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Du secondaire au supérieur, le métier d’enseignant d’allemand en manque d’attractivité

Par Marine Dessaux | Le | Personnels et statuts

Alors que le nombre de germanistes est passé sous la barre des 800 000 élèves, quelles sont les répercussions sur les viviers et conditions d’exercice des enseignants d’allemand dans le scolaire et le supérieur ? Réponses dans ce deuxième volet de notre série sur l’enseignement de l’allemand du secondaire au supérieur.

Au Capes externe, on compte seulement 1,28 candidat par poste en 2024. - © Pexels/Yan Krukau
Au Capes externe, on compte seulement 1,28 candidat par poste en 2024. - © Pexels/Yan Krukau

Qui dit moins d’élèves dit moins de postes, mais aussi un vivier moins conséquent. Panorama des difficultés que rencontre le métier d’enseignant d’allemand.

Dans le scolaire, un métier en manque d’attractivité

Le vivier des futurs enseignants d’allemand est en forte baisse depuis une quinzaine d’années. Au Capes externe, on comptait 5,03 candidats par poste en 2010 contre 1,28 en 2024.

À plus court terme, le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse (MENJ) indique que « le nombre de candidats pour l’ensemble des concours en allemand est en augmentation (+4 % pour la session 2023) ». Néanmoins, d’après les résultats d’admissibilité publiés sur la plateforme Cyclades, seuls les concours d’agrégation enregistrent un nombre d’admissibles plus élevé que de postes offerts.

Résultat : de nombreux postes ne sont pas pourvus. Le pic a été atteint en 2017 où 220 enseignants manquaient à l’appel. À la dernière session, en 2023, le déficit d’enseignants était de 119.

Pourquoi les conditions d’emploi des enseignants d’allemand sont-elles peu attractives ?

Thérèse Clerc est présidente de l’Adeaf. - © D.R.
Thérèse Clerc est présidente de l’Adeaf. - © D.R.

Plusieurs raisons expliquent le tarissement des viviers. D’abord, les enseignants d’allemand doivent intervenir dans plusieurs établissements, parfois très éloignés l’un de l’autre. « Cela génère une charge de travail supplémentaire, impacte les projets qui peuvent être mis en œuvre et donc la satisfaction professionnelle », pointe Thérèse Clerc, présidente de l’Association pour le développement de l’enseignement de l’allemand en France (Adeaf).

Autre spécificité du métier : la nécessité de promouvoir son enseignement. « Il y a une situation de concurrence entre les langues vivantes. Les enseignants d’allemand prennent donc localement en charge la promotion de leur matière. Il n’y a pas d’enseignants d’autres matières qui soient dans cette situation au collège », poursuit Thérèse Clerc.

Enfin, le salaire n’est pas compétitif pour des profils qui se font rares en France. « Avoir un bon niveau d’allemand offre des opportunités professionnelles financièrement bien plus intéressantes que l’enseignement », indique la présidente de l’Adeaf.

Au ministère, une volonté de stabiliser les postes

Au niveau scolaire, « l’attractivité du métier d’enseignant est vrai sujet pour l’allemand », confirme Fabienne Paulin-Moulard, doyenne au sein du groupe « langues vivantes » de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (Igésr). Elle évoque des pistes pour améliorer leurs conditions d’exercice. « Nous demandons une stabilisation des postes de professeur. Une des pistes est de créer des postes avec deux collèges, ou un collège et un lycée couplés, de manière stable pour que le professeur sache qu’il sera sur deux établissements, mais pas à 100 kilomètres l’un de l’autre. »

L’inspectrice générale indique en outre que la réforme de la formation des enseignants « sera très favorable au niveau financier [car les étudiants en master Meef seront désormais à mi-temps dans un établissement et devraient être payés 900 € la première année et 1800 € la deuxième], nous espérons que ces efforts seront suivis d’effet ».

La bivalence, une solution ?

En Allemagne, les enseignants de français n’ont pas à partager leur temps entre plusieurs établissements éloignés les uns des autres pour une simple raison : ils enseignent une deuxième matière qui permet de compléter leurs heures de service. 

Une façon de fonctionner recommandée pour le collège par la Cour des comptes dans son rapport d’octobre 2017 « Gérer les enseignants autrement » qui encourage même la polyvalence. 

Dans son rapport « Gérer les enseignants autrement », la Cour des Comptes recommande la bivalence en collège. - © Cour des comptes
Dans son rapport « Gérer les enseignants autrement », la Cour des Comptes recommande la bivalence en collège. - © Cour des comptes

L’Igésr est aussi plutôt favorable à cette pratique pour l’allemand. « La bivalence permet aux professeurs de diversifier leur activité et d’avoir un peu plus de variété dans ce qu’ils font », souligne l’inspectrice générale. Cependant, cette pratique « n’est pas très bien acceptée en France, ce qui peut se comprendre aussi, car il ne s’agirait pas de revenir à des modes anciennes de bivalence », tempère l’inspectrice générale.

