Vie des campus

Lecteurs et maîtres de langue étrangère : qu’ont-ils de différents ?

Par Marine Dessaux | Le | Stratégies

Pour leurs cours de langues vivantes, les universités recrutent des natifs sous deux statuts : lecteurs et maîtres de langue étrangère. Des postes distincts, rémunérés différemment, et pourtant similaires par bien des aspects. Les établissements s’en emparent (ou non) à leur façon, en fonction de leurs besoins. Plusieurs pointent toutefois le manque de clarté autour des prérequis. La faute à un texte de loi trop ancien qui mériterait d’être revisité ?

Pour Florent Dubois, « la différence principale entre lecteur et maître de langue est de compétence. » - © France Universités - Université de Lorraine
Pour Florent Dubois, « la différence principale entre lecteur et maître de langue est de compétence. » - © France Universités - Université de Lorraine

C’est avec eux que les étudiants en langues vivantes, en début de licence, exercent leur accent : les lecteurs et maîtres de langue viennent souvent de l’international, pour une à deux années, afin de donner des TD de pratique orale dans les universités. Deux profils d’enseignants qui viennent s’ajouter aux enseignants-chercheurs, enseignants vacataires et ceux du secondaire affectés dans le supérieur, avec des modalités à part.

Pourquoi existe-t-il ces deux statuts et quelles en sont les différences ? Cette distinction est-elle vraiment pertinente pour les établissements ? Des directeurs de faculté et de départements de langues témoignent.

Différences entre maître de langue et lecteur : ce que dit la réglementation

C’est le décret du 14 septembre 1987, relatif au recrutement des lecteurs et maîtres de langue étrangère dans les établissements publics du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche (modifié en 2013), qui régit les particularités de ces deux postes, analogues par bien des aspects. Il indique que :

  • Les lecteurs doivent effectuer 300 heures de TP ainsi qu’un maximum de 100 heures de TD. Les maîtres de langue font, eux, 288 heures de TP ou 192 heures de TD. Ils peuvent être amenés à donner des cours, « à titre exceptionnel ».
  • Les lecteurs doivent avoir un bac+4 et les maîtres de langue un bac+5.
  • Les maîtres de langue peuvent superviser les contrôles ou les examens.
  • Ils doivent tous deux maîtriser la langue qu’ils enseignent au niveau « langue maternelle ».
  • Pour les candidats qui postulent à titre individuel, la durée de fonction est d’un an, renouvelable une fois. Ceux proposés dans le cadre d’un programme bilatéral d’échange peuvent aller jusqu’à trois ans renouvelables une fois.

Statuts différents, salaires différents

Au cœur de ces différences de statuts, la rémunération distingue les postes de lecteurs et maîtres de langue. Dans le décret, les premiers sont rémunérés en référence à l’indice brut (IB) 340 et les seconds à l’IB 482. Dans l’exemple du ministère, datant de janvier 2022, les salaires mensuels des premiers s’élevaient à 1486,32 € brut contre 1930,83 € brut pour les seconds, soit une différence importante de près de 450 €.

Depuis, le point d’indice a été revalorisé et les salaires augmentés. L’indice brut 340 étant désormais en dessous du Smic, l’Université de Lorraine, par exemple, se réfère à l’IB 366. La différence de rémunération est ainsi un peu moins importante (environ 300 € brut).

Le cas des lecteurs recrutés dans le cadre d’un accord bilatéral d’échange

Parmi ces deux statuts, une partie est embauchée par l’université et l’autre est sélectionnée et envoyée directement par les pays, dans le cadre d’une convention.

Leur salaire est parfois financé par l’université d’accueil et complété d’une bourse par le pays d’envoi ou complètement financé par le pays d’envoi. Ce qui rend encore plus intéressant le recours à ces profils.

« C’est le cas de l’Italie qui envoie à l’Université de Strasbourg un maître de langue qui ne nous coûte rien. L’Allemagne complétait le salaire local avec une bourse, mais est en train de le réduire ces aides. Certains pays proposent d’envoyer des lecteurs qu’ils payent, mais que nous devons refuser pour des raisons politiques, à l’instar de l’Iran ou la Chine », note Thomas Mohnike, professeur des universités et doyen de la faculté des langues de l'établissement.

