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Un contrat doctoral pour faire entrer la recherche au sein de l'État

Par Marine Dessaux | Le | Doctorat

Il est l’un des premiers «  doctorants Cofra  » en France - un nouveau dispositif qui permet de diviser son temps entre une administration publique et un laboratoire de recherche, sur le modèle des thèses Cifre, qui lient le monde de la recherche et celui de l’entreprise. C’est directement auprès du ministère de l’ESR qu’Elias Habib a signé son contrat doctoral. Il raconte son expérience de ce dispositif mis en place de façon expérimentale depuis la rentrée 2022.

Le dispositif de thèse Cofra veut faire entrer la recherche dans l’administration publique. - © Freepik
Le dispositif de thèse Cofra veut faire entrer la recherche dans l’administration publique. - © Freepik

Renforcer les ponts existants entre l’administration et la recherche, mais aussi favoriser l’insertion des docteurs au sein de l’administration : c’est l’ambition affichée lors de la création des thèses Convention de formation par la recherche en administration (Cofra), en mars 2022 par le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et la Direction générale de l’administration et de la fonction publique (DGAFP).

Pour ce dispositif encore expérimental, co-financé à moitié par l’administration centrale accueillante et, pour l’autre, par la DGAFP, un objectif de 20 doctorants Cofra était affiché pour la rentrée 2022. Parmi eux, Elias Habib, en stage de master au sein du département « Investissements d’avenir et analyse territoriale » du ministère de l’ESR entre mars et septembre 2022. Il a sauté sur cette nouvelle opportunité pour étudier plus en profondeur les relations que les universités possèdent avec leurs territoires.

Une thèse entre Sciences Po et le ministère de l’ESR

Il se présente comme le « premier doctorant Cofra » : Elias Habib a signé sa convention début novembre 2022. Sa thèse de sociologie porte sur « La construction de territoires de l’enseignement supérieur et de la recherche ».

Étudier la capacité des universités à construire simultanément leurs territoires.

«  L’enjeu est de comprendre comment les universités construisent, entretiennent et formalisent leurs relations avec leurs territoires aux échelles locale, nationale et internationale. Face à l’intervention croissante des collectivités territoriales, le développement de France 2030, l’avènement de nouveaux modes de regroupements, comme les établissements publics expérimentaux, ainsi que de la constitution d’universités européennes, comment les universités se positionnent-elles ? Il s’agit d’étudier leur capacité à construire simultanément leurs territoires à différentes échelles, en matière d’enseignement supérieur et de recherche », explique-t-il.

Elias Habib fait partie des premiers doctorants à bénéficier du dispositif Cofra . - © D.R.
Elias Habib fait partie des premiers doctorants à bénéficier du dispositif Cofra . - © D.R.

D’un nouveau genre, son travail de thèse est divisé entre le Centre de sociologie des organisations (Sciences Po/CNRS) et le service de la coordination des stratégies de l’enseignement supérieur et de la recherche du ministère de l’ESR, où il a conservé son bureau d’ancien stagiaire.

« En plus de cela, j’ai commencé à enseigner un cours d’introduction à la sociologie à Sciences Po, sur le campus de Dijon. Il s’agit, via l’enseignement, de gagner en ouverture d’esprit et de prendre du recul par rapport à la thèse  », précise le jeune chercheur.

Un mélange entre présence en établissement et en administration qui se traduit également par l’équipe entourant ce travail de recherche. Ce dernier est dirigé par deux chercheurs, la sociologue Christine Musselin et le politiste Jérôme Aust, et co-encadré par des acteurs de l’administration, à savoir Anne-Sophie Barthez, à la tête de la Direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (Dgesip), et Sébastien Chevalier, chef du service de la coordination des stratégies de l’enseignement supérieur et de la recherche. 

Un parcours marqué par la recherche et l’implication au cœur de l’ESR

Tout au long de ses études supérieures, Elias Habib s’est progressivement dirigé vers la recherche universitaire et l’étude des organisations. En 2020, il obtient une licence en science politique à l’Université Paris Nanterre, suivie d’un master 1 en sciences sociales à l’École normale supérieure (ENS) et à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), puis un master 2 administrateur des institutions de recherche à l’ENS de Lyon en 2022.

Dans le même temps, il cumule des expériences au sein de plusieurs laboratoires de recherche et de diverses administrations. En 2021, pendant trois mois, il assiste Christine Musselin et Stéphanie Mignot-Gérard dans le cadre de la recherche conduite en réponse l’appel à projet « Recherche-Action Covid-19 », lancé par l’Agence nationale de la recherche, portant sur « Les universités françaises face au Covid  ».

Depuis 2022, il est étudiant-expert au Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres), où il participe aux comités d’évaluation d’établissements. La même année, à l’occasion d’un stage de six mois au ministère de l’ESR, il participe à l’élaboration des diagnostics territoriaux Strater à l’échelle des regroupements d’établissements ou encore à la rédaction de réponses adressées à la Cour des comptes sur la thématique «  Universités et territoires  »

Participer à la vie d’une administration et garder le lien avec la recherche

Le principal intérêt du dispositif Cofra pour le doctorant réside dans la possibilité d’enrichir ses recherches en accédant directement aux acteurs, aux dispositifs, ainsi qu’aux archives du ministère.

«  Être au sein de l’administration permet de se tenir informé des chantiers en cours, d’assister à certaines réunions ou encore d’échanger directement avec les acteurs », liste Elias Habib.

Ne pas être un «  stagiaire + + »

En retour, le doctorant effectue des travaux administratifs en lien avec le sujet de thèse. «  L’enjeu, c’est de ne pas être un “stagiaire + +“, comme le dit, à juste titre, mon co-encadrant Sébastien Chevalier. Les tâches doivent contribuer à mes réflexions scientifiques et servir mes recherches. Parmi mes missions, il s’agit notamment de réaliser des notes de synthèse, d’assister à des réunions qui concernent les questions territoriales et d’en faire les comptes-rendus, etc. »

Et après la thèse Cofra  ?

«  J’ai toujours voulu être enseignant-chercheur, mais la découverte de l’administration centrale m’a montré une autre facette, tout aussi intéressante, du service public de l’ESR, alors j’hésite  ! C’est aussi pour cela que le dispositif Cofra est enrichissant : il permet d’évoluer dans une temporalité propre à l’administration centrale, tout en conservant une forme de réflexion approfondie et permanente propre au travail de recherche », s’exclame Elias Habib qui prend le temps de la thèse pour mûrir cette réflexion.

Au-delà de la théorie, la thèse Cofra est l’opportunité de suivre l’évolution de l’écosystème complexe de l’ESR. «  C’est une porte d’entrée pertinente pour construire une expertise par la théorie et la pratique, et ainsi envisager de se consacrer pleinement à l’ESR à l’issue de la thèse, notamment dans l’administration. »

Un dispositif qui peine à prendre de l’élan

Le ministère affiche un objectif de 100 doctorants Cofra pour la rentrée 2023. Ce chiffre sera-t-il atteint ? La ministre de l’ESR, Sylvie Retailleau, admettait un problème de «  publicité de reconnaissance dans les différentes administrations  », le 19 octobre 2022 lors de son audition par la Commission de la culture, de l’éducation et de la commission du Sénat, sur le projet de budget 2023 .

Manuel Tunon de Lara, président de France Universités, sonnait l’alerte le 5 octobre 2022, devant la même commission : «  J’ai entendu dire que du côté de Bercy, on passait de 100 à dix. » 

«  Nous continuons à travailler pour atteindre les objectifs qui avaient été fixés  », avait maintenu la ministre.