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« Un moment chargé d’émotion » : ces nouveaux docteurs racontent leur serment

Par Marine Dessaux | Le | Doctorat

Quel sens donnent les docteurs au nouveau serment d’intégrité scientifique ? Les premiers volontaires à avoir prononcé ces mots symboliques racontent leur expérience.

Depuis la rentrée 2022, les nouveaux docteurs pouvaient prêter serment. - © Université Paris Cité
Depuis la rentrée 2022, les nouveaux docteurs pouvaient prêter serment. - © Université Paris Cité

Un moment solennel, émouvant et important pour la suite de leur carrière… Les premiers docteurs à prononcer le serment d’intégrité scientifique, instauré par un arrêté à la fin août 2022, partagent leurs expériences et ressentis.

Ils s’exprimaient avec leurs directeurs de thèse lors d’un événement organisé le 13 décembre dernier par l’Académie des sciences, l’Office français de l’intégrité scientifique et le Réseau national des collèges doctoraux.

Un moment émouvant et porteur de sens

Alors que le serment n’est officiellement inscrit dans le procès-verbal de soutenance que depuis le 1er janvier 2023, plusieurs nouveaux docteurs se sont portés volontaires dès la rentrée 2022 pour faire partie des premiers à le prononcer.

Jimmy Da Silva était doctorant au sein de l’Institut des systèmes intelligents et de robotique. - © ISIR
Jimmy Da Silva était doctorant au sein de l’Institut des systèmes intelligents et de robotique. - © ISIR

C’est le cas de Jimmy Da Silva, docteur en automatique et robotique à l’Université Paris-Saclay, qui a soutenu sa thèse deux semaines après la publication de l’arrêté instituant le serment d’intégrité scientifique. « J’ai appris son existence une semaine avant de soutenir ! Au départ, j’ai vu cela comme une formalité : quelque chose à faire, mais qui n’avait pas vraiment de sens. Et puis j’ai pris conscience de l’importance de ces mots au moment où je les ai prononcés devant mes pairs. J’étais tellement ému que beaucoup de mes camarades n’ont pas compris les lignes que je lisais », se souvient-il.

Un moment fort dont témoignent les autres jeunes chercheurs à avoir tenté l’expérience. Maryline Lainé, docteure en épidémiologie et santé publique, a accepté tout de suite la proposition de sa directrice de thèse. Marianne Canonico, encadrante et directrice adjointe de l’école doctorale de santé publique (EDSP) de l’Université Paris-Saclay, raconte : « Elle s’est retrouvée face à bon nombre d’étudiants de l’EDSP venus pour l’écouter, car elle était la première à prêter serment. C’était un moment particulièrement chargé d’émotion. »

Une suite naturelle et logique pour clôturer une thèse

Maryline Lainé explique en outre avoir vu dans ce serment une continuité logique avec son parcours : en tant qu’ancienne sage-femme, la culture de l’engagement dans le respect de l’éthique et de la déontologie était au cœur de sa pratique professionnelle.

Pour Aymen Danoun, docteur en mécanique de l’Université de Bordeaux, le serment — dont il n’a pris connaissance que la veille de sa soutenance ! — était aussi une démarche naturelle. « C’est dans la continuité des pratiques que j’ai connu lors de ces trois années de doctorats », estime-t-il. Il raconte un moment sympathique, apprécié des enseignants-chercheurs et doctorants présents.

Des mots qui résonnent avec la réalité des chercheurs

Le texte du serment s’est voulu simple, malgré tout il entre en résonnance avec les réflexions et interrogations des doctorants.

Maryline Lainé a exercé comme sage-femme pendant dix années avant de faire un doctorat. - © D.R.
Maryline Lainé a exercé comme sage-femme pendant dix années avant de faire un doctorat. - © D.R.

« Au moment de ma soutenance, plusieurs chemins professionnels s’ouvraient à moi, dans le secteur public et dans le privé, témoigne Maryline Lainé. Les mots du serment “quel que soit mon secteur ou domaine d’activité” m’ont particulièrement parlé. J’ai baigné dans cette culture de l’engagement et des préjugés du secteur privé, le serment a été une manière de m’auto-engager. Quel que soit le chemin que j’allais décider de prendre, je savais que j’allais garder les valeurs qui me sont chères. Quelques semaines après ma soutenance, j’ai choisi de tenter l’aventure dans le privé à l’étranger. Le serment a permis de lever certaines barrières. »

Sa directrice de thèse acquiesce : « Le serment résume en quelques phrases très profondes, les valeurs pour les étudiants qu’on forme : une formation qui se poursuit tout au long de la vie. »

Le serment d’intégrité scientifique, pourquoi ?

Promotion du doctorat

Un outil au service de la promotion du doctorat : c’est un des points forts du serment d’intégrité scientifique pour Yves Chemisky, directeur de thèse d’Aymen Danoun et directeur adjoint de l’École doctorale de sciences physiques et de l’ingénieur de l’Université de Bordeaux. « Il permet de renforcer la valeur de la parole du docteur », dit-il.

Il conseille d’ailleurs de lui donner toute la place solennelle qu’il mérite à la fin de la soutenance de thèse. « Il y a un objectif presque opérationnel : définir une nouvelle organisation de la soutenance de thèse », ajoute Yves Chemisky.

