Quitter X pour Bluesky : faut-il sauter le pas ?
Par Marine Dessaux | Le | Relations extérieures
Depuis la réélection de Donald Trump, le 5 novembre, et la nomination du propriétaire de X, Elon Musk, au sein de son gouvernement une semaine plus tard, des médias mais aussi scientifiques et universités migrent sur Bluesky. Le réseau social au papillon semble bénéficier d’un regain d’intérêt pour les établissements et acteurs du supérieur qui se présentent avec le #helloESR. Une tendance partie pour durer ?
Un vent de migration souffle sur l’enseignement supérieur et la recherche. La mise en veille des comptes d’universités s’est multipliée pendant plus d’une année sur X, anciennement Twitter. Mais, depuis mi-novembre, un nouveau mouvement peut être observé : l’arrivée de la communauté universitaire sur Bluesky.
Après une longue période de stagnation, la communauté ESR prend de l’ampleur sur Bluesky
L’Université Bordeaux Montaigne, qui a rejoint la plateforme fin 2023, remarque un pic d’engagement depuis la création du #helloESR par Julien Gossa, maître de conférences en informatique à l’Université de Strasbourg et figure critique très active sur les réseaux sociaux.
« BlueSky a stagné : les premiers mois, il n’y avait quasiment aucun engagement. Mais, en une semaine et demie, nous avons gagné un peu plus de 400 abonnés. Nous avons désormais 750 abonnés au total, après être restés longtemps à une centaine à peine », raconte Isabelle Froustey, directrice de la communication de l’établissement.
Un mouvement qui s’inscrit dans un contexte de multiplication des fake news et d’une tension accrue sur X depuis son rachat par Elon Musk. Sa nomination à la tête d’un nouveau département d’« efficacité gouvernementale » par le président américain Donald Trump, le 13 novembre 2024, a elle aussi entraîné des départs du réseau social. « Sur X, la tournure des échanges devenait nauséabonde », confie la dircom.
D’autres universités ont fait le même choix, à l’instar de l'Université de Lorraine qui a quitté X en octobre 2024. L’établissement en a profité pour revoir complètement sa stratégie éditoriale digitale.
Malgré une nouvelle activité sur Bluesky, la prudence reste de mise. L’exemple de Mastodon, plateforme qui a elle aussi connu une période d’engouement qui a fini par retomber, incite à tempérer l’enthousiasme. « Certes, BlueSky progresse, en dépassant les 20 millions d’utilisateurs, mais cela reste bien en deçà des 275 millions de Threads (lancé par Meta) », met en garde Patrice Razet, expert en stratégie numérique du cabinet Canévet & associés.
Une nouvelle plateforme avec des opportunités…
Bluesky présente plusieurs avantages pour les établissements d’enseignement supérieur, à commencer par une interface familière. « Nous avons choisi BlueSky, un peu par facilité, car cette plateforme est plus proche de X en termes de fonctionnement. Mastodon, en revanche, nous semblait trop “geek” », indique Noémie Sulpin, animatrice éditoriale et des communautés de l’Université Bordeaux Montaigne.
Si repérer son public cible y est plus difficile, dernièrement le développement de kits de lancement, permettant de s’abonner rapidement à des comptes d’utilisateurs regroupés par thématique, est « plus efficace pour fédérer des utilisateurs ».
Le réseau social séduit aussi par son environnement plus modéré, en phase avec les attentes des institutions. « Nous y avons relayé des sujets sensibles, comme ceux liés à des séminaires sur les violences sexistes et sexuelles (VSS). Ce type de contenu est difficile à aborder sur X. Par ailleurs, les utilisateurs de BlueSky semblent vouloir préserver un espace respectueux et ne pas “polluer” leurs échanges : il y a une forte culture de blocage des comportements problématiques dès qu’ils se manifestent », explique l’animatrice éditoriale.
… Et des limites
Prendre des distances avec les profils véhéments représente cependant un risque d’entre-soi. « Sous prétexte de chercher un espace plus serein, ne risquons-nous pas de créer des lieux de discussion fermés, accentuant les fractures démocratiques ? En désertant ces réseaux, nous nous privons de certaines populations, moins radicales, voire du même bord que nous. On peut regretter que les réseaux sociaux deviennent des lieux où on s’invective, mais c’est aussi le reflet de la société. Dans une forme de bataille des idées, l’ESR a un rôle à jouer, sur le fait de militer pour la méthode scientifique et le raisonnement rationnel, et j’ai l’impression que partir, c’est déserter la bataille », avertit Patrice Razet.
Le réseau social X continue de grandir
Si les départs de l’ex-Twitter font parler d’eux, la plateforme est loin de se vider ! Le dernier rapport de transparence montre même une progression, avec un passage de 11 à 13 millions d’utilisateurs actifs mensuels dans le monde en un an.
Ainsi, malgré les mises en suspension de compte, X ne disparait pas totalement du quotidien des community managers des établissements. « Nous y restons pour repérer des informations publiées par nos enseignants-chercheurs, qui continuent d’y poster régulièrement », explique Isabelle Froustey.
