Budget participatif universitaire : un outil encore en rodage
Donner aux usagers une prise directe sur les projets qui transforment la vie de campus : c’est l’ambition des budgets participatifs universitaires. De plus en plus d’établissements choisissent de s’en emparer. Si sa mise en œuvre est parfois contrariée par une adhésion variable au dispositif et des contraintes opérationnelles, ses bénéfices peuvent être bien plus grands que la seule réalisation des projets.
Installation de micro-ondes, distribution de protections menstruelles, création de jardins partagés… Chaque année, de nombreux projets sont réalisés sur les campus des universités. Parmi eux, certains ont été imaginés, proposés et plébiscités par des étudiants ou des personnels dans le cadre d’un budget participatif. De plus en plus d’universités font en effet le choix de consacrer une partie de la contribution de vie étudiante et de campus (CVEC) perçue pour faire exister un dispositif de démocratie locale.
Impliquer un nombre plus large d’étudiants
D’un établissement à l’autre, la mise en œuvre et les résultats diffèrent, mais les objectifs sont sensiblement les mêmes : offrir une nouvelle voie d’expression à la communauté, favoriser l’engagement et valoriser les idées d’usagers parfois peu entendus.
« Cela permet de faire un pas de côté en impliquant des personnes qui ne sont pas dans les cercles d’élus étudiants ou dans les services et qui auront peut-être des idées différentes », affirme Romain Marrec, vice-président étudiant (VPE) de l’université Rennes 2. C’est dans son établissement qu’est né, en 2018, le premier budget participatif étudiant (BPE) français. Depuis, l’initiative est renouvelée chaque année et mobilise un nombre important de votants. Celui-ci est toutefois en baisse tout comme la quantité de projets déposés. En 2022, plus de 8 000 votants et 62 propositions avaient été comptabilisés contre 5 800 votants et 39 projets en 2025.
Selon cet étudiant en géographie, ce ralentissement s’explique en partie par la temporalité du budget étudiant. « Beaucoup d’étudiants restent peu de temps à l’université et peuvent être déçus de ne pas voir réalisés les projets pour lesquels ils ont voté, parce qu’il faut parfois trois, quatre ou même cinq ans pour les mettre en place », explique-t-il.
Conscients de cette difficulté, plusieurs établissements prévoient des contraintes de temps dans le règlement de leur BPE. C’est le cas de l’université d’Angers qui indique que la mise en œuvre d’un projet devra être réalisable « en 24 mois maximum », avant la fin de la période couverte par son premier budget (2024-2026).
« C’est à la fois long et rapide compte tenu de la charge de travail », commente Laurent Bordet, vice-président vie étudiante et des campus de l’Université d’Angers et co-coordinateur du réseau Vécu. Les premières phases (dépôt des idées par les étudiants, analyse de faisabilité par les services, vote et annonce des lauréats) s’enchaînent relativement vite jusqu’à la phase de la réalisation. Celle-ci peut être plus ou moins étendue selon la nature des projets à mettre en œuvre.
« Des allers-retours avec les services »
À Angers, dix projets ont été élus dont, par ordre de succès, des micro-ondes (pour un montant estimé de 3 500 euros), des jardins partagés (12 000 euros), des fontaines à eau, un studio de musique, des casiers ou encore des échiquiers. En novembre 2025, un peu plus de six mois après l’annonce des résultats, la grande majorité des projets étaient déjà en place.
« Je pense que c’est vraiment lié au travail qui a été fait en amont, se félicite Laurent Bordet. « Pendant la phase d’analyse des dossiers, il a fallu faire des allers-retours avec les services pour qu’ils donnent leur aval (ou pas) sur une quarantaine de projets. Cela demande beaucoup de temps et d’énergie parce qu’il y a de nombreux aspects techniques à étudier ».
