Apprendre à ciel ouvert : les bénéfices de la pédagogie hors les murs
À l’arrivée des beaux jours, vos étudiants louchent sur la fenêtre et vous aussi ? Peut-être est-il temps d’imaginer des cours en extérieur… Que ce soit sous un arbre ou en marchant, le bénéfice de la pédagogie hors les murs fait consensus. Deux enseignants-chercheurs qui en ont fait l’expérience racontent.

Enseigner en extérieur, un simple moment récréatif sous le soleil ? Pour Jérôme Legrix-Pagès, vice-président transformation pédagogique de l’Université de Caen et président de France université numérique (FUN), il s’agit plutôt d’un « retour à une pédagogie vivante, qui n’est pas un luxe mais une nécessité contemporaine dans un contexte marqué par l’écoanxiété et les traumatismes liés à la pandémie de Covid-19, ».
L’enseignant en IUT a été formé à cette approche en 2016 en Norvège, où le friluftsliv (le fait de pouvoir se déplacer sans contrainte sur le territoire) est une liberté constitutionnelle. Une approche qu’il a aussi expérimentée dans des contextes très différents, des favelas brésiliennes aux barrios de invasión colombiens à travers des living labs, abordant divers aspects de l’aménagement du territoire. « L’extérieur était dans ce cas de figure le sujet d’étude lui-même. Mais, au-delà de ce que le terrain a à nous apprendre, sortir de la salle de classe peut être profondément transformateur. »
C’est pourquoi il a décidé de former ses pairs, d’abord informellement au sein de son université, puis via une formation en ligne proposée par Unicamp, marque du projet lauréat de l’appel à manifestation d’intérêt compétences et métiers d’avenir « Digital FCU » porté par FUN et rassemblant 19 universités.
Des bienfaits cognitifs, de confiance en soi et de lutte contre la sédentarité
L’enseignement en extérieur est un champ scientifiquement documenté (voir les travaux de Lærke Mygind notamment) qui fait consensus, depuis une vingtaine d’années, tant pour l’enseignement scolaire, supérieur que pour la formation continue. « Les bienfaits cognitifs sont identifiés, notamment une meilleure rétention à long terme », précise Jérôme Legrix-Pagès.
L’enseignement en extérieur favorise la restauration de l’attention, la confiance en soi et le sentiment d’auto-efficacité. Il renforce également le sentiment d’appartenance au groupe et réduit la charge cognitive extrinsèque. « La salle de cours, avec ses lumières artificielles et sa monotonie, est finalement peu propice à la mémorisation «. Il précise que la mémorisation nécessite des éléments d’association ; par exemple, une information mémorisée pendant dans la nuit » est mieux retenue si elle est associée à une odeur ou un nouvel objet visuel, un arbre par exemple », poursuit le vice-président transformation pédagogique.

Des gains socio-expectifs (rapport au groupe et à soi) sont également observés, « sortir est donc bénéfique pour les publics socialement défavorisés ayant peu d’accès aux espaces verts ».
Enfin, ce qui a poussé Jérôme Legrix-Pagès à adopter cette approche, c’est son inquiétude face à la sédentarité grandissante. « En IUT, les semaines sont chargées et le sport n’est pas obligatoire. De nombreux étudiants abandonnent l’activité physique pendant cette période », observe-t-il.
Autre aspect important pour l’enseignant : développer la conscience environnementale : « Il est documenté que sortir permet d’adopter des gestes écocitoyens plus réguliers, entraînant une transformation lente mais effective du rapport à l’environnement. »
« Au-delà de ce que j’appelle les “marches du système” (le mot “sortie” n’est pas neutre), parfois, ces moments deviennent un objet central de formations qui visent des transformations citoyennes. Je pense au mouvement de l’écoféminisme, qui met en avant ce que la transformation par le lieu peut apporter à la transformation de soi. »
Marcher pour faire circuler les idées
À l’IAE d’Angers, la directrice adjointe Nathalie Debski pratique la marche dialoguée depuis 2019 avec ses étudiants de master. « Pendant deux fois douze minutes, j’envoie les étudiants marcher à deux, chacun parle à tour de rôle pendant 12 minutes, l’autre écoute activement. » Objectif : favoriser la réflexion sur un concept, ici la responsabilité sociale.
En étant côte à côte, sans contact visuel frontal, les étudiants se sentent « moins jugés ». « Ils trouvent plus d’idées qu’en étant assis. La marche facilite la connexion neuronale dans les zones d’apprentissage », ajoute-t-elle.

