Vie des campus

The Chair sur Netflix : « Les Américains ont plus de responsabilités que les Français »

Par Catherine Piraud-Rouet | Le | Stratégies

La minisérie « The Chair » met en scène le quotidien d’un campus américain et de la directrice d’un département d’anglais avec une grande précision. L’occasion pour Campus Matin de se lancer dans le jeu des différences. Salaire, évaluation des professeurs, charge de travail, missions, reconnaissance, parité, diversité… Autant de thèmes analysés par Stéphanie Mignot-Gérard, une enseignante-chercheuse française qui a travaillé deux ans à New York.

La minisérie « The Chair » est diffusée sur Netflix depuis le 20 août dernier. - © ELIZA MORSE/NETFLIX © 2021 Netflix, Inc.
La minisérie « The Chair » est diffusée sur Netflix depuis le 20 août dernier. - © ELIZA MORSE/NETFLIX © 2021 Netflix, Inc.

Vous êtes nombreux à avoir suivi avec intérêt la minisérie « Directrice » (« The Chair »), diffusée sur Netflix depuis le 20 août dernier. On y suit les pérégrinations de Ji-Yoon Kim, professeure de littérature d’origine coréenne fraîchement nommée à la tête du département d’anglais de l’université (fictive) de Pembroke.

Si la série passionne, c’est, certes, pour son humour décalé. Mais aussi parce qu’elle met en scène nombre de réalités des campus américains. Quelles sont leurs spécificités ? Et dans quelle mesure ce panorama est-il comparable à celui des universités françaises ?

Campus Matin a posé ces questions à une enseignante-chercheuse, de retour d’un séjour de recherche en sciences de l’éducation de 2018 à 2020 à l’Université de Columbia à New York : Stéphanie Mignot-Gérard, maîtresse de conférences en gestion à l’IAE Gustave Eiffel et chercheuse à l’Institut de recherche en gestion.

Dans la série, la directrice de département doit se « débarrasser » des vieux enseignants, obsolètes dans leurs enseignements et jugés trop chers, une situation envisageable en France ?

Stéphanie Mignot-Gérard  : Non, car en France, à la différence des États-Unis, il existe un âge limite de départ en retraite, au-delà duquel, s’ils veulent continuer à exercer des activités, les enseignants doivent postuler à un statut spécifique, l’éméritat, placé sous le signe du bénévolat.

Il faut préciser qu’outre-Atlantique, seuls les tenure professors (détenteurs d’une chaire, ou «  track ») ont un poste à vie, à la différence des titulaires en France, qui sont fonctionnaires. Aux États-Unis, licencier ces enseignants est possible, mais constitue une décision d’envergure, à justifier par de vraies difficultés financières ou une faute grave. En France, seuls le refus de poste ou l’insuffisance professionnelle peuvent être pris en compte.

À quoi correspond dans l’université française le poste de directeur de département ?

 Stéphanie Mignot-Gérard travaille à l’IAE Gustave Eiffel. - © D.R.
 Stéphanie Mignot-Gérard travaille à l’IAE Gustave Eiffel. - © D.R.

Le plus proche serait la fonction de directeur d’UFR. Mais le prestige de la fonction n’a rien à voir entre ce dernier et son homologue américain. Le rôle de notre directeur d’UFR se réduit à négocier l’allocation des moyens avec la direction de l’université et à assurer la coordination des formations. Mais il ne supervise que l’enseignement, la recherche étant placée sous la houlette du directeur de laboratoire. Élu par ses pairs, il se conçoit comme un « primus inter pares ». Il est davantage dans la défense de ses collègues que dans l’immixtion dans la gestion des conflits internes.

Aux États-Unis, la fonction est un honneur, mais aussi une lourde responsabilité. Le directeur de département a en charge l’évaluation annuelle des enseignants-chercheurs, et il a un rôle important dans le recrutement des nouveaux enseignants. C’est un patron à part entière, qui rend compte à un « dean » désigné par le président d’université, ce dernier gérant sa boutique pratiquement comme une petite entreprise.

