Évaluation : quel avenir pour le Hcéres ?
Alors que le projet de loi de simplification économique prévoit sa suppression, le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) poursuit ses activités. Sa présidente, Coralie Chevallier, accélère sa réforme et prépare l’institution à de nouvelles missions, notamment sur le privé. Le point avant un automne parlementaire décisif.

Le sort du Hcéres suspendu à l’automne parlementaire
Le 24 mars 2025, un amendement déposé par le groupe Écologistes et voté en commission spéciale à l’Assemblée nationale, propose de rayer d’un trait de plume le Hcéres du paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche. Motif invoqué : un outil bureaucratique, coûteux, accusé de nourrir la souffrance au travail en imposant une évaluation jugée normative et idéologique.

Le texte dans lequel cette suppression est insérée - le projet de loi de simplification de la vie économique - n’est pourtant pas centré sur l’enseignement supérieur et la recherche. Adopté initialement par le Sénat dès avril 2024, il fait l’objet d’un traitement plus politique à l’Assemblée.
Plusieurs autres instances publiques sont visées : le Conseil supérieur de la forêt et du bois, le comité d’expertise de l’innovation pédagogique, la conférence de prévention étudiante, ou encore les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux.
Le gouvernement a tenté, en vain, de faire annuler cette suppression lors de la séance publique du 10 avril. Philippe Baptiste, ministre chargé de l’ESR, a défendu un amendement pour rétablir le Haut Conseil, qualifiant sa suppression de « geste politique grave » et dénonçant un affaiblissement des libertés académiques.
Un ministre confiant sur le maintien du Hcéres
Depuis, les doutes et interrogations vont bon train. Des établissements et des experts s’interrogent sur la viabilité de l’instance et sur la manière de se saisir de ses évaluations dans cette période d’incertitude.

Pourtant, au ministère, l’issue semble claire. « Nous allons bien sûr attendre la tenue de la CMP, mais je n’ai pas de doute là-dessus, et nous comptons dessus », déclare Philippe Baptiste dans une interview à News Tank (abonnés).
Et pour cause : le projet de loi qu’il porte sur la régulation de l’enseignement supérieur privé repose en grande partie sur l’intervention d’une « instance indépendante d’évaluation » (comprendre : le Hcéres).
Même tonalité lors du colloque annuel de la Commission d’évaluation des formations et diplômes de gestion (CEFDG), mi-juin. Olivier Ginez, le directeur général de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle du ministère, y rappelait que « le Hcéres est là, et bien là » et qu’il pourrait être rétabli par voie d’amendement lors des arbitrages parlementaires à venir. Il insiste sur la nécessité d’un système d’évaluation public, stabilisé et conforme aux standards européens.
Coralie Chevallier, la nouvelle présidente du Hcéres depuis mars 2025, partage cette conviction : « Une évaluation professionnelle et indépendante est indépassable et indispensable. C’est la condition de sa crédibilité. »
Une procédure parlementaire encore longue
Le projet de loi devra encore passer par une commission mixte paritaire (CMP), composée de sept députés et sept sénateurs, pour rapprocher les versions divergentes du texte. Ni la composition, ni la date de réunion de cette CMP ne sont connues à ce jour.
« La CMP devra résoudre l’ensemble des différends entre les textes, dont l’amendement de suppression du Hcéres. Puis, les deux chambres devront revoter la version harmonisée, avant que le texte ne soit soumis au Conseil constitutionnel », rappelle Coralie Chevallier, dans une interview à News Tank.
Mais rien ne permet d’affirmer que la suppression du Hcéres sera une priorité dans les négociations. D’autant que les membres de la CMP ne seront pas nécessairement ceux qui ont porté cette suppression.
Une crise de légitimité amplifiée par la vague E
Si les parieurs misent donc sur un maintien du Hcéres, le statu quo n’est plus une option. Sa vulnérabilité actuelle trouve aussi sa source dans une crise de légitimité académique.
Dévoilés en février 2025, les prérapports d’évaluation de la vague E (Île-de-France hors Paris, Hauts-de-France, Mayotte, La Réunion) ont déclenché un flot de critiques. Une proportion jugée « anormale » d’avis défavorables, notamment dans les formations professionnalisantes, a suscité l’incompréhension de nombreuses équipes pédagogiques.
Des syndicats comme le Snesup-FSU, des responsables universitaires tels que Gilles Roussel (président de l’Université Gustave Eiffel), et même France Universités, pointent du doigt un processus jugé trop lourd, trop normatif, et déconnecté des spécificités locales. Cette polémique a fragilisé la position du Haut Conseil, au moment même où sa présidence changeait.
Une institution longtemps sans pilote
Avant d’être au cœur des débats parlementaires, le Hcéres a traversé une période de vacance inédite à sa tête. L’intérim, assuré par Stéphane Le Bouler depuis septembre 2023, aura duré 18 mois, un délai inhabituellement long pour une autorité administrative indépendante.

