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Plurilinguisme : une compétence incontournable pour l’insertion professionnelle


Maîtriser l’anglais, c’est bien, mais développer son appétence pour plusieurs langues c’est encore mieux ! Trois personnes ayant exercé des responsabilités dans le secteur commercial et une enseignante en langues expliquent pourquoi les étudiants devraient miser sur le plurilinguisme pour doper leur employabilité, à l’occasion d’une table ronde animée par News Tank pour les 25 ans du Cles, la certification de compétences en langues de l’enseignement supérieur.

Le congrès des 25 ans du Cles s’est déroulé à Paris les 16 et 17 octobre 2025. - © Photographer Xose Bouzas Xose Bouzas / Hans Lucas
Le congrès des 25 ans du Cles s’est déroulé à Paris les 16 et 17 octobre 2025. - © Photographer Xose Bouzas Xose Bouzas / Hans Lucas

Parler plusieurs langues mais lesquelles ? Les quatre intervenantes se sont prêtées au jeu de citer la langue qui leur paraît la plus différenciante aux yeux d’un employeur.

Pour Marie-Laure Collet, présidente du groupe Kalicea et vice-présidente du Medef Bretagne et de l’Apec, « ce qui se fait rare aujourd’hui notamment en Europe, c’est l’allemand ». Si l’objectif « est de travailler avec les économies émergentes », Sabine Tinchant, responsable du master commerce international et pays émergents à l’Université Bordeaux Montaigne, conseille l’arabe et le portugais. Sylvie Ehret, experte en commerce international et business development, mise davantage sur l’hindi, « parce que l’Inde est une puissance économique montante et représente un vrai potentiel de développement ».

Sandrine Delory, vice-présidente du Réseau Alliances, le réseau d’entrepreneurs responsables des Hauts-de-France, met-elle en avant… le ch’timi ! « J’ai travaillé très longtemps dans une coopérative agricole des Hauts-de-France, et il faut savoir parler la langue locale, comprendre les références culturelles, les blagues, sinon on passe à côté de son auditoire ».

Alors, justement pourquoi savoir parler toutes ces langues ?

Maîtriser une langue supplémentaire : un atout majeur en entreprise

Sabine Tinchant répète souvent à ses étudiants du master en commerce international qu’une négociation se conduit dans sa globalité en anglais, mais que « c’est une erreur fondamentale » de ne pas la commencer dans la langue de son interlocuteur : « Il faut tout de suite montrer qu’on s’intéresse à l’autre, à sa culture, et donc à sa langue. C’est tout l’intérêt d’apprendre une autre langue que l’anglais ».

Sylvie Ehret illustre cela avec une anecdote. Dans le cadre d’un recrutement pour un poste de cadre export, elle a défendu le profil d’une personne dotée de solides compétences linguistiques plutôt qu’un profil purement technique en commerce international. L’heureuse élue parlait plusieurs langues du Sénégal et de l’Afrique de l’Est.

Et bien lui en a pris : « grâce à elle, nous avons pu briller sur des salons professionnels. Elle avait une aisance incroyable avec les clients africains. Sur un stand en Éthiopie, par exemple, tout le monde parlait anglais, mais elle, elle s’exprimait dans leur langue locale. Résultat : les gens allaient naturellement vers elle. Cela a fait une énorme différence dès le premier contact. Ce type de compétence donne une plus-value certaine et une ouverture incomparable dans les échanges commerciaux ».

Sandrine Delory évoque un autre cas particulier. Un jour, le laboratoire qu’elle dirigeait a été racheté par un groupe italien : « du jour au lendemain, 500 salariés ont dû apprendre à travailler en italien. Cela montre bien que même lorsqu’on pense évoluer dans un environnement 100 % francophone, les situations peuvent changer rapidement. On peut se retrouver, presque du jour au lendemain, à devoir maîtriser une autre langue ». Plus qu’une formation initiale, apprendre des langues se fait tout au long de la vie.

Outre les avantages directs d’un profil multilingue, celui-ci signale des qualités très recherchées des recruteurs, selon Marie Laure Collet. « Quelqu’un qui a la volonté d’apprendre plusieurs langues ressent, à la base, une appétence forte pour la communication. Et cette appétence, c’est un signal essentiel pour un recruteur : elle démontre une capacité d’adaptation, une ouverture, une curiosité ».

Comprendre les subtilités de la culture d’un autre pays

Pour Sylvie Ehret, maîtriser les subtilités d’une langue peut faire gagner de l’argent à une entreprise… ou éviter d’en perdre ! « Quand, dans une chaîne logistique internationale, tout le monde ne parle qu’anglais, les malentendus linguistiques sont très fréquents. C’est pareil dans les appels d’offres internationaux : on rédige un document en anglais, mais avec une structure de pensée française. Résultat, le partenaire étranger ne le comprend pas de la même manière. Et ces erreurs d’interprétation peuvent coûter cher ».

