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Christine Fernandez-Maloigne : « La mobilité, pour les étudiants, est une expérience irremplaçable »

Par Marine Dessaux | Le | Relations extérieures

Femme scientifique et au cœur de l'équipe de gouvernance de son établissement, Christine Fernandez-Maloigne s’exprime ses missions en tant que chercheuse, enseignante mais aussi vice-présidente des relations internationales de l’Université de Poitiers. Ses vœux 2023 font écho à la thématique des « raisons d'être » de l’enseignement supérieur, fil rouge de notre événement Think Éducation et Recherche.

Christine Fernandez-Maloigne se positionne pour une pratique raisonnée de la mobilité. - © Université de Poitiers
Christine Fernandez-Maloigne se positionne pour une pratique raisonnée de la mobilité. - © Université de Poitiers

Alors que la transition écologique et l’international sont au cœur des enjeux d’avenir pour l’ESR, Campus Matin a demandé à la vice-présidente relations internationales de l’Université de Poitiers et présidente du Réseau des vice-présidents relations internationalesChristine Fernandez-Maloigne, de partager ses vœux pour 2023.

Celle qui est également co-directrice du laboratoire interdisciplinaire I3M (Imagerie métabolique multinoyaux multiorganes), associant le CNRS, Siemens, l’Université de Poitiers et son CHU, aborde aussi la raison d’être de ses missions, son combat en tant que femme dans un milieu très masculin et les espoirs qu’elle place dans l’Union européenne pour l’avenir des transitions.

Notre événement de début d’année, Think Éducation et Recherche s’intéresse aux « raisons d’être » de l’ESR. Quel sens mettez-vous derrière votre métier d’enseignante-chercheuse ?

Christine Fernandez-Maloigne : J’ai d’abord choisi la recherche par curiosité intellectuelle, pour être toujours dans l’apprentissage et dans la découverte. Ingénieure, j’ai rejoint le secteur public avec la volonté de mener des recherches utiles pour la société. C’est dans cette optique que j’aborde également mon rôle d’enseignante : avec une envie de transmettre. Transmettre des bases théoriques, mais aussi la passion de la recherche et d’un travail en équipe au service d’enjeux sociétaux, en ayant le sentiment de contribuer à construire le monde de demain.

Christine Fernandez-Maloigne est vice-présidente relations internationales de l’Université de Poitiers. - © Université de Poitiers
Christine Fernandez-Maloigne est vice-présidente relations internationales de l’Université de Poitiers. - © Université de Poitiers

Je suis entrée dans ce milieu très masculin avec l’intention de montrer qu’une femme pouvait aussi bien, voire mieux, réussir qu’un homme. J’ai passé mon habilitation à diriger des recherches cinq ans après la thèse et je suis devenue professeure des universités à 32 ans. J’ai ensuite créé mon équipe de recherche, monté des projets européens, participé à des comtés internationaux et j’ai pris de plus en plus de responsabilités, au niveau local, national et international. Tout cela, en ayant une vie de famille et quatre enfants dont je suis très fière.

Pour asseoir ma crédibilité, j’ai travaillé à être reconnue à l’international et, comme pour toutes les femmes, il a fallu souvent en faire beaucoup plus que les collègues masculins pour convaincre de ma légitimité. J’ai beaucoup eu affaire à des réactions machistes et ce n’est pas forcément simple d’être la seule femme dans des réunions où il n’y a que des hommes.  

Les femmes ne devraient pas avoir à prouver toujours plus, c’est à notre société de faire évoluer les choses.

En espérant faire bouger les choses, je participe à des événements pour témoigner auprès de jeunes femmes, les encourager à être des pionnières. Mais il ne faut pas laisser croire que faire une carrière d’enseignante-chercheuse avec une visibilité internationale, dans le domaine des sciences dures, tout en ayant une grande famille est facile. Car cela sous-entend que celles qui n’y arrivent pas ne sont pas assez courageuses ou compétentes. Mais les femmes ne devraient pas avoir à se battre, à prouver toujours plus, c’est à notre société de faire évoluer les choses.  

Et votre fonction de vice-présidente relations internationales ?

C’est pour moi une façon de mettre au service de l’université l’expérience que j’ai acquise au sein de réseaux européens et internationaux, pour le développement et la visibilité de mes travaux et de mon équipe de recherche.

