Nous avons testé « Flashbacks », le jeu sérieux qui sensibilise aux risques festifs et associatifs
Jouer pour changer les fêtes (mais pas que), tel est le pari du nouveau dispositif de prévention en milieu étudiant élaboré par l’Essca et l’agence de solutions ludiques Bejoue. Mi-novembre, ce « serious game » immersif, pensé à partir du quotidien des jeunes adultes, a été expérimenté par des membres de la Conférence des grandes écoles. Campus Matin était de la partie et vous raconte.
« T’as vraiment été un gros lourd avec ma pote hier soir », « Je me sens bizarre », « C’est bon, tu es pris au BDE ? » Inscrites sur des cartes rectangulaires, ces phrases intrigantes inspirées de textos ou des retranscriptions de messages audios, constituent les points de départ de trois des neuf scenarii d’enquête inclus dans le jeu sérieux Flashbacks.
Créé par l’école de commerce Essca et l’entreprise Bejoue dans le cadre d’un appel à projets de la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) et de la Conférence des grandes écoles (CGE), ce dispositif ludique vise à sensibiliser les étudiants à la prévention des risques festifs et associatifs.
Campus Matin l’a testé pour vous aux côtés des représentants d’établissements membres de la CGE qui pourraient, s’ils sont conquis, le proposer chez eux à l’horizon de la rentrée 2026. Alors place au jeu.
Mise en situation
Tout démarre avec un message dont le contexte est plus ou moins difficile à deviner selon votre degré de connaissance des questions liées aux risques festifs.
En invitant les participants à remonter, carte après carte, la piste d’un événement survenu dans la vie d’un personnage, l’atelier permet d’aborder des thèmes comme les violences sexuelles et sexistes, le bizutage, la consommation de substances, la sécurité routière ou encore les discriminations.
Certains sujets concernent spécifiquement les étudiants mais la plupart peuvent parler à tout le monde. « Ils font écho à des situations que nous avons pu connaître plus jeunes ou que nous connaissons actuellement », explique Hadrien Robidas, responsable des politiques de prévention à l’Essca.
Un cadre de sécurité bienveillant
Parce que les sujets évoqués sont sensibles, la session de test, comme les ateliers avec les étudiants, s’ouvre par un rappel essentiel. « Il n’y a pas d’obligation, vous ne jouez pas votre vie », énonce Isa Terrier, cofondatrice de Bejoue, conceptrice du jeu et animatrice de l’atelier aux côtés notamment de son associée Coralie Franiatte, par ailleurs alumni de l’Essca.
« Nous allons poser un cadre de sécurité qui va se baser sur le respect, l’écoute et la bienveillance entre les personnes autour de la table », continue-t-elle.
Pour cela, il faut d’abord briser la glace, pour faire connaissance, ce que nous faisons en remplissant un badge d’enquêteur avec un prénom, une qualité jugée utile pour la « mission », un métier et son humeur du moment. Puis, l’on peut passer au jeu proprement dit.
À chaque table, un groupe de quatre ou cinq participants dispose méthodiquement des cartes numérotées associées à un scénario. Apparaissent alors un lieu, des personnages (victimes, témoins ou perpétrateurs) ainsi que leurs sentiments, agissements et éventuelles consommations. On découvre ensuite que le message « Je me sens bizarre » cachait une affaire de soumission chimique. Derrière « Tu n’es pas venu en cours aujourd’hui », c’est une addiction au cannabis qu’il fallait trouver.
« Le décrochage scolaire est l’un des premiers signes », commente Alice Hoogendoorn, médecin à l’Université de technologie de Compiègne (UTC) avant même que la scène ne soit reconstituée par le groupe. L’information est appuyée quelques minutes plus tard par l’une des cartes « documentation » qui viennent enrichir l’enquête et renvoient à des sources consultables.
On s’étonne d’apprendre en les consultant que l’argot « soper » désigne un joint consommé en solitaire, verlan de « perso », ou que le taux de THC, la substance psychoactive dans ce produit, a été multiplié par dix depuis les années 1990.