Même si elle était mieux perçue, la bivalence ne serait pas privilégiée pour autant par les rectorats en raison du manque d’enseignants. « Si nous généralisons le recours à une autre discipline, certains établissements perdront leur professeur d’allemand ! Cela aurait été plus facile si la bivalence avait été introduite il y a dix ou vingt ans. Maintenant, c’est plus compliqué », conclut Fabienne Paulin-Moulard.

Une possibilité rarement plébiscitée par les rectorats

Fabienne Paulin-Moulard est inspectrice générale d’allemand. - © D.R.
Fabienne Paulin-Moulard est inspectrice générale d’allemand. - © D.R.

Compléter un poste en enseignant une autre matière est une possibilité utilisée de manière sporadique. « C’est inscrit dans la réglementation : un enseignant peut être amené à enseigner une discipline connexe dans l’intérêt du service. Cela se fait avec l’accord de l’inspection », détaille l’Igésr.

Des académies proposent également aux enseignants qui sont en léger sous-service, de compléter leurs heures dans le premier degré.

Si ces alternatives existent, toutes les académies n’acceptent pas de les appliquer en raison des besoins. « Des académies sont en telle difficulté qu’elles utilisent vraiment toutes les heures, même si ce n’est parfois pas dans le sens que souhaiterait le professeur », explique Fabienne Paulin-Moulard.

Dans le supérieur, de moins en moins de postes d’enseignants-chercheurs

Concernant les enseignants-chercheurs, « il y a une baisse continue du nombre de postes, mais freinée depuis deux ou trois ans », note Laurent Gautier, président de l’Association des germanistes de l’enseignement supérieur (Ages).

Cette année, 11 postes d’enseignants-chercheurs en études germaniques sont ouverts au concours, dont cinq maîtres de conférences (MCF) et six professeurs des universités (PR). « La phase d’hémorragie sévère semble s’être arrêtée. En 2020, aucun poste de PR n’était disponible et seulement deux pour les MCF », décrit celui qui est également vice-président délégué à la valorisation de la recherche à l’Université de Bourgogne.

Il développe : « Cela était dû au fait que les établissements n’ont pas de visibilité globale sur l’offre de formation et les viviers d’étudiants… On nous explique que plus personne ne fait de l’allemand, alors nous devons nous battre : le problème ne se situe pas au niveau politique, mais du pilotage. »

Un vivier qui doit se renouveler

Laurent Gautier est président de l’Ages. - © D.R.
Laurent Gautier est président de l’Ages. - © D.R.

La baisse de germanistes n’affecte pas encore les viviers pour les postes d’enseignants-chercheurs qui se font rares. Cependant, Laurent Gautier remarque « de fortes disparités selon les profils : pour certains profils très pointus, de LEA commerce, droit ou gestion par exemple, si on exige que la recherche soit articulée sur ces matières, les options se font plus rares ».

En outre, il note un faible nombre de candidatures aux postes de professeurs des universités. « À partir d’un certain stade de la carrière de MCF (hors classe, qui a son HDR), il n’y a pas de réel intérêt à être PR. » Le repyramidage permet de faire évoluer les choses lentement. Cette année, il y a trois possibilités pour la section 12 contre cinq l’année dernière.

Le cas des assistants de langue allemande

Mais le supérieur, ce ne sont pas que les enseignants-chercheurs. Les départements d’allemand sont composés de beaucoup d’enseignants du secondaire (Esas), de vacataires ainsi que de lecteurs et d’assistants de langue étrangère, souvent venus de l’international.

« Le programme des assistants de langue allemande revêt une importance dans la mesure où parmi les assistants se trouve souvent une partie du futur vivier d’enseignants d’allemand », indique le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Depuis 2019, la dotation de nombre de postes offerts pour l’Allemagne reste stable, mais le nombre de postes pourvus est en baisse pour atteindre 141 à la rentrée 2023.

« L’objectif est de mieux faire connaître ce dispositif en Allemagne, en s’appuyant sur les universités allemandes et plus particulièrement les départements de l’enseignement du français », ajoute le ministère. 

Côté recherche, des partenariats solides

Les chercheurs français et allemands collaborent régulièrement. Une bonne illustration des relations solides qui les unissent : toutes les alliances universitaires françaises comportent au moins une université allemande.

Ces liens sont renforcés à travers les collèges doctoraux qui proposent des thèses en cotutelles de manière quasi systématique et qui permettent de passer jusqu’à 18 mois dans le labo de l’autre pays.

« Les liens entre chercheurs sont excellents : de tous les niveaux, c’est celui qui pose le moins de problèmes », observe Laurent Gautier.

Une série d’articles en collaboration avec News Tank

Cet article est la deuxième et dernière partie du résumé de la série dédiée à l’enseignement de l’allemand du primaire au supérieur publié sur News Tank Éducation & Recherche (voir la première partie).