En France, être directeur de département est peu reconnu dans l’évolution de la carrière, si bien que c’est avant tout conçu comme un engagement pour le collectif. Avec l’affirmation de l’autonomie des universités, l’enjeu de prestige concerne davantage la fonction de président d’université. 

Les enseignants-chercheurs sont-ils mieux lotis aux États-Unis qu’en France côté charge de travail ?

Des étudiants en thèse étasuniens aident les professeurs à organiser leurs cours. - © D.R.
Des étudiants en thèse étasuniens aident les professeurs à organiser leurs cours. - © D.R.

Les enseignants-chercheurs américains ont des responsabilités plus étendues que les Français. Aux États-Unis on ne compte pas deux, mais trois missions dans le statut de ces personnels : enseignement, recherche et service.

À savoir, siéger dans des commissions, des conseils universitaires ou des comités d’évaluation, prendre en charge des directions de départements, etc.

Globalement, les professeurs américains sont davantage dégagés des aspects de gestion des formations et ils bénéficient de teaching assistants, des étudiants en thèse qui les aident dans l’organisation de leurs cours. À la clé, une réelle aide administrative que l’on n’a pas du tout en France, où les tâches annexes à l’enseignement et la recherche ne sont pas reconnues comme telles.

Ce qui pose un réel souci en matière de charge de travail, d’autant plus que nos administrations sont nettement moins étoffées que dans les universités américaines. Mais leurs tâches en matière d’encadrement des étudiants sont plus lourdes. Ils sont d’ailleurs tenus de consacrer plusieurs heures par semaine à recevoir ceux-ci.

Et côté salaires ?

Les universités américaines étant totalement autonomes dans leurs recrutements, il existe des disparités énormes dans les émoluments versés aux enseignants américains, par établissement ou discipline… Mais chaque offre de poste est accompagnée d’un package négociable. En France, pour les titulaires, qui sont des fonctionnaires, pas de négociation possible. Tel ou tel salaire est fixé statutairement pour tel corps, tel grade…

Des enseignants notés par les étudiants : envisageable chez nous ?

La recherche est, comme en France, l’activité qui compte le plus pour progresser dans la carrière

Aux États-Unis, les étudiants choisissent leurs cours (majeures et mineures) et la notoriété d’un professeur est aussi évaluée à l’aune du nombre d’étudiants qu’il a dans sa classe ; il existe en outre des « teaching prizes » qui distinguent les enseignants les mieux évalués par les étudiants.

De manière générale, les enseignants sont évalués sur chacun des trois pans de leurs missions, même si la recherche est, comme en France, l’activité qui compte le plus pour progresser dans la carrière. En cas de très mauvaise évaluation de leurs enseignements, ils sont reçus par le directeur de département pour essayer d’améliorer leur pédagogie.

Stéphanie Mignot-Gérard a effectué un séjour de recherches à l’Université de Columbia de 2018 à 2020 - © D.R.
Stéphanie Mignot-Gérard a effectué un séjour de recherches à l’Université de Columbia de 2018 à 2020 - © D.R.

En France, on n’est pas du tout dans cette logique marchande : chaque étudiant suit un programme préétabli et l’enseignant ne lui doit pas de suivi individualisé. Et même si le directeur de l’UFR était alerté que tel ou tel enseignant ne donne pas satisfaction, il n’y aurait pas de sanction, au pire un point avec l’intéressé.

Toutefois, nous sommes également évalués par nos étudiants. Dans certaines formations, de masters notamment, il existe des comités de perfectionnement avec des délégués étudiants, visant à améliorer la qualité des enseignements. Mais cette évaluation reste très collégiale : elle n’est jamais le fait d’une personne unique.

