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Comment développer une offre de formation à distance adaptée au milieu carcéral ?

Par Marine Dessaux | Le | Pédagogie

Barrière financière, lisibilité des formations, absence de connexion… Les obstacles à l’accès à l’enseignement supérieur en prison sont nombreux. La flexibilisation des parcours, un enjeu valable pour tout l’enseignement supérieur, apparaît comme déterminant en centre pénitentiaire.

L’enseignement supérieur en prison doit répondre à des enjeux éducatifs et organisationnels. - © Freepik/@wavebreakmedia_micro
L’enseignement supérieur en prison doit répondre à des enjeux éducatifs et organisationnels. - © Freepik/@wavebreakmedia_micro

En 2022, plus de 700 étudiants incarcérés sont inscrits dans l’enseignement supérieur à distance. Un tiers d’entre eux environ préparent une formation en vue d’obtenir le diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU). Côté établissement, une quinzaine d’universités adhérentes à la Fédération interuniversitaire de l’enseignement à distance (Fied) « se sont orientées vers des formations à distance plus adaptées avec des pédagogies différenciées », notait la fédération.

Dominique Poincelot est responsable du groupe de travail « public carcéral » de la Fied. - © D.R.
Dominique Poincelot est responsable du groupe de travail « public carcéral » de la Fied. - © D.R.

La formation des détenus est par ailleurs au cœur d’un accord-cadre, signé entre la direction générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle (Dgesip), France Universités (alors nommée CPU), la Fied et la direction de l’administration pénitentiaire en 2017 et renouvelé en 2022. « Il s’agit d’un accord important pour motiver les équipes et stabiliser les pratiques », témoigne Dominique Poincelot, responsable du groupe de travail « public carcéral » de la Fied.

Ce groupe de travail, fondé en 2012, poursuit son objectif : développer une offre à distance adaptée au milieu carcéral. Prochaine étape, la création d’un label qui permettra d’identifier les établissements déjà engagés et de les positionner en termes de pratiques. Pour ensuite les comparer aux attentes des étudiants, annonce Dominique Poincelot lors du congrès « Publics empêchés » de la Fied, le 29 mars.

Quels sont les freins à la formation à distance en prison ?

Ils sont de deux types :

  • éducatifs : « Nous sommes dans des problématiques très humaines et sociales, d’accompagnement et de soutien », rapporte Dominique Poincelot. Face à des trajectoires en rupture, la réception d’une carte d’étudiant est valorisant.
  • Et organisationnels : gestion du temps, des espaces, isolement, bruits, gestion des espaces…

L’absence de connexion reste la source de frustration la plus importante. Une formation sans internet, même avec un accès numérique aux cours, peut être confrontée à des obstacles : des liens non accessibles, vidéos pédagogiques qui ne sont pas téléchargées… Autre problème découlant de l’absence de connexion : des démarches administratives impossibles à réaliser comme l’inscription sur Parcoursup ou la création d’une adresse mail.

La CVEC, une barrière financière

Autre frein constaté par Julien Velten, proviseur de l’Unité pédagogique régionale (UPR) Auvergne-Rhône-Alpes qui regroupe les établissements pénitentiaires de la région : la Contribution de vie étudiante et de campus (CVEC) dont doit s’acquitter chaque étudiant.

« La CVEC est vraie difficulté pour nous… Devoir la payer, pour une personne détenue, c’est parfois ne pas pouvoir étudier. » 

Il souligne que certaines universités accordent ponctuellement des exonérations, mais espère une réponse de l’État.

Alain Bouhours, chef du département de la réussite et de l’égalité des chances au ministère de l’ESR, répond : « Il s’agit d’une taxe affectée, comme la contribution sociale généralisée, que tout le monde paye. Un détenu, après sa sortie, ira à l’université et bénéficiera de ces services. »

Une offre structurée différemment selon les universités

Un besoin d’unité de format entre les différentes formations se fait également ressentir sur le terrain. « Le responsable local de l’enseignement a des étudiants inscrits dans plusieurs universités. Il doit donc fouiller dans toutes les arborescences », regrette Julien Velten.

Quelles réponses ?

Dominique Poincelot liste les pistes d’amélioration sur lesquelles se penchera le groupe de travail de la Fied :

  • Clarifier et communiquer sur l’offre de formation à distance alors que plus de 155 formations sont proposées aux étudiants incarcérés ;
  • Adapter le contenu en amont pour le rendre plus motivant pour les étudiants non connectés ;
  • Favoriser la réussite personnelle voire l’insertion professionnelle.

Il préconise par ailleurs de « créer un lien permanent entre le référent côté université (responsable d’équipe pédagogique, enseignant…) et le milieu carcéral : pour acheminer les documents, faire une visioconférence avec le proviseur UPR… »

Le prêt de PC en expérimentation

Pour pallier un accès limité à une salle avec des ordinateurs — qui n’est pas accessible plus de deux à trois heures par semaine — le prêt de PC sans carte wifi a été expérimenté dans le centre pénitentiaire de Villefranche-sur-Saône. Jusqu’à dix étudiants peuvent suivre des cours par session. Pour l’instant, tous sont inscrits en DAEU.

« C’est valorisant pour eux, d’être porteurs d’un PC. Ça permet également à des personnes déconnectées du système de se rendre compte qu’elles peuvent monter de niveau. Le bac est indispensable dans la vie professionnelle ! », expose Emeline Bonin, responsable locale de l’enseignement (RLE) de ce centre.

Sur neuf inscrits actuellement, quatre ont entamé une procédure d’inscription sur Parcoursup. Et pour ceux qui ne poursuivent pas vers une inscription à la fac, « l’impact est déjà énorme ». Même s’il y a des échecs, reconnaît l’enseignante, « il n’y a aucune casse depuis deux ans d’expérimentation, et c’est déjà une réussite en soi ».

Une Moodle Box pour les détenus

La « MoodleBox en détention », labellisée campus connecté en juillet 2020, est une initiative portée par la Région Normandie en partenariat avec le rectorat de Caen et issue d’une expérimentation menée par l’Université de Caen Normandie depuis 2017.

Elle repose sur des petits boitiers avec un serveur web permettant d’intégrer un clone de la plateforme Moodle, accessible hors connexion. Ce qui nécessite des opérations de synchronisation régulières associée à une forte implication des services de l’université partenaire et du centre de détention.

Au centre pénitentiaire de Caen, en janvier 2022 un seul étudiant avait pu utiliser la MoodleBox et des prises de contacts étaient en cours avec d’autres établissements pour qu’ils puissent rejoindre l’initiative.

  • Pour aller plus loin, la Fied a créé deux guides : de bonnes pratiques (2015) et pédagogique (2019) ainsi qu’un webdocumentaire avec l’Université Paul-Valéry Montpellier 3.