Ce vide de gouvernance a nourri les doutes sur la trajectoire stratégique du Haut Conseil, en interne comme dans le reste du paysage académique. La nomination de Coralie Chevallier, le 3 mars 2025, est donc apparue comme une tentative de relancer la dynamique, avec un mandat de réforme.
Nommée par décret du président de la République, Coralie Chevallier avait été préalablement auditionnée par les deux chambres du Parlement le 19 février.
Malgré un contexte tendu, sa nomination est validée avec une large majorité : 35 voix pour à l’Assemblée, 20 à l’unanimité au Sénat. Pourtant, c’est ce même Parlement qui, quelques semaines plus tard, vote l’amendement de suppression du Hcéres.
Un paradoxe alors que la présidente proposait une modification des procédures et de l’approche de l’instance. « Le Hcéres est une institution avec un fort potentiel d’impact positif, mais pour que ce potentiel se matérialise, son fonctionnement doit être réformé », déclarait-elle lors de ses auditions.
Une réforme accélérée
Confrontée, dès sa prise de fonctions à une crise de confiance liée à la vague E, Coralie Chevallier accélère le calendrier. « Le contexte me conduit à annoncer dès maintenant des mesures fortes », explique-t-elle début avril. Objectif : transformer l’évaluation pour la rendre plus stratégique, plus simple et plus utile.
À partir de la vague B (2026), le référentiel d’évaluation des établissements sera réduit de moitié. L’évaluation formation par formation disparaît au profit d’une analyse globale de la politique de formation, complétée par un échantillonnage concerté. Les unités de recherche pourront soumettre leurs productions scientifiques directement, sans format imposé. Une expérimentation envisage de remplacer les visites par des Scientific Advisory Boards (SAB).
L’ensemble du processus devrait être compressé sur un an, contre deux actuellement. « Il faut cesser de demander les mêmes informations à tout le monde, plusieurs fois, de la même manière », martèle-t-elle.
La réforme ne se limite pas aux outils : elle entend changer l’esprit même de l’évaluation. Le Hcéres veut faire confiance aux établissements, s’appuyer sur leur assurance qualité interne, et passer d’une logique de contrôle à une logique d’accompagnement stratégique. Le langage utilisé évoluera également : moins de jargon, plus de clarté.
Le Hcéres veut continuer de fonctionner
Malgré les incertitudes, le Hcéres ne s’est pas figé. « Dans l’intervalle, la responsabilité qui m’a été confiée reste claire : faire fonctionner l’institution », affirme Coralie Chevallier début juillet. « Nos missions se poursuivent tant que la loi n’est pas votée ».
Elle a ainsi enclenché plusieurs nominations stratégiques :
- Camille Jannic, secrétaire générale depuis le 1er juillet 2025.
- Sophie Meynet, en provenance d’Aix Marseille Université (AMU) dont elle était vice-présidente, est la nouvelle directrice du département des formations. Tout un symbole puisque AMU avait vertement critiqué le rapport du Hcéres la concernant.
- Nicolas Carayol, nouveau directeur de l’Observatoire des sciences et techniques (OST).
- Michel Dubois, nouveau directeur de l’Office français d’intégrité scientifique (Ofis).
Un appel à candidatures est ouvert pour la direction de l’évaluation de la recherche. Le mandat de Bernard Larrouturou, à la tête du département des organismes de recherche, se termine à l’automne. Si bien que, d’ici fin 2025, c’est un Hcéres à la direction profondément remaniée qui devra mettre en musique les intentions affichées de changement et les nouvelles priorités.
Régulation du privé : une nouvelle mission, un autre tempo
Les incertitudes tombent à un moment clé : celui de l’élaboration du projet de loi sur la régulation de l’enseignement supérieur privé. Ce texte prévoit que les établissements qui entendent obtenir la reconnaissance de l’État - comme « agréés » ou « partenaires » - soient évalués par une instance indépendante.
Tous les regards se tournent donc vers le Hcéres. Pour répondre à cette montée en charge, le Haut Conseil devra adapter ses procédures, son organisation et ses équipes. Coralie Chevallier, elle, se dit prête à assumer ce rôle : « Le besoin de régulation est urgent, et nous avons les outils pour y répondre ».