Une communication institutionnelle à réinventer
L’expérience de BlueSky met en lumière les défis de la communication institutionnelle, estime Patrice Razet. « Ce qui m’étonne profondément, c’est l’apparente focalisation des débats éthiques sur X, alors que des plateformes comme TikTok et Meta posent également question. Il semblerait que cette problématique soit plus qu’éthique. Les établissements n’arrivent pas à trouver le bon positionnement sur X : leur présence repose beaucoup sur une parole institutionnelle et descendante, peinant à générer un dialogue. Ceux qui migrent vers BlueSky reproduisent souvent les mêmes travers. Si l’on quitte une plateforme pour une autre, l’idéal serait d’obtenir au moins autant d’intérêt ou d’engagement, mais ce n’est pas encore le cas sur les nouveaux réseaux sociaux, excepté peut-être pour Threads. »
À l’Université Bordeaux Montaigne, la stratégie sur BlueSky se concentre sur des thématiques institutionnelles et scientifiques, avec un accent sur les événements de recherche. « Nous nous adressons principalement à un public de spécialistes et de chercheurs, une communauté que nous avions un peu perdue sur nos autres canaux. Nous utilisons aussi BlueSky pour promouvoir l’agenda de nos événements », précise Noémie Sulpin. Les publications avec images semblent mieux fonctionner, note l’animatrice réseaux sociaux, mais l’interaction reste un défi.
La migration de médias, comme Ouest-France, Sud-Ouest ou encore The Conversation, pourrait cependant justifier les arrivées des établissements sur Bluesky, à condition de revoir sa stratégie de communication, suggère Patrice Razet. « Pour X, le départ d’institutions est souvent indolore, tandis que celui de médias peut être plus impactant. Les médias avancent cependant prudemment sur ces nouvelles plateformes. Les “starter packs” de Ouest France ne comptent qu’une soixantaine de journalistes. Beaucoup de leurs collègues continuent à publier sur X », analyse-t-il.
Mettre en place une stratégie en fonction de ses objectifs
La multiplication des réseaux sociaux exige de définir des objectifs précis en fonction de chaque cible. « Nous ne pouvons pas demander aux community managers d’être actifs sur une douzaine de réseaux sociaux à la fois. Il faut se méfier des “vanity metrics” : le nombre d’abonnés importe moins que le niveau d’interactions. Il est essentiel d’admettre que nous ne pouvons être partout et de fixer des micro-objectifs pour chaque plateforme », soutient Patrice Razet.
LinkedIn et Instagram forment aujourd’hui un duo efficace pour les institutions, tandis que TikTok incarne la nouvelle génération de réseaux sociaux. « En quittant X, nous n’avons pas tout perdu : nous avons gagné en qualité d’interactions sur LinkedIn », note Isabelle Froustey.
Et pour les établissements qui souhaiteraient malgré tout sauter le pas à leur tour, Patrice Razet conseille : « Il faut réfléchir à une stratégie précise : quel public cible, et avec quel objectif ? Ce réseau social reste un objet encore non identifié. Il ne s’agit pas de reproduire les anciens modèles de communication, comme s’il s’agissait d’une résurgence d’un souvenir de Twitter, mais d’innover. »
Il poursuit : « Par exemple, si la presse et des institutionnels commencent à s’y installer, ce réseau pourrait devenir un lieu d’échange entre pairs, notamment pour la recherche. L’objectif ne doit pas être de tout faire et tout lister sur un même réseau, mais d’adapter la présence en fonction des communautés scientifiques, avec des actions ciblées et temporaires. Créer un compte international pour un laboratoire qui a besoin de visibilité, parce qu’il est en compétition avec d’autres, peut être une piste intéressante. »
Publier moins mais mieux, c’est le choix qu’a fait l’Université de Lorraine : « Notre nouvelle stratégie s’inscrit aussi dans une volonté de passer d’une logique de quantité à une logique de qualité. Nous voulons privilégier des contenus plus riches, plus pertinents et mieux adaptés aux attentes de nos publics. Cette approche s’inscrit dans une démarche de sobriété informationnelle, où chaque contenu a du sens et apporte une réelle valeur ajoutée », explique David Diné, directeur de la communication, dans une interview à Factuel, le site web de l’établissement, fin septembre.
Sur ses plateformes, la prise de parole scientifique par des chercheurs a plus d’impact. Leur positionnement via des comptes personnels posent néanmoins la question de l’accompagnement par les institutions. « Cela exige que les universités accompagnent leur communauté en termes de méthode et de préservation face au risque de harcèlement en ligne », prévient-il.
Campus Matin renforce sa présence sur Bluesky
Campus Matin et l’agence spécialisée qui l’édite, News Tank Education & Recherche, ont pris pied sur Bluesky il y a déjà plusieurs mois. En voyant une communauté ESR plus active, nous avons décidé d’une présence renforcée pour échanger davantage avec nos lecteurs.
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Et pour aller plus loin…
Faut-il encore communiquer sur X ? La réponse dans Com’Together, l’émission des communicants de l’agence Madame Monsieur et l’Association des responsables de communication de l’enseignement supérieur.