Une activité qui plaît, presque, à tous les coups : dans une étude menée avec Yamina Gouel, enseignante-chercheuse en santé, en 2023, 92 % des personnes interrogées affirment préférer cette activité à un travail assis en salle (contre 5 % d’avis négatifs).
Dans cette enquête, les compétences perçues sont une plus grande attention et concentration. « Et puis cela développe la créativité et la prise d’initiative, des compétences recherchées chez les futurs managers. »
Des apports que des recherches approfondies en neurosciences permettront de valider ou non. « Ce que je souhaiterais faire avec des collègues en neurosciences, c’est réaliser des électroencéphalogrammes pour voir les zones du cerveau qui s’activent pendant cet exercice, mais cela coûte très cher. »
Un cadre juridique à respecter
Enseigner en extérieur exige cependant une préparation rigoureuse. « Cette pédagogie est exigeante : le cadre juridique n’est pas simple et l’enseignant est civilement responsable du groupe », souligne Jérôme Legrix-Pages.
Il recommande un repérage préalable pour choisir où s’arrêter, « par exemple, se placer à côté d’un arbre biscornu pour parler de résilience ». Mais aussi une vigilance particulière quant aux besoins spécifiques des étudiantes et étudiants. Car si les retours sont positifs, en amont l’inconfort et l’inconnu suscitent des réticences : « En général, les étudiants ne sautent pas de joie. Ils ne sont pas dans le confort d’une salle de classe. Ça s’explique, se construit, se légitime. »
Une scénarisation clé
Jérôme Legrix-Pages structure ses cours en extérieur en quatre temps : un accueil avec rappel des consignes ; un travail en petits groupes ou une conférence courte ; des échanges en binômes ; et une synthèse collective. « Je laisse une trace différée, comme un Padlet, pour consolider l’apprentissage. »
En Finlande, des grilles d’observation guident les activités. Lui utilise parfois une oreillette connectée à un groupe WhatsApp, ou un système d’audioconférence pour se faire entendre jusqu’à 200 mètres. « Cela me permet de préserver ma voix. »
Le pire, c’est la sortie récréative parce qu’il fait beau.
« Il est pertinent de réfléchir à l’hybridation de ces activités. Le pire, pour moi, c’est la sortie récréative parce qu’il fait beau. Il faut qu’elle soit intégrée dans la scénarisation pédagogique, on peut même imaginer tout un enseignement exclusivement en extérieur. »
Sortir de tout temps
Si l’on pense souvent à des milieux naturels, les espaces urbains ou semi-naturels peuvent aussi faire l’affaire. « Même une pelouse ou un espace vert au sein de l’établissement peut convenir », affirme Jérôme Legrix-Pages, qui cite une étude démontrant que la vue sur des arbres favorise la récupération post-opératoire, contrairement à un parking.
Les conditions météo ? Elles ne doivent pas freiner la démarche, à condition d’être bien équipé. « Je surveille la météo et j’anticipe des solutions de repli », explique l’enseignant. Le vrai danger, selon lui : « Le soleil, auquel les étudiants sont moins sensibles » aux potentiels dangers (risque d’insolation, de déshydratation, etc.).
Une pratique en essor… lent
Seulement 13 % des étudiants interrogés dans le cadre de l’étude menée par Nathalie Debski et Yamina Gouel avaient déjà eu un cours en marchant. Pourtant, à l’Université d’Angers, comme ailleurs, des enseignants s’emparent peu à peu du sujet.

« À l’Université d’Angers, nous avons des campus végétalisés, la faculté des sciences est proche d’une forêt et d’un étang. J’ai une vingtaine à une trentaine de collègues qui enseignent en extérieur. Au niveau de l’établissement, la convention citoyenne, par exemple, se fait en marchant en extérieur », explique Nathalie Debski.
L’ancienne vice-présidente innovation pédagogie de l’Université d’Angers a formé les jeunes maîtres de conférences dans le cadre de leur formation obligatoire à la marche dialoguée.
En France, plusieurs universités et grandes écoles proposent des marches et enseignements en extérieur. Sciences Po Rennes, par exemple, invite des étudiants « à aller au marché, acheter des produits, observer comment les choses se passent et, ensuite, à réfléchir sur ces pratiques dans une perspective sociologique. Ils peuvent aussi participer à des projets autour des circuits courts, de la cuisine ou même participer à un cours en bateau », retrace Jérôme Legrix-Pages.
Autre exemple français : François-Xavier de Vaugamy, de l’Université Paris Dauphine, qui conçoit son cours comme un voyage.
Les mouvements des forest schools témoignent également de l’importance de ces pratiques : « de leur point de vue, même 10 heures par semaine en extérieur ne suffisent pas », raconte le VP transformation pédagogique, qui explique que la répétition est clé lorsqu’il s’agit de pédagogie hors les murs.
En Suisse, la pratique est répandue. « L’Université de Lausanne possède des tables et des patios à l’extérieur, les cours se font sur des tableaux à la craie », raconte Nathalie Debski.
Autant d’enseignants, de disciplines et de pays différents, qui imaginent de nouvelles façons de relier les savoirs, les émotions et les corps. Un alignement « tête-cœur-corps » auquel Nathalie Debski tient.