Des divergences de pratiques dans les universités

Première année de doctorat des maîtres de langue : un prérequis ?

Côté recrutement, le décret de 1987 exige un bac+4 pour les lecteurs et un bac+5 pour les maîtres de langue. Seul hic, le site du ministère indique des modalités différentes de celles prévues par ce décret. Il fait mention d’une première année de doctorat accomplie, soit un niveau bac+6, pour devenir maître de langue étrangère.

Pour ses postes de maîtres de langue, l’UPJV recrute des doctorants ou docteurs. - © UPJV
Pour ses postes de maîtres de langue, l’UPJV recrute des doctorants ou docteurs. - © UPJV

Les établissements d’ESR oscillent effectivement entre ces deux doctrines. À l’Université Grenoble Alpes, par exemple, l’inscription en première année de doctorat est demandée.

À l’Université de Picardie Jules-Verne (UPJV), les maîtres de langue sont inscrits en thèse « et l’ont même souvent déjà soutenue », indique Florent Dubois, directeur de l’UFR langues et cultures étrangères de l’établissement.

À l’Université de Strasbourg (Unistra), les maîtres de langue étrangère n’ont pas nécessairement entamé un doctorat. Ils sont sélectionnés en fonction de leur expérience et de leurs compétences. « Ce poste peut néanmoins servir aux doctorants qui n’ont pas terminé leur projet de recherche dans les temps et qui cherchent un financement », indique Thomas Mohnike, maître de conférences et doyen de la faculté des langues de l’Université de Strasbourg.

Des lecteurs qui font, selon les établissements, passer des examens

« Théoriquement, les lecteurs n’ont pas le droit de faire passer des examens. En pratique, la plupart d’entre eux le fait néanmoins », rapporte Thomas Mohnike.

Un cas de figure répandu, qui correspond également à la pratique de l’UPJV où les lecteurs donnent des notes d’oraux et peuvent faire passer des rattrapages.

Les postes de maîtres de langue plus ou moins utilisés

Chaque université répartit comme elle le souhaite les postes de lecteurs et maîtres de langue. Les différences de service étant faibles dans la pratique, et les profils de maîtres de langue étant plus chers, les lecteurs sont les plus nombreux.

Quelques exemples : l’UFR de langues de l’UPJV, tous sites confondus, compte trois maîtres de langue et huit lecteurs. Pour une vingtaine de départements, la faculté de langue de l’Unistra compte 15 maîtres de langue étrangère et 18 lecteurs. L’Université de Lorraine, elle, compte 32 postes de lecteurs et six postes de maîtres de langue.

Certains établissements n’ont pas de maîtres de langue, ou très peu. L’Université de Lille, par exemple, n’a aucun maître de langue sur son campus Pont de bois (où se trouve la faculté des langues). « En anglais, nous avons assez de choix avec les échanges institutionnels », rapporte Ronald Jenn, directeur du département d’études anglophones de l’établissement.

Profils types

Comment se distinguent les lecteurs et maîtres de langue ? « En réalité, il n’y a pas de profil type. Les personnes qui postulent pour être lecteurs sont souvent plus jeunes, car il s’agit de leur premier emploi. Mais il y a d’autres cas : une personne qui aurait perdu son emploi et voudrait se reconvertir, quelqu’un qui aurait envie de passer du temps en France… », observe Thomas Mohnike.

Pour Florent Dubois, « la différence principale entre lecteur et maître de langue est de compétence. Un lecteur n’a souvent aucune expérience d’enseignement. »

Concernant les maîtres de langue, Florent Dubois décrit : « Ce sont des gens installés en France, natif de la langue enseignée, qui attendent de trouver un meilleur poste. Cela peut-être une façon de financer sa thèse ou en attente d’une poste de maître de conférences. »

Des postes précaires pour ceux qui souhaitent vivre en France

D’après la réglementation, lecteur comme maître de langue recrutés à titre individuel peuvent exercer pendant deux années maximum. À l’issue de ce temps, « il n’est plus possible d’être embauché en CDD dans une université française sur ces postes », rapporte Thomas Mohnike.

