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Yann Bisiou : portrait d’un « abolitionniste » qui navigue entre stup et sup'

Par Marine Dessaux | Le | Personnels et statuts

Juriste et enseignant-chercheur spécialisé dans « le sup et les stups », Yann Bisiou a vécu plusieurs vies, de Jeune expert associé du programme pour les Nations-Unies au Laos à vice-président de l’Université Paul Valéry Montpellier 3, avant de revenir au cœur de son métier : la recherche et l’enseignement en tant que maître de conférences.

Tout au long de son parcours, un fil rouge : Yann Bisiou affirme ses prises de position et émerge comme une figure critique. Portrait de cet hyperactif des réseaux sociaux qui se définit comme un abolitionniste, aussi bien de l’interdiction des drogues douces que de l’ANR.

L’université Montpellier Paul Valéry est dédiée aux lettres mais accueille le juriste Yann Bisiou  - © D.R.
L’université Montpellier Paul Valéry est dédiée aux lettres mais accueille le juriste Yann Bisiou - © D.R.

Parcours

Yann Bisiou, maître de conférences et expert toxicomanie de l’université Montpellier Paul Valéry - © D.R.
Yann Bisiou, maître de conférences et expert toxicomanie de l’université Montpellier Paul Valéry - © D.R.

Son parcours est pour le moins atypique : Yann Bisiou débute sa carrière dans la recherche avec une thèse sur le monopole des stupéfiants à l'Université de Nanterre mais décide de quitter la France pour travailler avec l'ONU au Laos, de 1994 à 1995.

Après une année à assister le gouvernement dans l’implémentation des conventions globales à Vientiane, au sein de l’office des drogues et de la criminalité, il retourne à Paris pour devenir chercheur puis maître de conférences en 1995 à l'Université de Montpellier.

Avec un domaine de recherche peu abordé par les juristes, Yann Bisiou se situe sur un créneau original, plus encore dans la mesure où il enseigne le droit en faculté de sciences humaines et sociales.

“J’aime cet objectif de professionnalisation dans les métiers du social qui est propre à mon département de recherche ainsi que la possibilité de faire une partie de mes cours dans un domaine qui n’a rien à voir avec mon champ d’expertise initial”, dit-il.

En parallèle de sa carrière d’enseignant-chercheur, il est membre du conseil scientifique de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et toxicomanie de 2000 à 2007, et expert scientifique pour l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, de 2002 à 2005.

“Mon travail consistait à fournir une information objective et sourcée, à l’expliquer et à fournir une base scientifique au débat”, précise-t-il.

Montée en grade au sein de l’administration

Alors qu’il s’investit progressivement dans le fonctionnement de l’université Paul Valéry de Montpellier, en étant tour à tour responsable de diplôme, de département, puis pendant 15 ans membre du conseil d’administration, il candidate aux côtés d’Anne Fraïsse à la présidence de l’université en 2008.

En pleine mise en place de la Loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), adoptée en 2007, la liste “Énergie, identité, diversité, innovation” est élue avec un programme en opposition avec les réformes en cours. Yann Bisiou sera vice-président pendant deux mandats consécutifs - et mouvementés -, jusqu’en 2016.

“La transformation de l’enseignement supérieur et de la recherche depuis 2008 ne nous convenait pas, c’était pour nous une erreur majeure. Nous avons appliqué la loi en essayant de limiter ses effets les plus délétères, en montrant qu’on pouvait gérer différemment une université, sans être dans modèle de compétition débridée mais avec pragmatisme”.

Il quitte l’administration se son établissement pour se recentrer sur la recherche et de l’enseignement, en 2016, sans pour autant arrêter de prendre position sur les sujets politiques qui touchent à l’enseignement supérieur, que ce soit dans son blog ou sur Twitter.

“Après 15 ans de CA, il m’a paru indispensable de revenir à la recherche. Je me voyais pas du tout manager. Ce que je voulais c’était qu’on avance sur l’université puis passer le flambeau”.

Ses chevaux de bataille

Si on lui demande le lien entre son engagement dans ‘le sup et les stups’, comme il aime à appeler ses domaines de prédilection, Yann Bisiou est direct : “Je suis en rupture avec les orientations générales de la France sur les deux sujets : je suis très critique de la Loi pour la recherche (LPR) et favorable la légalisation du cannabis”.

La raison de sa virulence envers la LRU et la LPR est leur façon de “produire une nouvelle catégorie d’enseignants-chercheurs qui sont des managers”.

“La loi pour la recherche est faite pour offrir un plan de carrière à ces managers”, assène-t-il.

Il est également fermement contre l’Agence nationale pour la recherche (ANR) et milite pour sa fermeture pure et simple.

