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Intégrer l’intelligence artificielle à l’apprentissage  : l’expérience des enseignants

Par Léa Gerakos | Le | Edtechs

Depuis le développement du robot conversationnel nourri à l’intelligence artificielle d’OpenAI, ChatGPT, les pratiques pédagogiques dans le supérieur évoluent. Il s’agit désormais pour les enseignants de former les étudiants à cet outil tout en prévenant les écueils. Premières mises en pratique et retours d’expérience.

Comment faire de ChatGPT un nouvel outil pédagogique et en superviser l’usage par les étudiants ? - © France Université Numérique
Comment faire de ChatGPT un nouvel outil pédagogique et en superviser l’usage par les étudiants ? - © France Université Numérique

«  Cinq jours après son lancement, ChatGPT a franchi le cap de son premier million d’utilisateurs  », retrace Catherine Mongenet, directrice de France Université Numérique (FUN), lors de son discours d’introduction à la conférence « IA et pédagogie » organisée par le groupement d’intérêt public, les 8 et 9 juin au Dock B à Pantin.

Très rapidement, les étudiants se sont emparés de cet outil, mais pas pour les bonnes raisons : «  Selon un retour d’expérience, les étudiants utilisent ChatGPT à partir du moment où c’est facile, comme outil de triche », rapporte Jean-François Caulier, maître de conférences en mathématiques de Sorbonne Université.

Au sein de l’enseignement supérieur, un grand débat est né autour des effets négatifs de cette intelligence artificielle (IA). Avec, d’un côté, les partisans d’une interdiction en dehors d’un encadrement pédagogique et, de l’autre, une majorité qui privilégie l’incorporation de ChatGPT à des ressources autorisées.

C’est ce second point de vue qui a donné naissance à la conférence intitulée « Retours d’expériences autour de l’IA et la pédagogie », le 9 juin dernier. Des enseignants y ont fait part de leur expérience avec ChatGPT dans le cadre des cours qu’ils dispensent ainsi que de leurs conseils pour apprivoiser cet outil.

Un professeur particulier  

En apprenant aux étudiants à faire un bon usage de ChatGPT, le robot conversationnel peut devenir un assistant de l’enseignant.

« ChatGPT peut revêtir du rôle de professeur particulier, d’assistant personnel », soutient Jean-François Caulier. Un propos secondé par Serge Miranda, professeur à l’Université Côte d’Azur qui qualifie ChatGPT de «  tuteur numérique individualisé et virtuel  ».

L’IA se met au niveau de l’étudiant

Jean-François Caulier est maître de conférences en mathématiques à Sorbonne Université. - © L. Gerakos
Jean-François Caulier est maître de conférences en mathématiques à Sorbonne Université. - © L. Gerakos

ChatGPT peut traduire un discours formel : « Il existe un fossé générationnel qui peut poser problème dans la définition de concepts et leur compréhension par les étudiants. ChatGPT peut reformuler la définition de manière moins formelle, voire informelle », développe Jean-François Caulier.

Le professeur de mathématiques dépeint un outil qui s’adapte à différents niveaux de maîtrise et de compréhension : « L’IA se met au niveau de l’étudiant en clarifiant les différentes étapes et peut même présenter d’autres cas d’applications. Elle reprend ce que le professeur a dit trop rapidement durant le cours magistral et fournit d’autres applications jusqu’à la compréhension par l’étudiant. »

Enseignante de lettres au lycée Paul Valéry à Paris où elle organise toutes les semaines les « lundis de l’IA » pour former ses étudiants, Claire Doz souligne que ces aspects de ChatGPT permettent une meilleure égalité des chances.

«  Tous les élèves qui rencontrent des difficultés à écrire voient l’IA œuvrer en propulseur, en lanceur qui met tout le monde à égalité au départ.  »

Un outil avec lequel dialoguer   

«  La révolution de ChatGPT, c’est que l’on peut dialoguer avec lui », met en avant Jean-François Caulier. Ce modèle de langage permet en effet une interaction plus personnalisée, à travers un format question-réponse qu’il n’est pas possible de mettre en place en amphithéâtre.

Par ailleurs, ce format plus interactif est un atout pour maintenir l’attention des étudiants : «  La durée de concentration des élèves a fortement diminué. Aujourd’hui, il faut de l’interaction toutes les cinq minutes. Avec la génération TikTok, le temps de concentration est réduit  », développe Serge Miranda.

« L’IA ancre d’autant plus la méthode. C’est une activité ludique et engageante  », ajoute Claire Doz. Cette enseignante de français analyse les retours de ChatGPT sur un devoir d’écriture créative à la façon d’un auteur connu. Elle soulève devant eux les limites et les éléments manquants pour l’obtention d’une bonne note.