Avignon Université, engagée dans son deuxième BPE, avait prévu des délais plus courts pour sa première édition (2022-2024), avant d’être rattrapée par la « réalité du terrain ». « Au départ, nous l’avions imaginé sur un an, mais il n’est pas évident de mobiliser les services pour la mise en œuvre. Il y a malheureusement des freins structurels que nous avons du mal à dépasser », explique Alexandra Piaumier, directrice adjointe du service culture et vie de campus.
Les organisateurs du BPE ont fait le choix d’attendre que les projets élus soient en place pour déposer une nouvelle demande de financements CVEC de 15 000 euros. Il en sera de même pour le budget lancé en 2024. « Nous allons attendre le bilan de l’opération, confirme Audrey Abonnen, Vice-présidente en charge de la Vie universitaire. Nous verrons alors s’il s’agit du meilleur véhicule pour permettre aux étudiants de faire entendre leurs voix ».
Cette année, la participation étudiante a été trop faible pour mener une expérience de démocratie participative complète. Le budget entre en effet dans sa phase de réalisation sans être passé par l’étape du vote, l’examen des dossiers n’ayant permis de retenir que trois candidats, soit un par campus, le minimum requis.
Ce manque de succès ne signe toutefois pas la fin du dispositif. Audrey Abonnen et Alexandra Piaumier ont identifié trois axes présentant une « marge de progression potentielle ». Pour améliorer le « portage opérationnel », elles entendent impliquer dès le départ les services en charge de la logistique, de l’immobilier et du patrimoine. Elles souhaitent également renforcer la collaboration avec le Vice-président Étudiant, qui peut porter le projet BPE dans le cadre de son mandat, et plus largement, améliorer la communication auprès des étudiants.
Simplifier et accompagner
Cet aspect de communication fait l’objet de réflexions dans la plupart des établissements. « Cette année, nous avons expérimenté la tenue de stands en physique sur le campus parce que nous pensions que des interlocuteurs humains seraient plus engageants que des affiches, peu visibles, ou des mails qui ne sont pas toujours lus », raconte par exemple Romain Marrec.
« Nous n’avons peut-être pas assez bien communiqué, s’interroge de son côté Laurent Bordet, mais, au-delà de ça, je pense que notre BPE était trop complexe ».
Parmi les éléments jugés simplifiables figure notamment le système de vote (les étudiants disposaient d’une enveloppe fictive de 50 000 euros à distribuer entre les projets. Le travail de pré-étude demandé aux participants afin d’évaluer le coût et la faisabilité technique de leurs idées pourrait également être repensé. « Cette partie d’analyse un peu pointue du projet a été assez peu remplie la plupart du temps », observe-t-il. Selon lui, cette carence pourrait être attribué à un manque de temps, de maturité ou de connaissances. Elle révèle en tout cas la nécessité de mieux accompagner les étudiants, l’objectif étant de leur permettre de suivre leur projet du début à la fin en participant à sa mise en œuvre.
Cette ambition est notamment partagée par l’université Paris 8 qui lancera en 2026 son troisième budget participatif annuel (doté de 100 000 euros) et a choisi de l’ouvrir aux personnels. « L’implication, en tant que porteur de projet, permet de se rendre compte que, quelle que soit notre position au sein de l’université, nous avons une force et une voix. Elle crée un sentiment d’appartenance à une communauté, à un territoire vivant », estime Benjamin Capdevila, chargé de mission Campus éco responsable à Paris 8.
Comme l’université d’Angers (qui bénéficie d’ailleurs de financements EU GREEN à hauteur de 10 000 euros pour son BPE), son établissement a choisi d’organiser son budget participatif autour de la thématique du développement durable. « Cela permet de donner une orientation pour mieux cadrer les propositions et de sensibiliser à ces questions-clés », précise-t-il.
Rentrer dans le cadre
La mise en place d’un cadre clair est une nécessité pour tout budget participatif. S’il est bien compris, cela limite notamment le nombre de projets irrecevables. Ceux-ci représentent néanmoins souvent la majorité des projets soumis.
