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La pédagogie racontée par ceux qui la font

Par Marine Dessaux | Le | Pédagogie

Faire la part belle aux récits professionnels d’enseignants : c’est le projet de la nouvelle revue de l’Université de Bordeaux. Pour guider et rassurer ceux qui rédigent leur premier article, l’établissement a organisé des ateliers d’écriture. Comment ont-ils embarqué enseignants-chercheurs, ingénieurs pédagogiques, doctorants et étudiants ? Campus Matin vous livre le mode d’emploi !

Les articles sont destinés à tous les acteurs de l’ESR, personnels et dirigeants compris. - © Université de Bordeaux
Les articles sont destinés à tous les acteurs de l’ESR, personnels et dirigeants compris. - © Université de Bordeaux

« Nous voulons faire la part belle aux récits professionnels, à ceux qui vivent la pédagogie. La pédagogie appartient à ceux qui la font et pas uniquement aux spécialistes des sciences de l’éducation » : c’est ainsi qu’Anna Barry, ingénieure d'étude au sein de l’Open Lab In’pact de l’Université de Bordeaux et docteure qualifiée par le Conseil national des universités (CNU) en sciences de l’éducation et de la formation, décrit la raison d’être de la revue « Études et pédagogies » lancée en mai 2023.

Cette revue en ligne « interface » contient des articles scientifiques classiques, mais aussi des récits professionnels et des retours d’expérimentations. Elle a une caractéristique : toute personne peut y contribuer tant que le sujet porte sur les pédagogies de l’enseignement supérieur.

Une ouverture qui peut néanmoins se révéler bloquante. Même si les critères de soumission sont moins stricts que ceux des articles scientifiques, il n’est pas toujours évident pour des étudiants, ingénieurs pédagogiques, enseignants vacataires, personnels de soutien ou enseignants-chercheurs hors sciences de l’éducation et de la formation d’écrire sur la pédagogie. C’est là qu’interviennent les ateliers d’écriture pédagogique organisés au sein de l’Open Lab In’Pact (voir encadré).

Dépasser le cadre strict des écrits scientifiques

Depuis juin 2022, soit environ un an avant la parution de la revue « Études & Pédagogies », trois ateliers d’écriture pédagogique ont eu lieu à l’Université de Bordeaux. Ils sont découpés en plusieurs temps, à commencer par une réflexion individuelle qui invite chacun à définir le sujet qu’il souhaite aborder. 

L’atelier d'écriture vise à lister les incontournables d’un récit pédagogique. - © France Universités
L’atelier d'écriture vise à lister les incontournables d’un récit pédagogique. - © France Universités

Après avoir fait un plan de l’écrit qu’ils envisagent de soumettre, les participants sont répartis en petits groupes. Ils doivent alors déterminer ensemble les éléments nécessaires à tout récit de pédagogie. Une réflexion qui s’achève en groupe entier.

« L’objectif est d’arriver à un consensus des incontournables d’un retour d’expérience pédagogique  », indique Anna Barry, animatrice des ateliers et rédactrice en cheffe de la revue.

Comment distingue-t-on un résumé d’une introduction ? Quels éléments de contexte fournir ? Comment prendre de la hauteur ? Quels limites et pièges éviter ? Autant d’axes abordés avec les participants.

Anna Barry présente notamment trois articles aux structures différentes : le premier est une fiche pratique composée de courts paragraphes et de titres sous forme de question, le second prend une forme plus dynamique que le troisième qui correspond à la forme canonique des écrits de recherche. Les participants sont ainsi invités à dépasser tout cadre strict ou modèle préconçu.

Transformer les pratiques pédagogiques via le projet NewDEAL

Lauréate de l’appel à projets « Nouveaux cursus à l’université » en 2018, l’Université de Bordeaux bénéficie de 9,7 millions d’euros sur dix ans pour le projet NewDEAL, qui prévoit la refonte des cursus de licence.

« Initialement, le périmètre de ce projet était expérimental mais, depuis un an, la lettre de cadrage de l’université adopte les axes de transformation des pratiques pédagogiques présentées dans le projet », retrace Anna Barry.

C’est dans ce contexte que l’idée d’une revue pédagogique en ligne a émergé, au sein de l’Open Lab In’Pact, un dispositif de recherche innovant qui observe et accompagne les transformations engagée par NewDEAL.