Aller plus loin dans la transparence des publications

La question de l’éthique dans la recherche évolue depuis une quinzaine d’années, observe Marianna Canonico. La chercheuse de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) a notamment vu apparaître la déclaration des sources de financement lors de la publication des papiers scientifiques afin d’éviter les conflits d’intérêts.

Aymen Danoun est le premier diplômé de l’Université de Bordeaux à avoir prêté le serment d’intégrité scientifique. - © Université de Bordeaux
Aymen Danoun est le premier diplômé de l’Université de Bordeaux à avoir prêté le serment d’intégrité scientifique. - © Université de Bordeaux

Aymen Danoun et son directeur de thèse, Yves Chemisky, souhaitent aller plus loin. Dans un domaine où circulent de nombreuses idées fausses, l’intelligence artificielle, tous deux ont fait le choix de publier non seulement les succès, mais aussi les résultats non exploitables et les problèmes que l’IA n’était pas capable de résoudre.

« Il y a un besoin de retrouver de la sérénité dans la publication scientifique. Le serment permet de promouvoir et développer le travail collaboratif, de s’inscrire démarche de science ouverte, répétable, expliquée et exposée. La notion d’explicabilité est un point central de notre discussion », souligne Yves Chemisky.

Un appui pour les désaccords avec directeurs de thèse et financeurs

Particulièrement dans le cas des thèses Conventions industrielles de formation par la recherche (Cifre), qui sont un dispositif de financement par le privé, des réflexions autour de l’intégrité scientifiques entre vision académique et entrepreneuriale sont nécessaires.

« La question s’est rapidement posée de la publication ou non de certains résultats. La vigilance est de mise dans l’entreprise où il faut bien réfléchir avant publication dans des journaux internationaux [notamment pour des questions de propriété intellectuelle, NDLR]). Alors qu’en tant que chercheur on est poussé à publier au maximum. Ce qui a pu conduire à des échanges houleux. Si j’avais eu connaissance de ce serment au préalable, pendant mes premières années de doctorats, j’aurais eu plus d’arguments lors de ces discussions », expose Jimmy Da Silva.

Rétablir la confiance dans les scientifiques

À l’ère de la post-vérité et après une pandémie qui a ébranlé la confiance envers les scientifiques, un serment est une façon d’ancrer l’éthique au cœur de la recherche.

Une légitimité à s’exprimer sur nos domaines d’expertise

« Ma spécialité, l’épidémiologie, a connu un bel essor ces dernières années. C’est une période qui m’a beaucoup questionnée. À mon sens, le diplôme du doctorat confère une sorte de légitimité à s’exprimer sur nos connaissances et nos domaines d’expertise. Il induit cependant une prudence à avoir dans la manière dont on diffuse nos savoirs et opinions au grand public. Le serment permettra d’accroitre la confiance de l’opinion publique envers la science et les scientifiques… Une confiance primordiale pour les années à venir », pointe Maryline Lainé.

Un repère dans une période compliquée

Pour Marianne Canonico, directrice adjointe de l’école doctorale de santé publique de l’Université Paris-Saclay, le serment est aussi un ancrage que demandent les nouvelles générations. « Les jeunes diplômés évoluent dans un monde plus incertain que lorsque nous sommes sortis de l’université », estime-t-elle.

Des étudiants qui, loin de rejeter les règles, sont attachés à l’éthique. « Dans un contexte anxiogène, pouvoir se raccrocher à des choses très symboliques, c’est finalement très important », conclut-elle.

Un serment qui doit encore trouver sa place

Désormais, c’est à la communauté académique de se saisir du serment d’intégrité et de le faire vivre. « Je formule le souhait que ce serment puisse aider à initier et continuer d’entretenir des échanges soutenus et passionnants entre encadrant et doctorant. Qu’il puisse équiper le jeune et moins jeune chercheur dans son travail de communication notamment dans l’espace public », se projette Yves Chemisky.

Le serment des nouveaux docteurs, qu’est-ce que c’est ?

Le serment doctoral d’intégrité scientifique a intégré la Loi de programmation de la recherche par l’adoption d’un amendement au Sénat le 29 octobre 2020, proposé par les élus communistes Pierre Ouzoulias, Jérémy Bacchi, Céline Brulin.

Il est précisé par un arrêté du 26 août 2022 modifiant l’arrêté du 25 mai 2016 fixant le cadre national de la formation et les modalités conduisant à la délivrance du diplôme national de doctorat. Concrètement, le serment est inscrit au procès-verbal de soutenance de la thèse depuis 2023.

Une étape symbolique et juridiquement non contraignante. En effet, l’obtention du doctorat pas subordonnée à la prestation de serment. Et aucune sanction n’est prévue en cas de refus de le prononcer.

«  Le message à faire passer n’est pas de dire qu’il n’est pas obligatoire. On ne peut pas être plus obligatoire que par la loi, il me semble, mais l’obtention d’un diplôme n’est pas causalement dépendante d’avoir été en conformité avec la loi », dit Stéphanie Ruphy, directrice de l’Office français de l’intégrité scientifique.