La problématique d’attirer des étudiants, comme c’est le cas dans la série, a-t-elle lieu d’être dans les universités françaises ?

les droits d’inscription sont le nerf de la guerre

Outre-Atlantique, pour les universités privées comme, de plus en plus, pour les publiques, comme Berkeley, les droits d’inscription sont le nerf de la guerre.

Pour rappel, les droits payés par les étudiants américains sont sans commune mesure avec ce que nous connaissons en France, toutes filières confondues : au moins 50 000 dollars par an pour les grandes universités privées.

La problématique est toutefois également présente en France aussi, mais de manière bien moins aiguë. Notamment dans les filières de gestion, où la concurrence est assez forte avec les grandes écoles, ou dans celles de sciences humaines, frappées par une certaine désaffection.

Le défi est d’autant plus de taille pour les structures publiques que le secteur privé a vu son nombre d’étudiants multiplié par deux en vingt ans. Par contre, la question se pose moins dans des filières prisées et monopolistiques comme droit ou médecine, ou dans certains cursus sélectifs de l’université, comme les IUT ou les doubles licences.

L’université de Pembroke : un patrimoine immobilier qui fait rêver (somptueux bâtiments de l’époque victorienne, mobilier de prix, vaste parc arboré)… Pourquoi sommes-nous si loin de ces décors de rêve ?

Historiquement, les « colleges » américains étaient construits comme des communautés élitistes fonctionnant en quasi autarcie, à l’écart de la ville. À l’inverse, en France, les premières facultés de droit et de médecine étaient installées en ville et le développement des campus dans les années 1960 pour répondre à la massification du supérieur, s’est fait majoritairement dans un environnement suburbain.

Le Plan Campus lancé en 2008 a acté l’urgence de réhabilitation immobilière des universités, avec le constat alarmant de plus d’un tiers des locaux déclarés vétustes. À ce jour, au-delà de quelques projets pilotes, on est toujours dans une logique de rattrapage plutôt que de financement.

Alors qu’outre-Atlantique, les mannes financières affluent de toutes parts. En 2018, entre partenariats publics ou privés, contributions des entreprises, des anciens élèves et des fondations, on a ainsi compté 46 milliards de dollars de dons !

Une femme, qui plus est issue de la diversité, nommée à la tête d’un département d’université : quid dans l’Hexagone ?

Les politiques de diversité visant à promouvoir les femmes à des postes de décision dans les établissements du supérieur sont très récentes en France : il a fallu attendre la loi Fioraso de 2013 pour voir édictée la règle de parité dans les conseils d’administration des universités, doublée de l’obligation, pour les universités, d’avoir des chargés de mission égalité/diversité dans leurs équipes de direction. Mais il semble que les missions de ces derniers soient assez mal définies, et qu’ils/elles ont encore du mal à pousser de réelles politiques d’établissement en la matière.

Quelle place pour des cours innovants à l’université, comme celui « Sexe et romans » dans la série ?

Je suis convaincue que l’université française compte beaucoup plus d’initiatives innovantes qu’on ne le pense. Dans ma filière de gestion, les travaux sur les études de cas existent depuis longtemps, il y a des business games, les classes inversées se développent aussi…

L’État s’est d’ailleurs emparé de ces questions, par exemple via le PIA 3, action « Territoires d’innovation pédagogiques », lancé en janvier 2020. Mais, sur le terrain, ces évolutions demeurent très disparates selon les disciplines et les niveaux d’études : tout repose sur les initiatives individuelles des enseignants-chercheurs.

Quelles sont les différences fondamentales entre les panoramas universitaires hexagonal et américain ?

Côté recherche, je n’ai pas constaté de grandes différences avec la France. Par contre, il y a certainement une plus grande interactivité entre enseignants et étudiants. Et dans les universités d’élite, l’organisation collégiale est très poussée pour faire en sorte de fabriquer collectivement de la qualité, en matière d’enseignement comme de recherche.