Gouvernement Lecornu : ce qui change (ou pas) pour l’éducation et l’enseignement supérieur
Après plusieurs semaines de flottement politique, Sébastien Lecornu, renommé Premier ministre, a dévoilé la composition de son gouvernement, le 12 octobre. À la place d’un grand ministère réunissant le scolaire, l’enseignement supérieur et la recherche, il a décidé de couper la poire en deux : d’un côté l’éducation nationale, et de l’autre l’enseignement supérieur et de la recherche qui redevient un ministère de plein exercice, et auquel est ajouté le sujet de l’espace. À leurs têtes, un nouveau : Édouard Geffray, haut fonctionnaire, et un reconduit : Philippe Baptiste. Décryptage.

Alors que les acteurs de l’éducation s’étaient habitués depuis début 2025 à prononcer les acronymes MENESR et MESR, voilà qu’il va falloir changer pour MEN et Mesre ! Ainsi va la vie au gré des mouvements politiques.
Qu’est ce qui change… ou pas ?
Ces changements de nom cachent quelques évolutions majeures par rapport au Gouvernement Bayrou : tout d’abord, le ministère de l’éducation nationale perd son statut de ministère d’État… mais aussi des places dans l’ordre protocolaire, puisqu’il passe de 2e à 9e. Surtout, il devra désormais se concentrer uniquement sur les sujets scolaires.
Du côté de l’enseignement supérieur et de la recherche, le ministère qui n’était plus de plein exercice, reprend son « autonomie ». Il est désormais 16e sur 19 dans l’ordre protocolaire. Et le Premier ministre a décidé d’élargir son champ d’action en lui redonnant le sujet de l’espace qui, depuis mai 2022, était parti à Bercy. Le choix de reconduire Philippe Baptiste, ancien P-DG du Cnes, n’y est évidemment pas pour rien…
Cela veut-il dire moins d’interactions entre ces deux ministères qui portent pourtant des sujets en commun, comme l’accès à l’enseignement supérieur ou la réforme de la formation des enseignants ? C’est ce qu’a exprimé Élisabeth Borne, la ministre sortante, dans son discours lors de la cérémonie de passation des pouvoirs, le 13 octobre en indiquant que « beaucoup des difficultés de notre jeunesse et de notre pays tiennent bien sûr au manque d’adaptation de nos formations aux besoins de l’économie, mais aussi à l’absence de vision globale et de cohérence des parcours, du collège à l’enseignement supérieur, puis à l’entrée dans la vie professionnelle ». Elle a alors appelé à ce que la coopération entre les deux ministères se poursuive « impérativement ».
Le choix d’un inconnu du grand public
Lourde tâche que d’être le 7e ministre de l’éducation nationale depuis le début du 2e quinquennat Macron, en mai 2022. Une « valse » des ministres souvent pointée du doigt par les organisations syndicales et le monde enseignant. Alors qui pour succéder à la très politique Élisabeth Borne ?
Édouard Geffray est un ancien élève de l’ENA (promotion Romain Gary), diplômé de Sciences Po Paris et titulaire d’une maîtrise d’histoire. À la sortie de l’ENA (aujourd’hui INSP) en 2005, il intègre le Conseil d’État. En 2012, il est nommé à la Cnil comme directeur des affaires juridiques, internationales et de l’expertise puis comme secrétaire général. Après avoir été brièvement directeur de cabinet de François Bayrou au ministère de la justice en 2017, il rejoint l’Éducation nationale à la fonction de directeur général des ressources humaines du ministère de l’éducation nationale et du Mesri, en septembre 2017.
Il est ensuite nommé directeur général de l’enseignement scolaire du ministère de l’éducation nationale en juillet 2019, poste qu’il occupe jusqu’en juillet 2024, remplacé par Caroline Pascal. Entre-temps, il a candidaté à la direction de Sciences Po, en 2021, mais n’a pas été retenu. Depuis son départ de la Dgesco, il était retourné au Conseil d’État.
