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La précarité des enseignants vacataires aggravée par la crise sanitaire

Par Catherine Piraud-Rouet | Le | Personnels et statuts

Une étude de l’Association nationale des candidats aux métiers de la science politique (ANCMSP), publiée le 23 janvier dernier, apporte, dans le domaine des sciences humaines et sociales, un éclairage sur la précarité des enseignants vacataires de l’ESR.

Elle constate notamment une précarité statutaire, financière, sociale et psychologique, aggravée par la crise sanitaire actuelle. La loi de programmation pour la recherche s’intéresse pourtant à leur cas et prévoit une généralisation de la mensualisation des rémunérations. Décryptage.

264 enseignants vacataires ont répondu à l’ANCMSP. - © Conférence des présidents d’université - Université de Haute-Alsace
264 enseignants vacataires ont répondu à l’ANCMSP. - © Conférence des présidents d’université - Université de Haute-Alsace

L’Association nationale des candidats aux métiers de la science politique (ANCMSP) a interrogé, entre 2019 et 2020, 264 enseignants vacataires, relevant principalement des sciences humaines et sociales (SHS) et issus d’une quarantaine d’universités. Elle dresse le panorama d’une précarité statutaire, financière, sociale et psychologique, aggravée par la crise sanitaire actuelle.

Au niveau national, toutes disciplines confondues, ils sont plus de 130 000 enseignants vacataires, pour quelque 13 000 ETP contractuels et 49 000 ETP titulaires, selon le bilan social du Mesri.

« Ce nombre ne fait qu’augmenter, notamment en SHS, commente-t-on au bureau de l’association. C’est une situation qui dure : on ne sent pas de volonté de réduire cette situation, ni de la part du ministère, ni de celle des établissements. Ce qui implique des situations sociales compliquées pour les intéressés, mais aussi problématiques pour les étudiants eux-mêmes, pénalisés par le turnover et la moindre disponibilité de ces enseignants. Ainsi que pour les équipes pédagogiques, pour qui cela rime avec des pertes d’expérience préjudiciables. »

Les enseignants vacataires : deux statuts distincts

Les vacataires se divisent en deux statuts, qui correspondent à deux situations différentes :

  • Les chargés d’enseignement vacataires (CEV) sont en principe des personnes disposant d’un emploi principal (salarié ou non, public ou privé, contrats Cifre, demandeurs d’emploi…), qui interviennent ponctuellement à l’université comme enseignants. Ce sont principalement des docteurs.

Ils peuvent assurer cours magistraux, TD ou travaux pratiques (TP). « La condition d’emploi principal, très stricte, a conduit de nombreux vacataires à se voir refuser de poursuivre leurs vacations après la perte de celui-ci, révèle l’ANCMSP. Cette condition incite aussi le ministère à les sous-payer, comme si les CEV ne venaient faire que quelques heures par-ci, par-là, alors qu’ils assurent de nombreux enseignements pérennes ». De fait, 20 % des CEV assurent plus de 96h de TD, soit la moitié d’une charge d’enseignement d’un maître de conférences (MCF). 

  • Les agents temporaires vacataires (ATV) sont principalement des doctorants, l’une des conditions pour exercer étant d’être étudiant. Contrairement aux CEV, les ATV ne sont pas astreints à l’obligation d’avoir une activité principale. Ils peuvent assurer des TD ou des TD, avec un service plafonné à 96 heures équivalent TD/an.

Profils surdimensionnés

« Les enseignants docteurs depuis plus de cinq ans représentent 18 % des répondants en 2020, et à 37 % pour ceux qui le sont depuis plus de deux ans, précise l’association. La vacation d’enseignement est donc loin d’être réservée à des doctorants en cours de formation. Ce qui traduit la précarisation croissante de l’ESR et l’allongement de la file d’attente pour les prétendants à un poste d’enseignant-chercheur titulaire.  »

Selon l’ANCMSP, la situation est liée au manque de contrats doctoraux, estimée à 15 000 par an. Faute de voir leurs recherches financées, de nombreux jeunes chercheurs passent plusieurs années à vivre d’expédients.

Revenu annuel insuffisant

Par ailleurs, contrairement à l’idée répandue selon laquelle les vacations ne sont qu’un complément de ressources, pour plus d’un vacataire sur quatre, celles-ci représentent plus de 50 % de leurs revenus annuels.

« Mais même en faisant une charge complète d’enseignement, les montants se montent à seulement 8 000 euros bruts annuels : il est donc impossible de vivre correctement à partir de vacations », pointe l’ANCMSP.

Délais de paiement à rallonge

Le paiement des vacations se fait au lance-pierres. La mensualisation reste très rare (6 % des réponses en 2020, comme en 2019). Les retards de paiement sont la règle : ils s’échelonnent entre un et plus de six mois après la réalisation de l’enseignement.

En comptant les contrats mensualisés, seulement 20 % des vacataires sont payés (au moins en partie) avant la fin de leur mission. 37 % des répondants le sont plus d’un mois après la fin de leur mission, et 22 % plus de trois mois après.

Contrats tardifs, voire inexistants et même illégaux

Seul un tiers des répondants ont signé leur contrat de vacation en amont de leur mission d’enseignement. La moitié l’ont fait après le début de celle-ci. Une mission sur dix est réalisée sans contrat.

« On remarque également de nombreuses situations illégales, comme la rémunération de cours magistraux au tarif TD ou le paiement d’un nombre d’heures inférieur au volume effectivement dispensé », pointe l’association.

