Vie des campus

Reconnaissance des étudiants aidants : un levier contre le décrochage et l’isolement


Un étudiant sur six s’efforce de concilier parcours scolaire et responsabilité d’aidant. Souvent méconnue, cette réalité pèse sur la santé et la réussite de milliers d’entre eux. Pour mieux les identifier et les accompagner, des établissements du supérieur mettent en place des dispositifs, et notamment le statut d’étudiant aidant. Tour d’horizon avec Kedge Business School, l’Université Bretagne Sud et l’Université Paris Cité.

Reconnaissance des étudiants aidants : un levier contre le décrochage et l’isolement
Reconnaissance des étudiants aidants : un levier contre le décrochage et l’isolement

En parallèle de leur scolarité, ils fournissent régulièrement et sans rémunération des soins, de l’assistance ou du soutien à un proche malade ou en situation de handicap. En France, 16 % des étudiants assument une responsabilité d’aidant selon l’étude Campus-Care du programme de recherche sur les jeunes aidants (JAID) de l’Université Paris Cité.

Cette charge, souvent invisible car gardée privée, peut être difficile à porter. Elle a parfois de lourdes conséquences sur la vie sociale, la santé et la réussite scolaire de l’étudiant. Ainsi, 24 % des jeunes aidants interrogés dans le cadre d’une étude Crédoc-Macif réalisée en 2023 déclaraient avoir décroché à l’école à cause de leur situation, et un tiers d’entre eux estimaient être en moins bonne santé que leurs camarades.

Rendre visible cette réalité

Face à ce constat, de plus en plus d’établissements intègrent le statut d’étudiant aidant à leur Régime spécial des études (RSE) pour permettre aux personnes concernées de bénéficier, si besoin, d’aménagements de leur scolarité et d’accompagnements spécifiques.

Emilie Guéret, responsable du dispositif Access-Aidant à Kedge BS - © Giovanni Cittadini Cesi
Emilie Guéret, responsable du dispositif Access-Aidant à Kedge BS - © Giovanni Cittadini Cesi

C’est le cas de Kedge Business School, qui, après avoir reconnu un statut de salarié aidant en 2024, a lancé en 2025 un dispositif structuré à destination des étudiants. « Cela s’imposait », explique Emilie Guéret, responsable du dispositif Access-Aidant. « Dans notre questionnaire sur la vie étudiante réalisé en janvier 2025, 21 % des 1100 répondants ont coché la case ‘’je suis aidant’’. Nous ne les imaginions pas si nombreux car ils ne se signalent pas d’eux-mêmes. C’est pourquoi il nous fallait un dispositif visible ».

Les étudiants peuvent désormais faire connaître leur situation en remplissant leur formulaire d’admission (pour les nouveaux entrants) ou une fiche dédiée à n’importe quel moment de l’année. Début novembre, 30 premiers étudiants s’étaient déclarés.

« L’obstacle majeur, c’est qu’ils ne se savent pas aidants »

Anne Elain, vice-présidente santé, égalité, diversité, inclusion et politique documentaire de l’Université Bretagne Sud - © D.R.
Anne Elain, vice-présidente santé, égalité, diversité, inclusion et politique documentaire de l’Université Bretagne Sud - © D.R.

À l’Université Bretagne Sud, ils sont deux à avoir demandé et obtenu le statut d’étudiant aidant, intégré au Régime spécial des études de l’établissement en 2023. « Ce n’est pas représentatif », estime néanmoins Anne Elain, vice-présidente santé, égalité, diversité, inclusion et politique documentaire de l’établissement. Une dizaine d’étudiants, repérés par le service social de l’UBS, n’ont pas souhaité en bénéficier. D’autres passent certainement inaperçus. « Ils ne se signalent pas et ne demandent pas d’aménagement, soit parce qu’ils n’en ont pas besoin, soit parce qu’ils ne connaissent pas le statut ou ne pensent pas y avoir droit, précise-t-elle. L’obstacle majeur c’est qu’ils ne se savent pas aidants ».

Pour les aider à mieux définir leur situation et à se saisir des solutions d’accompagnement auxquelles ils sont éligibles, les établissements s’accordent sur la nécessité de bien communiquer sur le sujet.

À l’Université Paris Cité, sous l’impulsion d’Aurélie Untas et Géraldine Dorard, enseignantes-chercheuses en psychologie et co-autrices de l’étude Campus-Care, une grande opération de sensibilisation est ainsi menée tous les ans au mois d’octobre depuis 2022. Au programme, un stand déplacé de campus en campus pendant une semaine, des conférences, du théâtre débat, des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, des quizz et bien d’autres choses encore. Les différentes actions menées mobilisent notamment les étudiants d’un Master de psychologie clinique, qui proposent aussi volontiers de nouveaux formats pour toucher leurs camarades. Cette année, c’est une série de podcast née d’un projet étudiant qui a été lancée.

Quel que soit le support, la communication mise en place ne s’adresse pas seulement aux étudiants. « Nous sensibilisons également les personnels, explique Anne Elain. Ils peuvent identifier des étudiants concernés et les orienter vers notre service social ». Pour aller plus loin, l’UBS travaille par ailleurs avec le centre de rééducation et de réadaptation fonctionnelle de Kerpape à Ploemeur afin de mettre en place une formation spécifique du repérage et de l’accompagnement des aidants.