Rappeler la gravité des faits
Puis vient le moment de qualifier ce qui s’est passé en plaçant les cartes « fait » sur un plateau où figurent des informations sur les risques pénaux associés à chaque comportement : drague, conduite à risque, harcèlement, viol, soumission chimique…
La plupart des exemples du jeu sont pénalement répréhensibles, mais pas tous, et ils doivent être appréciés en fonction du contexte. « Cela permet de ramener une gravité qui est assez nécessaire quand on fait de la prévention sur les publics jeunes », indique Hadrien Robidas.
Une fois cette étape terminée, place à l’examen des solutions et des ressources « pour que la situation se déroule différemment si jamais elle leur arrivait à eux ou à un de leurs proches », poursuit le responsable. Que peut-on proposer au perpétrateur pour prévenir son mauvais comportement ou éviter la récidive ? Comment agir en tant que témoin ? Quelles sont les précautions à prendre en tant qu’organisateur ? Vers qui s’orienter lorsque l’on est victime ? Et que peuvent faire les établissements ? Les réponses à ces questions ne manquent pas et s’ils en ont d’autres, les participants sont invités à les écrire sur des cartes vierges.
Autour des tables, les idées fusent. « On pourrait faire témoigner d’anciens consommateurs de cannabis », propose par exemple Régis Arnou, animateur de vie de campus à l’école d’ingénieurs Cesi. « Cela fait partie des choses que nous avons arrêtées car il est difficile de trouver les bons profils », », réagit Hadrien Robidas venu s’enquérir des solutions.
Arrivé en 2019 à l’Essca, le responsable des politiques de prévention a eu du mal à trouver les bons formats pour mobiliser sur ces sujets. Le jeu est né de ce besoin. Et les résultats semblent au rendez-vous : évalué par 620 étudiants, il obtient une moyenne de 4,2 sur 5 et 86 % des répondants estiment que l’atelier leur a permis de mieux comprendre les enjeux liés aux risques festifs.
Le débriefing, un moment indispensable
Les retours des membres de la CGE, exprimés pendant et après le débriefing (moment indispensable d’un atelier) sont aussi très positifs. « Je suis convaincue », déclare Odile Buronfosse, responsable vie associative à l’Ecole spéciale des travaux publics (ESTP).
« C’est une façon d’aborder des thèmes sérieux et existants sur nos campus de manière plus ludique qu’à travers une conférence. Et l’on retient mieux en étant actif ».
Le jeu séduit aussi par sa « facilité d’accès ». On y entre en effet très facilement attirés par des cartes colorées à l’esthétique léchées, pour en ressortir deux parties plus tard (soit 1h30 environ) désireux d’échanger plus longuement sur les sujets abordés. Le format collaboratif favorise le partage d’expériences et la libération de la parole.
Pour en arriver là, il faut toutefois réussir à faire assoir les joueurs à une table. S’agissant des jeunes, ce n’est pas une mince affaire à en croire l’assistance. Plusieurs participants font état de difficultés à mobiliser leurs usagers.
« Mais comment faites-vous pour attraper les étudiants ? », s’enquiert ainsi Alice Hoogendoorn. « C’est obligatoire », répond Hadrien Robidas. À l’Essca, les primo-entrants suivent un parcours dédié à la prévention lors de leur semaine d’intégration. « Nous pourrions facilement intégrer le jeu dans la nôtre », se projette alors Odile Buronfosse.
Un accompagnement à la prise en main
Le dispositif se veut modulable et sera certainement amené à évoluer, tout comme les scenarii qu’il contient. Pour l’heure, il existe deux options de déclinaison dans l’accompagnement des établissements.
« Nous pouvons proposer des ateliers clés en main et les animer au sein de votre établissement ou bien assurer la formation de vos équipes », expose Hadrien Robidas.
Pas question toutefois de laisser Flashbacks circuler sans s’assurer une bonne prise en main. « Tout est fait pour que le jeu soit facile à animer, précise Isa Terrier, mais il est important d’être formé sur les concepts, la posture et les discours à tenir, ou sur la manière de se protéger des différentes questions difficiles ».