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De dirigeant à simple enseignant-chercheur : ils racontent leur retour en amphi

Par Laura Makary | Le | Personnels et statuts

Une fois leurs responsabilités terminées, celles et ceux qui ont dirigé ou présidé une école de commerce, d’ingénieurs ou une université se retrouvent avec plusieurs options pour poursuivre leur carrière. Parmi elles : le retour à l’enseignement et à la recherche.

Campus Matin a demandé à plusieurs d’entre eux comment ils vivaient la fin de leur mandat et leur retour aux sources. Car c’est d’une véritable reconversion professionnelle dont il s’agit et qu’il convient aussi de préparer, comme le rappelle une coach que nous avons aussi interrogée.

De dirigeant à simple enseignant-chercheur : ils racontent leur retour en amphi
De dirigeant à simple enseignant-chercheur : ils racontent leur retour en amphi

« C’était une envie de ma part, tout simplement ». C’est ainsi qu’Olivier Simonin résume son retour à la vie d’enseignant-chercheur, après huit années à la présidence de Toulouse INP, précédées de six ans de vice-présidence et de direction de la recherche.

Depuis la rentrée, il est de retour à l’Enseeiht, une des écoles de l’INP. « Cela faisait longtemps que j’avais pris des responsabilités. Avec la fin de mon mandat, j’avais envie de revenir dans mon laboratoire, avec des idées à explorer durant les quelques années qu’il me reste de carrière », détaille-t-il, ravi de son choix et du temps retrouvé pour avancer dans ses recherches.

Le temps, pour la recherche et pour la vie personnelle

« Le confinement a sans doute accéléré ma décision », dit Isabelle Barth, qui a quitté l’Inseec School of Business and Economics - © Seb Lascoux
« Le confinement a sans doute accéléré ma décision », dit Isabelle Barth, qui a quitté l’Inseec School of Business and Economics - © Seb Lascoux

Le temps, c’est la première chose que met en avant Isabelle Barth. Précédemment directrice de l’EM Strasbourg, puis de l’Inseec School of Business and Economics, elle retrouve elle aussi son métier d’enseignante-chercheuse : « Le confinement a sans doute accéléré ma décision, car j’ai pu me poser et me demander ce qui me motivait vraiment. Je me suis rendu compte que j’avais envie de retrouver la liberté de penser, d’agir, le temps de la réflexion et de la lecture, que permet ce métier extraordinaire d’enseignant-chercheur. Je voulais me poser, réfléchir et transmettre ».

Le temps pour son travail, mais aussi pour ses proches : « C’est l’avantage d’être dans l’auto-organisation et le temps choisi : cela permet d’avoir une vie personnelle, de se consacrer à sa famille et ses amis ».

Retrouver la liberté de penser, d’agir, le temps de la réflexion et de la lecture

Cette question du temps, aussi bien dans la recherche, l’enseignement, que la vie personnelle, revient auprès de chacun de nos témoins.

Alain Sarfati, qui fut président de l’Université Paris-Sud (devenue depuis Paris-Saclay), ne peut qu’acquiescer. « Dans un agenda de président, il y a des réunions partout, où l’on doit prendre systématiquement des décisions. Le fait de ne plus être dirigeant permet de relâcher la pression. Et même si j’ai conservé des fonctions à côté de mon métier d’enseignant-chercheur [il est conseiller auprès du Mesri], quand je vois mon emploi du temps, ce n’est plus du tout la même chose ».

Pour lui, le retour à l’enseignement s’est fait naturellement : il n’a jamais coupé, même en étant président.

« C’est un peu décevant »

« Du jour au lendemain, on ne vous connaît plus », regrette Jean-Luc Vayssière - © D.R.
« Du jour au lendemain, on ne vous connaît plus », regrette Jean-Luc Vayssière - © D.R.

Quels sont les inconvénients quand on est plus au sommet de la hiérarchie ?

Jean-Luc Vayssière, ancien président de l’université de Saint-Quentin-en-Yvelines, regrette le comportement de certaines personnes, lorsqu’il est redevenu enseignant-chercheur : « Du jour au lendemain, on ne vous connaît plus. Quand vous n’avez plus d’intérêt pour vos partenaires, pour les acteurs, vous n’existez plus. De tous les gens que j’ai fréquentés durant ma présidence, je peux compter ceux avec qui je continue d’avoir une relation sur les doigts d’une main. C’est un peu décevant, mais c’est aussi plus paisible ».

Il enseigne désormais en première année de licence de biologie.

« Le fait d’accompagner ces étudiants, issus de classes moyennes et modestes, de les faire réfléchir, de les aider à se dépasser et aimer la biologie est aussi un défi intéressant », confie-t-il.

Côté recherche, il se penche sur un nouveau champ d’études, l’adaptation aux changements climatiques.

Changer d’environnement pour rebondir

Auparavant directeur d’une grande école, Éric*, qui a préféré rester anonyme, est lui aussi revenu à l’enseignement, en néanmoins changeant de campus.

« Le fait d’avoir un autre environnement aide sans doute. Cette transition n’est pas évidente pour certains, ils trouvent cela bizarre, posent des questions. Nous sommes dans une forme de perception particulière en France, nous avons un rapport à la hiérarchie, à la direction.

Dans les pays anglo-saxons, cela se fait peut-être plus simplement. Alors que pour moi, ce parcours a une logique : je suis avant tout entré dans ce milieu comme professeur », estime-t-il, satisfait de sa nouvelle vie.

Cette expérience de direction lui a en tout cas servi, il peut illustrer ses cours d’exemples et d’anecdotes de sa vie professionnelle. Là-dessus, Isabelle Barth profite également de son expérience :

« Je ne me fonde pas uniquement sur des documents et entretiens, quand je crée ou donne des cours, je les nourris de mon expérience de management opérationnel ».

« Renouer avec des appétences »

Renouer avec des appétences, des compétences que l’on exprimait moins

Quels conseils donner à ceux qui disposaient de responsabilités et se retrouvent dans cette transition, parfois délicate ?

Sylvaine Pascual est coach et consultante en plaisir au travail, spécialiste de la reconversion professionnelle. Elle sépare tout d’abord deux situations : « S’il s’agit d’un choix, il est intéressant de se focaliser sur les raisons qui ont poussé à le faire. Je fais attention à ce qui importe pour moi, pas pour les autres ou la société ».

Dans le cas où ce changement est subi, « la dimension émotionnelle et identitaire peut être plus difficile à gérer ».

« Il faut digérer ce qui peut être vécu comme une rétrogradation, voire une remise en question de soi et de ses compétences. »

Pour dépasser cela, « il faut se focaliser sur ce qui fait plaisir à la personne dans sa nouvelle situation. Par exemple, le fait de renouer avec des appétences, des compétences que l’on aime, que l’on exprimait moins, de retrouver du temps pour vivre davantage ».

L’enjeu du salaire

Elle précise que dans tous les secteurs, les personnes renonçant à des postes de management le font souvent pour retrouver du temps pour eux-mêmes.

La question du salaire, forcément moindre, fait évidemment partie de l’équation. Pour notre coach , cela ne doit pas être un élément décisif :

« Là-dessus, lorsqu’il y a un vrai désir à revenir à des compétences opérationnelles, que l’on aime, qui permettent de dégager du temps pour d’autres projets, la question de la rémunération passe relativement au second plan. Ce qui importe, au final, avant tout le reste, c’est le plaisir que l’on à aller au travail ».

*Son prénom a été changé.