Ces contrats sont donc précaires, particulièrement pour ceux qui envisagent de continuer leur carrière en France. « Si un lecteur est solide et que nous avons un poste libre : nous pouvons les recruter comme enseignant vacataire, à 384 h équivalent TD. Les perspectives d’évolution se font en fonction des compétences des gens. Au bout d’un certain temps, nous sommes obligés de CDIser, mais la plupart du temps cela ne se fait pas », rapporte Florent Dubois.

Pour l’enseignant-chercheur de l’UPJV, cependant, « les postes ne sont pas précaires en soi, car ils ne sont pas faits pour ceux qui souhaiteraient s’installer plus durablement en France. C’est la façon dont les personnes s’en saisissent qui crée la précarité. »

Un salaire peu attractif

À peine au-dessus du Smic, les postes de lecteurs ne sont pas les plus attractifs. « En tant que doyen de la faculté, j’aimerais transformer tous les postes de lecteur en maître de langue, mais la réalité budgétaire fait que ce n’est pas possible. Les salaires de lecteur en France ne sont pas très élevés par rapport aux moyennes européennes. Pour un Norvégien, par exemple, déménager pour un salaire français, c’est perdre beaucoup d’argent. Il est donc difficile d’attirer les meilleurs candidats », rapporte Thomas Mohnike.

Thomas Mohnike est doyen de la faculté des langues de l’Unistra. - © Michael Rießler
Thomas Mohnike est doyen de la faculté des langues de l’Unistra. - © Michael Rießler

Il ajoute : « Si les maîtres de langue étaient mieux payés, il serait plus simple d’attirer des collègues en doctorat, qui se destinent à la recherche ou l’enseignement supérieur et qui aimeraient passer quelques années en France. »

À l’UPJV, Florent Dubois ne déplore pas de déficit d’attractivité. Néanmoins, « La question de la rémunération est toujours un grand débat : pour ceux qui sont déjà docteurs, il y a une certaine frustration à être sur un poste précaire mal payé. Les lecteurs sont souvent moins frustrés, car plus jeunes », observe-t-il.

Finalement, une dualité qui n’a pas lieu d’être ?

Ces deux fonctions répondent-elles vraiment aux besoins des établissements ? « Dans la pratique, il n’y a pas de véritable raison pédagogique derrière le choix entre un poste de lecteur et maître de langue. C’est une question de budget : si nous en avons la possibilité, nous basculons les lecteurs sur un poste de maître de langue. Car c’est plus adapté à la réalité du travail », estime Thomas Mohnike.

Il souligne cependant que le statut de maître de langue permet de faire appel à des personnes ayant plus d’expérience pour l’enseignement de langues plus rares pour lesquels il n’est pas possible de recruter des professeurs agrégés (Prag) ou certifiés (PRCE), car il n’existe ni Capes ni agrégation dédiés.

L’Université Toulouse Capitole privilégie le recrutement d’enseignants vacataires. - © D.R.
L’Université Toulouse Capitole privilégie le recrutement d’enseignants vacataires. - © D.R.

L’Université Toulouse Capitole a, dans un premier temps, jugé que la différence de statut n’était pas pertinente. Elle est allée plus loin en ne gardant que les lecteurs issus des échanges bilatéraux et en privilégiant désormais les contrats de 384 heures pour recruter des enseignants vacataires.

« Cela nous permet de maintenir ces personnes en place plus longtemps : cinq ans si cela se passe bien, de façon à leur permettre de présenter le Capes interne », rapporte Charlotte Rault, maîtresse de conférences en anglais et chargée de mission politique des langues de l’établissement.

L’UPJV a, elle, un usage bien distinct des deux profils. Elle fait appel à des maîtres de langue uniquement sur son site de Beauvais afin de renforcer une équipe pédagogique qui compte moins d’enseignants-chercheurs et a donc besoin de profils plus experts. « L’un d’entre eux, ayant soutenu sa thèse et au vu de son parcours, donne même des cours magistraux », indique Florent Dubois.

Étant donné ces divergences de pratiques, d’intérêt des établissements pour le poste de maître de langue et ce flou autour des prérequis pour le recrutement, le cadrage de ces fonctions doit-il évoluer ? Face à un texte ancien, les universités aujourd’hui plus libres dans leur gestion de la masse salariale adaptent les possibilités à leurs besoins.

Ce qui est certain : « Ces postes rendent de grands services, particulièrement en département de langues où les locuteurs natifs ont un rôle fondamental », souligne Florent Dubois.