu’imaginait Monique Martinez à l’époque de l’Idex.

L’enseignante-chercheuse s’implique pour le doctorat au-delà du site toulousain. En effet, elle participe à créer le Réseau national des collèges doctoraux (RNCD), dont elle a été la première présidente (2014-2017). Aujourd’hui piloté par Sylvie Pommier de l’Université de Saclay, il s’agit d’une instance reconnue par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Un doctorat désormais co-accrédité par la Comue

Après une année de concertation, les établissements membres de la communauté d’universités et établissements (Comue) Université de Toulouse se sont prononcés pour la co-accréditation du diplôme du doctorat, en mai et juin 2023. Une décision votée par le sénat académique et le conseil d’administration de l’Université de Toulouse. Enfin, le conseil national de l’enseignement supérieur (Cneser) a rendu un avis positif, permettant aux arrêtés d’accréditation d'être publiés dans l'été.

Ainsi, à partir de la rentrée 2023-2024, l’Université de Toulouse delivrera le diplôme national de docteurs selon deux modalités : une co-accréditation en délivrance partagé (UTCapitole, ISAE, IMT Mines Albi et Enac) et une co-accréditation en délivrance conjointe (UT2J, UT3, Touloiuse INP et Insa).

En pratique, « les premiers diplômes seront délivré à partir du 1er janvier 2024, tout juste un an après la création de l’Université de Toulouse », écrit la Comue dans un communiqué du 27 juillet.

Financer la recherche en art en décrochant des contrats avec des entreprises

Forte de cette expérience dans le doctorat, Monique Martinez se lance dans la recherche de partenaires, « pour prouver que l’art intéresse les entreprises ». Car elle en est persuadée : la recherche en art peut tout aussi bien générer des contrats que les sciences dures. Avec la compagnie « Les Anachroniques », elle travaille sur les thématiques d’art et santé. « Les délieuses de langues » est un projet de prévention contre le cancer du sein : une saynète a été créée avec des médecins pour aborder cette maladie et promouvoir le dépistage.

« L’art est un vecteur différent de la recherche innovante. Le premier contrat décroché a été avec Richemont Holding France (groupe spécialisé dans l’industrie du luxe, NDLR) en 2012 d’un montant de 155 000 €. Ils m’ont plus tard dit avoir accepté, car nous étions les premiers à venir les voir », détaille-t-elle.

D’autres entreprises suivent : Airbus, Latécoère, AG2R, Technal. « Des programmes de recherche ont pu être créés, mais il était compliqué de les mettre en place de façon pérenne. Il fallait du temps dédié pour maintenir les relations entreprises. Ce qui fait désormais partie du rôle d’une ingénieure recrutée dans le cadre de la plateforme Création et innovation sociétale (Criso) », poursuit Monique Martinez.

Une plateforme innovante en art

Criso est dédiée à la génération de dispositifs artistiques autour de problèmes sociaux dans tous les secteurs socio-économiques. La plateforme tourne aujourd’hui avec deux ingénieures d’études sur deux programmes différents. Elle a généré 4,6 millions d’euros de recettes en 12 ans. Elle fonctionne maintenant sur ressources propres et a permis de financer une dizaine de postdoctorats.

Elle est reconnue comme une plateforme d’innovation de l’université. « Une grande victoire pour nous, les plateformes étant souvent technologiques », estime l’enseignante-chercheuse.

Elle poursuit : « Notre point fort a été le laboratoire commun entre l’université et Europa Création, une entreprise toulousaine qui organise des congrès en médecine, notamment avec le cardiologue Jean Marco. »

Un lien à double sens avec l’entreprise :

« Nous voulions que tout ce que nous avions trouvé en entreprise soit transféré à l’université, mais aussi renouveler les formes de transmission dans l’entreprise ».

Réinventer les congrès

Un livre a été publié suite au congrès « QCVN ? » aux éditions L’Harmattan en 2021. - © L’Harmattan
Un livre a été publié suite au congrès « QCVN ? » aux éditions L’Harmattan en 2021. - © L’Harmattan

Imaginer une nouvelle forme de congrès scientifique : c’est l’objectif de Monique Martinez lorsqu’elle construit le colloque « Quel congrès voulons-nous ? (QCVN) » en 2020. Un événement qui marque dix ans de recherche avec Europa Création. Au-delà de supports de communication créatifs (comme le poster qui illustre la photo de Une de cet article), QVCN renverse les codes du congrès classique, avec  notamment une intervention sous forme de comédie musicale.

Toujours dans ce cadre, un outil de médiation scientifique pour le moins original a été créé : la figure d’Armand MacClown, dessinée par Paul Cauuet, auteur de la BD Les vieux fourneaux. Ce personnage est la voix d’un roman par tweets visant à sensibiliser la communauté universitaire autour de la rénovation du congrès. « Nous avons tellement innové pour le congrès… Je n’arrive plus à faire de communication normale maintenant ! », sourit Monique Martinez.

Une initiative qui peine cependant un peu à être reproduite : « Dans nos milieux, il existe une certaine résistance au changement. »

Armand MacClown a son propre compte X (auparavant Twitter) ! - © Campus Matin
Armand MacClown a son propre compte X (auparavant Twitter) ! - © Campus Matin

L’Europe pour développer la recherche en création

Pour défendre une recherche en théâtre appliquée, peu développée en France, Monique Martinez se tourne ensuite vers l’Union européenne. « Nous avons passé l’équivalent d’une année complète à la naissance d’un programme de recherche en création, un travail énorme. »

Aidée par l’Université de Toulouse et sa cellule Europe, elle dépose le programme TransMigrArts dans le cadre d’Horizon Europe, qui est retenu en troisième position pour 2021 à 2025. Il réunit 14 partenaires, 136 personnes, quatre pays et bénéficie d’un financement de 2,185 millions d’euros. Tout cela alors qu’« en plein Covid, il est fondé sur les mobilités » !

Ce projet de recherche propose des ateliers d’arts vivants pour aborder l’expérience traumatique des personnes migrantes. Prochaine étape pour TransMigrArts : le bilan de mi-parcours pour continuer l’aventure.

« Nous avons des indicateurs intéressants : plus de 24 ateliers réalisés avec plus de 300 participants et 50 événements associés. »

Des projets plein la tête pour le théâtre et la culture

En parallèle, le premier master de théâtre appliqué en France est créé au sein de Criso. Il est co-financé par la Région Occitanie et accueille 20 étudiants maximum. « Cela répondait aux attentes des jeunes. Il y a un besoin croissant de faire faire du théâtre aux gens, d’aller chercher le public. Je suis persuadée qu’il y a un boulevard pour créer des professions à la sortie du master 2. »

Alors que la plateforme Criso fête sa 13e année, quel sera le prochain chantier pour Monique Martinez ? Elle dit vouloir continuer à développer la recherche et l’innovation dans les entreprises culturelles.

« Le PIB de la culture est supérieur en Europe à celui de l’automobile et tout reste à faire ! »