Mettre en lumière les échecs

« Nous acceptons les retours d’expérience qui n’ont pas marché », souligne Anna Barry. Car c’est aussi ça la force de ces écrits pédagogiques : « Les personnes ne sont pas là pour briller, elles présentent les points faibles de leurs expérimentations, contrairement aux publications dans les revues scientifiques où les chercheurs essaient de montrer des résultats significatifs. »

Anna Barry est docteure qualifiée en sciences de l’éducation et de la formation à l’Université de Bordeaux. - © D.R.
Anna Barry est docteure qualifiée en sciences de l’éducation et de la formation à l’Université de Bordeaux. - © D.R.

L’animatrice des ateliers d’écriture pédagogique suggère d’ailleurs aux participants d’utiliser une démarche critique d’analyse Scholarship of teaching and learning (SoTL).

Autre différence avec un écrit scientifique, le recours au « nous » n’est pas imposé « Ici, un article peut être écrit à la première personne », raconte Anna Barry. Se dégage de ces consignes des « récits de terrain qui ne sont pas conditionnés par des demandes du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche ou de l’Agence nationale de la recherche, qui permettent aux pédagogues d’avancer dans un esprit de communauté de pratique ».

Pour autant les traditionnelles normes bibliographiques APA (de l’American psychological association) sont de mise pour ceux qui souhaitent citer des travaux de recherche. Des citations qui restent optionnelles, mais permettent de « nourrir les écrits d’un cadre théorique et d’inscrire l’article dans un contexte scientifique ».

Multiplier les points de vue de différentes disciplines

Les retours d’enseignants-chercheurs qui ne sont pas issus des sciences de l’éducation et de la formation ni même des SHS apportent des réflexions bienvenues : « Il ne faut pas oublier la spécificité des savoirs qui sont en jeudans la situation d’enseignement-apprentissage ! On ne peut pas coller des dispositifs pédagogiques à toutes les disciplines, c’est pourquoi ces retours sont précieux. La pédagogie réside dans l’intelligence créatrice de chacun, qui sait mieux que quiconque ce qui est pertinent au regard de sa discipline. »

« Nous essayons de libérer les auteurs de la production de la preuve : si on savait comment faire pour que les étudiants apprennent mieux, cela se saurait ! Les solutions dépendent des disciplines, du public, du contexte de son enseignement… », ajoute Anna Barry.

Étudiants et doctorants également concernés

Les ateliers sont ouverts à tous profils. Dans les faits, ils ont accueilli des enseignants-chercheurs, des ingénieurs pédagogiques, mais aussi… des étudiants des sciences de l’éducation, notamment en master alors qu’ils se lancent dans la rédaction d’un mémoire.

 « Une étudiante qui a publié dans la revue a écrit une note de lecture issue de son mémoire de master 2 sur la co-construction entre étudiant et enseignant », rapporte Anna Barry. Se sont également joints aux ateliers des doctorants, qui partagent une partie de leurs résultats d’enquêtes ou une expérimentation dans le cadre d’un enseignement.

C’est le cas de l’un d’entre eux qui a « mis en place un dispositif en cours de mathématiques pour réinventer les feuilles whims ». Une expérience rapportée dans la partie « annonces » de la revue. Ces brèves sont également l’opportunité de partager son sujet de thèse ou la parution d’un ouvrage, de lancer un appel à communications (voir encadré)

Des articles valorisables et destinés à tout l’ESR

La revue accepte des articles entre 10 000 et 40 000 caractères. - © Freepik/ Yeko Photo Studio
La revue accepte des articles entre 10 000 et 40 000 caractères. - © Freepik/ Yeko Photo Studio

Combien de temps faut-il consacrer à la rédaction d’un tel article ? « C’est très variable, certains sont allés très vite et pour d’autres, l’écriture s’étale sur plusieurs mois. » La revue accepte des articles entre 10000 et 40000 caractères, une fourchette large qui va de trois à 12 pages.

Un investissement de temps qui peut être valorisé dans le CV : en effet, les articles de la revue « Études et pédagogies » sont référencés par un DOI, un identifiant numérique d’objet, qui permet de classer et retrouver les articles scientifiques.