À Angers, 31 des 46 propositions ont ainsi été écartées avant la phase de vote. À Paris 8, c’est 26 propositions sur 175 qui ont été examinées, pour finalement en retenir sept (dont des micro-ondes, des fauteuils confortables pour la BU et la végétalisation des campus). Dans les deux cas, certains doublons ont été fusionnés.
Les motifs de rejet peuvent être assez variés. À Avignon, le règlement est très clair. « Nous avons posé comme principe fondateur que la CVEC devait être une manne financière supplémentaire et donc qu’elle ne pouvait se substituer aux dotations de l’établissement dans les champs de la vie universitaire, de la vie étudiante et de la vie de campus », indique Audrey Abonnen. Les projets doivent notamment respecter les prérogatives de l’université et ne pas se substituer à ses devoirs (travaux de rénovation, aménagement d’un accès aux personnes à mobilité réduite, pédagogie, etc.).
« Nous avons par exemple rejeté une proposition d’unité d’enseignement d’ouverture ‘’langue des signes’’. C’était une idée géniale, mais elle ne rentrait pas dans le cadre », détaille la Vice-présidente en charge de la Vie universitaire.
À Angers, un projet similaire aurait pu aboutir s’il n’était pas déjà « dans les tuyaux » des services concernés. « La CVEC n’est pas censée financer des projets de formation, mais nous l’aurions plutôt considéré comme un projet d’inclusion. Il y a une souplesse même si cela peut donner lieu à des débats », indique Laurent Bordet.
Dans les établissements, les discussions portent souvent sur les coûts de fonctionnement ou d’entretien générés par les aménagements. Ils doivent être réduits au minimum. Si certaines universités exigent des projets pérennes, d’autres, comme Rennes 2, autorisent des projets renouvelables sous réserve d’un nouveau vote (couverts réutilisables à emporter, bons pour des achats de livres, mise à disposition de tests de grossesse gratuits, etc.). La redondance des projets, pérennes ou non, peut toutefois susciter de la lassitude au sein des services et chez les étudiants.
À Rennes 2, le renouvellement des idées est limité par la récurrence de projets coûteux comme l’installation de prises électriques dans les amphithéâtres et les salles de cours, qui a été plébiscitée trois années de suite engendrant une dépense totale de 65 000 euros soit 43 % des enveloppes.
« Tant que toutes les salles ne sont pas équipées, les étudiants continuent à voter pour », constate Romain Marrec. À l’initiative d’associations étudiantes, certains projets très populaires et jugés « indispensables », comme les micro-ondes, ne sont plus proposés dans le BPE mais financés, plus rapidement et avec certitude, par d’autres dispositifs. « Nous ne voulons pas prendre le risque que cela ne passe pas », explique le Vice-président étudiant, membre de l’association Union pirate.
Transformer la relation entre administration et usagers
« Le budget participatif n’est pas notre seul outil », souligne à cet égard Benjamin Capdevila. « Ce n’est pas parce qu’un projet n’a pas été retenu que l’idée est oubliée. En 2024, nous avons par exemple mis en place, avec le Crous de Créteil et la commune, trois composteurs de 800 litres qui avaient fait l’objet d’une forte demande de la part des étudiants, des administratifs et des enseignants porteurs de projet ».
Le BPE donne des indications supplémentaires sur les besoins et les envies en matière d’aménagements. « Cela montre à nos services qu’il faut travailler avec les étudiants pour bien identifier leurs besoins et ne pas penser à leur place, observe Laurent Bordet. Il y a des problématiques concrètes que nous n’avons pas forcément en tête. Quand vous êtes personnels de l’université, vous ne vivez pas, par exemple, l’absence de casier ».
Pour Laurent Bordet, ces échanges, qui apportent une compréhension mutuelle, sont le principal enseignement du budget participatif : « Plus que les projets eux-mêmes, ce qui est intéressant, c’est la manière positive dont le BPE transforme la relation entre l’administration et les usagers. C’est pour cela qu’il faut renouveler l’opération et l’inscrire dans la durée ».