Si ChatGPT peut assumer le rôle de professeur particulier, qu’en est-il des limites à sa fiabilité ? - © L. Gerakos
Si ChatGPT peut assumer le rôle de professeur particulier, qu’en est-il des limites à sa fiabilité ? - © L. Gerakos

Garder un regard critique sur l’outil

Bernard Quinio est enseignant-chercheur à l’Université Paris Nanterre. - © L. Gerakos
Bernard Quinio est enseignant-chercheur à l’Université Paris Nanterre. - © L. Gerakos

ChatGPT fait cependant des erreurs, ce qui est peut-être contre-productif pour l’apprentissage. Pour s’entrainer, Jean-François Caulier évoque la possibilité de demander à ChatGPT de créer un QCM. Seulement, ces demandes n’aboutissent pas à tous les coups puisque la bonne réponse ne figure parfois pas dans les réponses du QCM ! «  Il y a moyen de rendre cette IA plus intelligente, notamment en payant la version 5. La version 3.5 donne de piètres résultats plus souvent qu’on ne pourrait le penser  », indique-t-il.

Au-delà des limites de fiabilité, ChatGPT freine l’acquisition de certaines connaissances :   

«  Nos étudiants n’ont plus besoin de mémoriser. Sauf que s’ils ne mémorisent pas les concepts, ils ne peuvent plus les appliquer. Nous avons tous les outils pour ne pas mémoriser », déclare Bernard Quinio, enseignant-chercheur en systèmes d’information et directeur du service de formation continue en alternance à l’Université Paris Nanterre. Nous devons pousser les étudiants à faire du raisonnement critique, à diffuser les connaissances acquises. »

Ainsi, les intervenants s’accordent sur l’importance de ne pas consommer ChatGPT passivement. Il est nécessaire de conserver un regard critique sur les résultats et de ne pas mettre les connaissances de côté au profit des résultats de l’IA.

Le reverse prompt   : former les étudiants à poser les bonnes questions

Serge Miranda est professeur à l’Université Côte d’Azur. - © L. Gerakos
Serge Miranda est professeur à l’Université Côte d’Azur. - © L. Gerakos

«  Avec ce basculement de l’ère de la réponse à l’ère de la question, il faut former les étudiants à poser les bonnes questions  », déclare Serge Miranda. Il présente le Projet Prompt U, réalisé aux côtés de son collègue Camille Salinesi, professeur et vice-président aux affaires internationales à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Élaboré avec l’aide de 12 collègues issus de disciplines différentes, ce projet se donne pour objectif d’instaurer un cadre éthique et soutenable pour intégrer ChatGPT à l’enseignement académique.

Il met en avant le triptyque suivant : bien utiliser l’IA — ce qui revient à apprendre à « prompter » —, bien valider en vérifiant les réponses obtenues et enfin bien évaluer — c’est-à-dire porter un regard critique et trouver des sources qui corroborent la réponse. Ses promoteurs estiment que le projet sera fonctionnel d’ici 2024.

Poser la bonne question, c’est résoudre le problème

Lors d’un webinaire organisé par l’Estia et l’Université Côte d’Azur en mai, Serge Miranda déclarait : « Il y a un basculement de l’effort d’intelligence synthétique de l’élève à l’intelligence analytique. Un bon élève, grâce à une bonne analyse, pourra bien “prompter”. Autrement dit, poser la bonne question, c’est résoudre le problème. Demain, éduquer voudra dire apprendre aux étudiants à poser les bonnes questions, à devenir ingénieurs du prompt. »

Jean-François Caulier va plus loin en préconisant le reverse prompt : « Maîtriser l’art de poser les bonnes questions, c’est parfois avoir recours au reverse prompt. Il m’arrive de faire du reverse prompt en demandant à ChatGPT quelle question poser pour obtenir telle réponse. C’est tout là, la révolution de ChatGPT.  »

Claire Doz conclut : «  Il y a des limites à l’IA, mais les limites c’est à nous de les dépasser en retravaillant le prompt et en en faisant un outil d’assistance. »

« S’écarter des outils linéaires » pour lutter contre les amphis vides  

«  Les amphis sont vides parce que nous n’adaptons pas nos discours pour des étudiants qui vivent dans un univers interactif. Si nous avons l’occasion de les accompagner avec ces nouveaux outils, il faut le faire : s’adapter à eux et s’écarter des outils linéaires  », soutien Jean-François Caulier. 

« Les amphis vont continuer à se vider  : il faut trouver des solutions, insiste Bernard Qinnot. C’est un problème politique dans le sens noble et cela doit être une discussion de société : quoi apprendre à nos enfants ?  Nous devons revoir nos enseignements. Pourquoi enseigne-t-on cela ? Avons-nous raison de le faire  ? On ne se pose pas assez ces questions de fond contrairement à l’enseignement secondaire.  »