Des aménagements « au cas par cas »

Une fois l’étudiant repéré, les conditions d’éligibilité au RSE varient d’un établissement à l’autre. À l’UBS, le proche aidé doit par exemple avoir des liens de filiation avec l’étudiant, tandis qu’à Kedge et à Paris Cité il peut aussi être un colocataire, un voisin ou toute autre personne extérieure à la famille nécessitant un soutien.

L’obtention du statut permet de bénéficier d’un panel d’aménagements prévus par le cadre réglementaire national pour les régimes spéciaux d’études. Ceux-ci incluent, entre autres, l’étalement du cursus dans le temps, la dispense d’assiduité, l’aménagement des examens, la mise à disposition de cours en ligne, ou encore l’enseignement à distance.

« Nous ajustons au cas par cas face à des situations d’une grande diversité », indique Emilie Guéret. Elle cite l’exemple d’un grand frère assistant depuis toujours ses parents handicapés dans leurs tâches administratives et éducatives, d’une étudiante ayant accompagné un proche en fin de vie et accusant du retard pour le rendu de son mémoire, ou encore, d’une autre traversant la France tous les week-ends pour aller voir sa mère malade, au prix de son sommeil et de ses économies.

Des aides financières et un soutien psychologique

Quelles que soient les problématiques individuelles, les difficultés financières s’ajoutent fréquemment aux contraintes de l’aidance. Aussi, depuis la rentrée 2023, l’accès aux bourses sur critères sociaux est facilité pour les étudiants d’un parent en situation de handicap ou en perte d’autonomie. Les étudiants qui en font la preuve se voient attribuer quatre points de charge supplémentaires par le Crous et peuvent ainsi généralement grimper d’un échelon.

Youcef Kadri, vice-président Étudiant de l’Université Paris Cité - © D.R.
Youcef Kadri, vice-président Étudiant de l’Université Paris Cité - © D.R.

Pour Youcef Kadri, vice-président Étudiant de l’Université Paris Cité, cette prise en compte de l’aidance dans le calcul des bourses est bienvenue mais insuffisante. « Elle ne permet pas d’assurer des conditions de vie dignes », constate-t-il. « Boursier ou non, l’étudiant aidant est souvent contraint de se salarier. Cela empiète sur son temps de travail personnel et met en danger sa réussite académique même lorsque des aménagements de cours ou d’examens sont prévus », déplore le vice-président, également étudiant en médecine.

Il rappelle par ailleurs que certains d’aidants ne sont plus éligibles aux bourses sur critères sociaux en raison même de leur situation (parcours allongé, manque d’assiduité avant d’avoir obtenu des aménagements, etc.). Afin d’alléger leur charge, il souhaite créer un programme de bourse dédié spécifiquement aux étudiants aidants et recherche activement des mécènes pour le financer.

La question du soutien financier se pose également à Kedge où les bourses de l’école sont « augmentées » de manière forfaitaire pour les aidants. L’école envisage aussi de solliciter, par l’intermédiaire de sa fondation, des dons de ses partenaires pour financer, par exemple, des dispositifs d’aide au répit. « Dans les grandes écoles, il se passe beaucoup de choses en dehors des cours. Nous souhaitons qu’ils puissent vivre leur vie d’étudiants presque comme les autres, souffler un peu le temps d’une soirée ou d’un week-end », développe Emilie Guéret.

La lutte contre l’isolement et la détresse qui en découle parfois est l’un des grands objectifs des dispositifs d’accompagnement. Ces derniers orientent les étudiants qui le souhaitent vers les services de santé accessibles à tous, mais ils peuvent également prévoir des espaces d’échanges dédiés à leurs problèmes spécifiques.

À Paris Cité par exemple, les étudiants aidants ont la possibilité de participer chaque mois à des groupes de soutien animés par des camarades en Master 2 de psychologie. « L’objectif est qu’ils puissent parler de ce qu’ils vivent au quotidien », explique Aïana Longère, animatrice volontaire. « Le partage d’expérience peut aussi permettre d’avoir un regard différent sur sa situation grâce au témoignage de l’autre auquel on s’identifie plus facilement ».

Valoriser les compétences acquises

En échangeant avec leurs pairs, des psychologues ou des assistantes sociales, ils sont par ailleurs amenés à identifier les aptitudes qu’ils acquièrent en aidant leur proche. « Ils ne s’en rendent pas forcément compte parce qu’ils le font spontanément par amour, par devoir ou par nécessité, mais ils développent, par exemple, des qualités relationnelles et des compétences dans la gestion de situation et l’accompagnement des personnes », observe Anne Elain.

Ces savoir-faire et savoir-être acquis peuvent être valorisés par les établissements, notamment dans le cadre de dispositifs déjà existants de validation de l’engagement. Paris Cité et l’UBS accordent ainsi, sous certaines conditions, des crédits ECTS aux étudiants qui attestent d’une expérience d’aidant.

À Kedge, c’est le rendu découlant d’un « projet-action » de cinquante heures au service d’une cause qui peut être remplacé par un journal de bord dans lequel l’étudiant aidant « met des mots sur ce qu’il vit », rapporte Emilie Gueret. « Cela lui permet de prendre conscience de tout ce qu’il apprend sur lui-même et sur les autres. »