Sandrine Delory confirme que le fait d’avoir dans une équipe quelqu’un qui parle la langue locale « change tout : quand on comprend ce qui se dit à côté, on saisit des éléments comme un produit mal stocké, une livraison mal reçue, des problèmes logistiques qui n’ont rien à voir avec la fabrication. Ces détails, on ne les perçoit que si on comprend la langue ».

Marie-Laure Collet est présidente du groupe Kalicea et vice-présidente du Medef Bretagne. - © D.R.
Marie-Laure Collet est présidente du groupe Kalicea et vice-présidente du Medef Bretagne. - © D.R.

Dans un cadre de travail internationalisé, la compréhension des subtilités non seulement langagières mais aussi culturelles fait la différence entre les profils, souligne Marie-Laure Collet. Dans l’exemple de la Chine, c’est « la façon d’apprécier la cérémonie du thé, la manière de dîner, de passer une soirée au Bar Rouge à Shanghai ou de se comporter dans un salon d’aéroport » qui peut aider à tisser des liens de confiance.

Ainsi, les compétences linguistiques « ne s’arrêtent pas à la maîtrise grammaticale ou lexicale. Bien sûr qu’il faut un haut niveau de vocabulaire et de grammaire, à l’écrit comme à l’oral, mais il faut aussi une compréhension fine des cultures », d’après la dirigeante de grand groupe.

Former les étudiants à l’interaction

Dans le cadre de ses recrutements d’étudiants en master, Sabine Tinchant organise systématiquement un entretien trilingue. « Nous considérons que l’interaction est essentielle. Il ne s’agit pas seulement de parler, mais de savoir écouter, rebondir, adapter son discours », explique-t-elle.

Sabine Tinchant est directrice adjointe de la coordination nationale du Cles. - © Université Bordeaux Montaigne
Sabine Tinchant est directrice adjointe de la coordination nationale du Cles. - © Université Bordeaux Montaigne

Les compétences d’interaction, écoute et de spontanéité sont prises en compte dès le niveau B2 et encore davantage au niveau C1 du Cles (Certificat de compétences en langues de l’enseignement supérieur), signale celle qui est aussi directrice adjointe de la coordination nationale du Cles.

À l’Université Bordeaux-Montaigne, elle donne un cours de « géopolitique des langues ». L’idée derrière, c’est de ne jamais dissocier l’apprentissage des langues des réalités culturelles et géopolitiques. « Apprendre une langue, ce n’est pas seulement maîtriser sa grammaire et son vocabulaire, c’est aussi comprendre le monde dans lequel elle s’exprime », affirme Sabine Tinchant.

Ces compétences culturelles s’enseignent en cours, mais pas seulement. « Il y a aussi tout ce qui relève de l’informel : les échanges culturels, les voyages, les médias, les rencontres. Les réseaux sociaux, les films, les journaux, les podcasts, les plateformes de streaming, tout cela offre un accès direct à d’autres univers linguistiques, ce qui était impensable il y a trente ans ». Elle cite encore les VIE, les stages à l’international et les années de césure.

Marie-Laure Collet ajoute que le préalable à la maîtrise des langues étrangères est celle de la langue française. « On a aujourd’hui, en France, un vrai problème de maîtrise de la langue française. À l’APEC, nous travaillons beaucoup sur l’insertion des jeunes diplômés, notamment ceux issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville. Ce sont pourtant des jeunes qui ont appris un métier, parfois avec un Bac + 5, mais qui peinent à bien manier la langue, ce qui les fragilise dans leur insertion professionnelle. C’est un sujet sensible, mais fondamental ».

Sabine Tinchant rebondit en soulignant que la confiance en soi pour s’exprimer en français est un élément essentiel pour les langues étrangères. «  C’est elle qui permet de s’exprimer, aussi bien en face-à-face qu’au téléphone, où l’on ne dispose pas du soutien du regard, des gestes ou du contexte visuel. Il faut se sentir suffisamment à l’aise dans la langue pour oser parler ».

La nécessité d’une certification pour attester de la compétence plurilingue

Comment savoir, pour une entreprise, qu’un étudiant maîtrise toutes ces compétences linguistiques, au-delà des simples connaissances de vocabulaire et de grammaire ? Pour Sabine Tinchant, une certification comme le Cles est l’assurance que son détenteur maîtrise les quatre compétences : compréhension orale, compréhension écrite, production écrite et interaction orale.

Marie-Laure Collet estime urgent de « remettre de l’ordre » dans le monde des certifications : « Aujourd’hui, c’est un marché. On voit des logos partout, des labels dans tous les sens, sans toujours savoir ce qu’ils recouvrent. Il faut redonner du sens à la certification, l’adapter aux attendus du XXIe siècle, et ne pas la réduire à un outil marketing ou à une gratification symbolique ».

D’après elle, « il n’y a pas photo entre le Cles et certaines certifications standardisées, qui ne mesurent pas la capacité à interagir, à écouter, à comprendre des nuances. Dire “j’ai eu 890 à tel test” ne veut pas dire qu’on sait parler ou qu’on sait communiquer. Le Cles, lui, évalue la pratique vivante de la langue ».