Ainsi, les articles seront facilement accessibles aux chercheurs en sciences de l’éducation et au-delà. « Nous nous adressons à tous les acteurs de l’enseignement supérieur et de la recherche. Cela inclut les étudiants, les ingénieurs pédagogiques, les personnels de soutien, administratifs et dirigeants », dit Anna Barry.

Les quatre rubriques de la revue

La revue « Études et pédagogies  » publie quatre types d'écrits :

des notes de lecture qui permettent de s’emparer d’un concept de pédagogie de l’enseignement supérieur via un état de l’art ou de faire une note de synthèse de tout ou partie d’un ouvrage ;

des retours d’expériences ou d’expérimentations pédagogiques ;

des enquêtes et recherches : pour rendre compte d’enquêtes en cours ou bien de résultats ;

des regards croisés (disciplinaires par exemple) pour comparer les pays, les pratiques, ou même des articles entre eux.

Fini les ateliers, place à un accompagnement personnalisé

En plus de gérer la revue et d’endosser le rôle de secrétaire de rédaction, Anna Barry aide ceux qui le souhaitent à améliorer leur écrit. Une étape qui passe également par l’évaluation par les pairs.

« Dans la recherche, nous procédons généralement en évaluation “double aveugle”, où auteurs et relecteurs sont anonymes. Pour la revue, nous sommes très flexibles sur la possibilité de révéler les identités de ceux qui le souhaitent. La politique de la revue demande à ses relecteurs de se positionner dans une perspective d’accompagnement à l’amélioration de l’écrit, plus que dans une posture d’évaluation normative. »

Une action plus personnalisée qui colle avec le fonctionnement d’In’Pact. « Via l’open lab, nous sommes très en contact avec les acteurs de l’université, nous pouvons donc facilement solliciter ceux qui mettent en place des dispositifs innovants. »

Aujourd’hui, une douzaine d’articles sont en ligne et dix seront publiés dans les semaines et mois à venir. « Nous ne faisons plus d’ateliers, car une quarantaine d’articles sont en projet, complète Anna Barry. Mais je continue de proposer des séances de travail avec les personnes engagées. » Un engouement qui a permis de confirmer que la thématique des récits pédagogiques était porteuse.

Fédérer les auteurs au-delà de l’Université de Bordeaux

La revue pédagogique en ligne de l’université bordelaise reçoit, en cette rentrée 2023, 1500 visiteurs par mois. L’objectif maintenant : se déployer et fédérer.

« Les relecteurs sollicités pour notre comité de lecture nous ont dit que la revue répondait à un manque dans le paysage éditorial pédagogique. Le risque est maintenant de multiplier les dispositifs plutôt que mutualiser. J’aimerais que nous continuions à recevoir des écrits des auteurs de France et de l’international », ambitionne Anna Barry.

Aujourd’hui, la revue a reçu des soumissions d’articles provenant des universités de Haute-Alsace, de Caen Normandie, mais aussi du Québec et du Maroc. Le premier levier pour se faire plus largement connaître est désormais d’aller à des colloques et congrès, mais aussi de solliciter des partenariats, notamment avec l’Association internationale de pédagogie universitaire (Aipu), projette Anna Barry.

Conseils pratiques et ressources

Vous souhaitez rédiger un écrit pédagogique ? Anna Barry conseille :

« Décrivez vos expériences, prenez de la hauteur, et partagez les retours des étudiants. Comme le disait le sociologue Bruno Latour : une bonne description est déjà une production de connaissances. Et puis, gardez en tête qu’écrire, c’est toujours réécrire ! Avant tout, sentez-vous légitime. »

Pour bénéficier de davantage de conseils et même d’un accompagnement personnalisé, toute personne peut contacter :

Un journal pour raconter l’expérience de recherche des étudiants à l’Université Paris-Saclay

La graduate school « Métiers de de la recherche et de l’enseignement supérieur » de l’Université Paris-Saclay a dédié un journal aux récits d’immersions de recherche des étudiants en licence 3 et master. Pousses de chercheurs & chercheuses, dont le premier numéro est paru en octobre 2023, est né lors du congrès junior pluridisciplinaire de la graduate school en juin 2022.

100 équipes d’étudiantes ont présenté leurs travaux et une partie d’entre elles, sélectionnée par un jury, a été invitée à traduire ces récits en article. Les auteurs ont eux aussi ont été accompagnés dans leur processus d’écriture… mais cette fois par des journalistes scientifiques de l’université !