Ce choix d’un profil de haut fonctionnaire sera-t-il de nature à rassurer le monde enseignant, par sa connaissance technique des sujets et de la machine Éducation nationale ? Ou à les inquiéter par cette approche moins politique, alors que les arbitrages notamment budgétaires, se jouent aussi à ce niveau.
À l’enseignement supérieur, un ministre reconduit
Rue Descartes, les cartons faits le 6 octobre sont finalement revenus le 13 au matin, avec la reconduction de Philippe Baptiste. Ingénieur diplômé des Mines Nancy et titulaire d’un doctorat de l’UTC, Philippe Baptiste mène d’abord une carrière académique comme chercheur au CNRS (1999), au Watson Research Center d’IBM (2000-2001), et comme professeur chargé de cours à l’École polytechnique (2002-2012). Il a notamment dirigé le laboratoire d’informatique de l’École polytechnique, créé l’Institut des sciences de l’information et de leurs interactions au CNRS, avant de devenir en 2014 directeur général délégué à la science de l’organisme.
En parallèle de sa carrière académique, il participe à la création et au développement de plusieurs start-up. De 2016 à 2017, il part dans le privé, comme directeur scientifique puis CTO du groupe Total (2016-2017).
Il a ensuite exercé dans plusieurs cabinets ministériels : il a été directeur de cabinet de la ministre de l’Esri, Frédérique Vidal, de mai 2017 à avril 2019, puis conseiller éducation, enseignement supérieur, jeunesse et sports du Premier ministre, Édouard Philippe, de novembre 2019 à juillet 2020. Durant cette période, il a notamment supervisé la loi ORE et la mise en place de Parcoursup, et l’élaboration de la LPR.
À partir de novembre 2020, il est partenaire et directeur au sein de la division Gamma, l’entité dédiée à l’IA du BCG (Boston Consulting Group). Il est nommé président du Cnes en avril 2021. En janvier 2025, il intègre le Gouvernement Bayrou comme ministre en charge de l’ESR auprès d’Élisabeth Borne.
Les grands dossiers sur la table de l’enseignement supérieur
Philippe Baptiste va pouvoir reprendre les dossiers qu’il avait lancés ou hérité de ses prédécesseurs. Parmi les grands chantiers prêts à être dégainés rapidement, celui de la régulation de l’enseignement supérieur privé. En effet, le projet de loi préparé par le ministère au printemps a été présenté en conseil des ministres et déposé à l’Assemblée nationale fin juillet.
Il était prévu un examen à l’automne, mais le calendrier sera forcément bousculé du fait de la priorité donnée au projet de budget 2026. Ce décalage pourrait néanmoins permettre d’y intégrer de nouveau des éléments autour des établissements expérimentaux (EPE) et de la pérennisation du statut de grand établissement, qui avaient été retirés sous la pression des organisations syndicales. Le ministère a alors confié une mission de bilan des EPE à Jean-Pierre Korolitski qui doit rendre ses conclusions en novembre.
Un autre chantier est celui de la réforme du système des bourses. Si Philippe Baptiste avait indiqué début 2025 vouloir en faire une priorité et l’inscrire à l’agenda de 2026, il n’avait pas eu la validation de Matignon pour son financement. Nul doute que le sujet reviendra dans les discussions pour 2027, année d’élection présidentielle…
Parmi les chantiers communs aux ministères de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur figure la mise en œuvre de la réforme de la formation initiale des enseignants, avec une première session des nouveaux concours - désormais en fin de cycle licence - prévue pour 2026, suivie de deux années de master à visée de professionnalisation. Si les textes visant à rendre opérationnelle cette réforme sont publiés peu à peu et que des groupes de travail sont réunis régulièrement pour avancer, de nombreuses organisations syndicales expriment des inquiétudes quant au fait que tout soit prêt dans 6 mois.