Tâches et frais « annexes » non pris en charge

Les tâches considérées comme « annexes », comme la surveillance et/ou la correction des examens terminaux, mais aussi les tâches administratives ou pédagogiques, ne sont toujours pas rémunérées. Le manque d’accès à des ressources pour l’enseignement (compte électronique, EPI/ENT, photocopieuse, espace de travail…) peut ainsi engendrer des coûts (estimés à 68 euros par mois). De plus, pour plus de 80 % des vacataires, les frais de transport ne sont pas pris en charge.

Tracasseries administratives

La non-mensualisation de la rémunération pose de gros problèmes aux vacataires inscrits à Pôle Emploi.

40 % des répondants étaient inscrits à Pôle emploi et parmi ceux-ci, 70 % ont eu des difficultés d’indemnisation.

Mauvaise intégration dans les équipes

L’organisation des enseignements pêche aussi : TDs surchargés, difficulté à corriger les rendus dans des délais très serrés, manque de matériel, vétusté des locaux… Les vacataires ne sont que très rarement inclus dans les personnels de l’université, n’ont pas de compte ou de carte professionnelle, ni accès aux bureaux, salles du personnel, cantine, etc. Ils regrettent aussi le déficit d’information et de coordination, de mutualisation de ressources et de formation.

« Au-delà d’un enjeu d’intégration professionnelle, cela pose des problèmes pour l’organisation matérielle des enseignements », relève-t-on au bureau de l’ANCMSP.

La crise sanitaire, élément aggravant de tous ces manquements

La crise sanitaire a mis en exergue et renforcé ces difficultés. Le passage des cours en distanciel, imposé aux vacataires sans consultation, avec des informations floues, voire contradictoires, a entraîné une surcharge de travail accrue et des situations d’épuisement fréquentes. Et ce, alors que ces personnels non contractuels n’ont pas droit au congé maladie.

Les vacataires ont eu des difficultés à gérer de front leur vie professionnelle et familiale et subi des pertes de revenus et des difficultés matérielles parfois très lourdes.

En cette période d’isolement accru, les vacataires ont également déploré des retards de paiement encore plus importants, ainsi que des pressions pour assurer la continuité pédagogique sans soutien. Plusieurs d’entre eux soulignent aussi des difficultés psychologiques (inquiétudes et sentiment d’impuissance devant la détresse des étudiants, « sentiment d’être nul », « perte de sens »).

« Seul point positif (et ironique), la crise sanitaire a obligé à accorder aux vacataires, en catastrophe, des accès à des comptes professionnels ou aux espaces numériques permettant de réaliser l’enseignement à distance », souligne l’ANCMSP.

LPR et amélioration de la situation des vacataires : encore une Arlésienne ?

La loi LPR prévoit un examen multipartite de la situation des vacataires, ainsi qu’une mensualisation des vacations au plus tard en septembre 2022 (voir encadré). En attendant des mesures concrètes, les freins administratifs continuent à rendre très difficiles des modalités de règlement rapide.

Le principe du « service fait », principal écueil à la fluidité des paiements

Les universités attendent un décret supprimant la référence au service fait. - © Seb Lascoux
Les universités attendent un décret supprimant la référence au service fait. - © Seb Lascoux

Pour Valérie Gibert, directrice générale des services à l’Université de Strasbourg, le souhait est pourtant « unanimement partagé de payer mensuellement et régulièrement les vacataires  ». Mais cette bonne volonté est grevée par des freins personnels, organisationnels et règlementaires.

« Outre la grande diversité des vacataires et la nécessité de vérifier leur statut juridique, souvent la difficulté vient du fait que nous ne pouvons pas déclarer leurs heures tant qu’ils n’ont pas rendu leur dossier, ce qui peut prendre des mois, explique-t-elle. Ensuite, il faut attester du “service fait“. Et entre la déclaration des heures et le règlement, il y a plus d’un mois puisque la paie est assurée par la trésorerie générale (mois + 1). »

Selon elle, différents efforts ont déjà été faits. « Les établissements essaient de simplifier en déployant des outils qui visent la dématérialisation du processus, pour une mise en paiement plus rapide. Par ailleurs, au printemps, tous ont mis un point d’honneur à régler en priorité les vacataires extérieurs », assure-t-elle. 

Mais pour aller plus loin, les établissements sont en attente d’un décret signifiant notamment la suppression de ce fameux « service fait ».

« C’est la seule mesure qui pourra supprimer les freins structurels, pour que la mensualisation des vacataires prévue entrer en vigueur de manière effective à la rentrée 2022 », estime Valérie Gibert.

Des vacataires dubitatifs

Dans son rapport annexé (article 48), II, la Loi de programmation de la recherche (LPR) prévoit que « les conditions d’emploi et de rémunération des chargés d’enseignement vacataires (CEV) et des agents temporaires vacataires (ATV) feront l’objet d’un examen avec les organisations syndicales, les représentants des employeurs et les associations représentant les jeunes chercheurs et les candidats aux métiers de l’enseignement supérieur ».

Avec une mensualisation du paiement des vacations prévue, au plus tard, au 1er septembre 2022 (article 11).

À l’ANCMSP, la mesure ne suscite guère d’optimisme. La recommandation d’un règlement mensualisé des vacations, existait déjà depuis la circulaire Mandon de 2017… mais restée lettre morte quasiment partout.

« Du coup, on peut se demander ce que pourrait changer la loi, commente-t-on au bureau de l’association. Par ailleurs, plusieurs questions demeurent : quel sera l’enjeu exact de cette concertation ? Les syndicats et les jeunes précaires y seront-ils conviés ? »