Réseaux sociaux

Pour argumenter et débattre, l’ancien vice-président est suractif sur les réseaux sociaux “particulièrement Twitter, de façon à participer à la discussion sur les orientations politiques”. Il crée par ailleurs un site, dès 1995 et, plus tard, un blog Le Sup en maintenance.

“Mon expression publique sur les réseaux sociaux vise à partager une analyse, avec les collègues, avec le milieu de l’enseignement supérieur”, explique-t-il.

Lieu de débat et de relai de l’information

A propos des réseaux sociaux et de leurs dérives : J’entends les critiques qu’on leur adresse sur leurs excès, mais j’en note aussi les qualités. Je trouve surtout que l’information accessible est assez impressionnante. Certes, elle n’est pas vérifiée comme dans un média, il y a un travail critique à faire. Mais c’est un lieu riche de données, qui offre également la possibilité de diffuser soi-même l’information”.

Lecteur avide de presse générale comme spécialisée, Yann Bisiou passe beaucoup de temps à se plonger dans des articles qu’il partage, analyse ou relie à son propos. Mais ce qui l’intéresse avant tout, c’est le débat qui s’ensuit.

“L’intérêt c’est d’échanger avec toutes sortes de gens qui n’ont pas la même opinion que vous ou qui ne font pas partie de votre cercle habituel. J’ai par exemple eu l’occasion de discuter avec Bernard Belloc, l’ancien conseiller ESR de Nicolas Sarkozy”.

Liberté de ton

Bien qu’il ait eu des fonctions de responsabilité, l’enseignant-chercheur ne lisse pas son discours sur Twitter.

“Le gros privilège des enseignants-chercheurs est d’être élus par la communauté : c’est à cette communauté que je rends compte, c’est elle que je dois défendre et accompagner. Je ne suis le subordonné de personne”.

“J’ai fait le choix de m’exprimer en mon nom sur les réseaux sociaux. Je dis ce que je pense, à visage découvert et j’assume les conséquences. C’est la contrepartie de tout engagement qu’il faut accepter”.

Il rappelle néanmoins : “On ne communique pas de la même façon sur Linkedin et sur Twitter. C’est un exercice très particulier, s’il y a une formation qu’il faut faire à l’université, c’est bien l’usage des réseaux sociaux”.

Chercheur & blogueur

Puisqu’exprimer une idée sur Twitter bute sur la limite des 280 caractères, Yann Bisiou développe ses arguments sur son blog - qui est cependant moins actualisé depuis deux ans.

“C’est un travail considérable qui se nourrit d’actualité”, explique-t-il.

“Les problématiques sont les mêmes depuis des années, je me suis aperçu que je risquais de répéter les critiques déjà formulées, dans mes nouveaux posts”.

Une démarche qui a pour objectif d’ouvrir un débat, de faire réagir. “Un des articles qui a eu le plus de succès est une critique de l’ANR qui posait le problème du coût réel des appels à projets, par rapport à leur rendement. J’y proposais une méthodologie pour calculer ces coûts. Cet article a beaucoup circulé dans les groupes de discussion des chercheurs, j’ai reçu plusieurs réactions, parfois des critiques, mais le débat a été lancé”.

Sur le ton de l’humour, il présente une candidature fictive au poste de ministre de l’Enseignement supérieur de la recherche, en 2018.

Aujourd’hui, il se concentre cependant à donner des outils plus techniques, issus de son expérience de VP.

Gros travail, petites victoires

A n’en pas douter, Yann Bisiou est un gros bosseur. Il multiplie les casquettes - tantôt comme membre de conseil scientifique pour son expertise sur la toxicomanie, tantôt comme membre du conseil d’administration de son université-, mais aussi comme critique engagé, régulièrement interrogé par les médias, acteur d’associations dans le domaine des drogues et sur des terrains où on l’attend moins, la musique, en tant que président d’une école de musique au sein de son village.

Une carrière d’engagement pour des “progrès infimes”, selon ses dires, en matière de stupéfiants, mais des progrès tout de même !

“Sur l’offre de salles de consommation pour les usagers d’héroïne, je suis beaucoup intervenu et certaines de mes propositions ont été reprises par le gouvernement à l’époque”.

Il estime avoir un impact “à la marge” dans l’enseignement supérieur. “A Paul Valery, on a fait bouger les choses, mais pas fondamentalement. Mes reproches à la LRU sont les mêmes que sur la LPR. Et du côté du gouvernement, je n’arrive pas vraiment à obtenir des améliorations, ce sont les mêmes qui portent le même projet”.

  • Le suivre sur les réseaux sociaux :

Twitter : @yannbisiou.

Linkedin : Yann Bisiou.