En effet, cette crédibilité, cette visibilité que je cherchais à l’international pour ma carrière de chercheuse, cela vaut aussi pour l’Université de Poitiers. Et puis, ayant eu une expérience Erasmus lors de mes études, c’était aussi une façon de rendre au système ce qu’il m’avait apporté, et là encore de transmettre. En tant qu’étudiante comme en tant que chercheuse, j’ai pu constater ce que ces expériences pédagogiques, scientifiques, mais aussi culturelles apportaient et j’ai plaisir à aider les étudiants et les collègues à vivre cela.

C’est l’une des autres thématiques de Think : quel avenir pour les mobilités internationales, notamment au regard des enjeux de transition écologique ? 

La mobilité, particulièrement pour les étudiants, est une expérience irremplaçable, qu’il faut maintenir, qui permet de développer de nombreuses compétences et qualités. Notamment voyager dans le monde, contribue à lutter contre la peur des autres, à améliorer sa confiance en soi, mais aussi à développer la tolérance, dont notre monde a plus que jamais besoin.

Une pratique raisonnée de la mobilité

Néanmoins, au regard des enjeux de transition écologique, nous devons développer une pratique raisonnée de la mobilité chez les personnels, enseignants-chercheurs et cadres de l’ESR. Pour les étudiants, je ne pense pas qu’il faille les décourager d’aller loin, mais favoriser les mobilités longues pour les grandes distances. 

Nous avons tous appris à travailler en visioconférence pendant la Covid et cela a permis de commencer à changer les pratiques. Avant, il était usuel que tout le monde se déplace à Paris pour une réunion de deux heures. Même si le train n’est pas ce qui pollue le plus, est-ce réellement nécessaire ? Même chose pour les colloques internationaux qui sont devenus en partie un commerce : il n’est pas nécessaire d’aller partout. Nous avons besoin de continuer à nous rencontrer, tout ne peut pas passer par le virtuel, mais on ne peut pas non plus repartir sur nos vieilles habitudes.  

Il faut repenser les temps de présence indispensables, tout en étant vigilant à la pollution numérique (visioconférence, mails, etc.). Sur ce sujet, jeunes chercheurs comme plus âgés ont besoin d’être formés pour réduire le coût écologique du digital dans leur pratique professionnelle. 

Quelle est la raison d’être d’une institution qui vous parle tout particulièrement ? Et son rôle pour l’avenir ? 

Beaucoup de choses vont se jouer au niveau de l’Europe. La question c’est comment nous, citoyens européens, avec nos dirigeants, serons capables d’avoir une cohérence dans nos pratiques afin qu’elles soient responsables, durables, mais aussi équitables pour tous. Les transformations à venir doivent concerner les citoyens et les grandes entreprises.  

Pour mettre cela en place, quelle capacité peut-on donner à l’Union européenne pour légiférer, mais aussi assigner des moyens ? Notamment sur la gestion des déchets, les déplacements décarbonés, etc. Un exemple concret : il n’y a pas de bus qui passe dans tous les petits villages en périphérie de Poitiers, or la voiture électrique est chère, ne permet pas d’être chargée partout… Que met-on en place pour permettre de diminuer la pollution des transports individuels ? 

L’université a deux grands rôles : informer et favoriser les circuits courts de l’innovation

Sur ce sujet, l’université a deux grands rôles : informer, via des conférences ouvertes tenues par des personnalités de tous horizons, et favoriser les circuits courts de l’innovation, c’est-à-dire faire en sorte que les recherches soient guidées par les besoins du terrain. À l’Université de Poitiers, nous avons initié pour cela des laboratoires communs avec des entreprises locales comme européennes. 

La thématique de Think 2023

Ces vœux portent sur les raisons d'être de l’enseignement supérieur, la thématique de l’événement annuel de News Tank Éducation et Recherche, Think.

Parmi les conférences, sont notamment abordés : « International : aussi ouvert que possible, aussi fermé que nécessaire ? » ; « Transitions : ce qui doit changer dans l’ESR » ; « Métiers et compétences d’avenir : repenser les formations ».

Retrouvez le replay des webinaires tout au long du mois de février sur Campus Matin et le compte-rendu des conférences du 26 janvier, en présentiel, sur News Tank (abonnés)