Vie des campus

Simplifier la vie des chercheurs : 18 mois pour une « révolution » ?

Par Théo Haberbusch | Le | Stratégies

Le président de la République a réuni chercheurs et universitaires à l’Élysée le 7 décembre 2023. Il a érigé la simplification de la vie quotidienne des équipes de recherche en priorité et a donné 18 mois aux responsables universitaires et des organismes nationaux de recherche pour mener une « révolution » autour de leurs rôles respectifs.

Emmanuel Macron promet de « mettre en place une vraie révolution pour nos chercheurs » à l'Élysée. - © D.R.
Emmanuel Macron promet de « mettre en place une vraie révolution pour nos chercheurs » à l'Élysée. - © D.R.

Emmanuel Macron place ce début décembre 2023 sous le signe des questions d’éducation et de recherche. Après avoir laissé son ministre de l’éducation présenter ses mesures pour un « choc des savoirs », le 5 décembre, jour de (mauvais) résultats de l’enquête internationale Pisa, il a repris le micro pour s’adresser au monde académique.

À l’Élysée, il a reçu le 7 décembre des scientifiques et dirigeants universitaires pour leur parler d’avenir, d’organisation et de simplification en matière de recherche. Puis, le 12 décembre à Toulouse sur le site d’Airbus, il a achevé le continuum avec un propos sur le plan d’investissement France 2030, dont il a dressé un premier bilan et énuméré les nouvelles priorités thématiques.

Que retenir des annonces présidentielles ? 

Le 7 décembre, Emmanuel Macron a globalement tiré les leçons et repris les idées du rapport de Philippe Gillet, commandé par la ministre Sylvie Retailleau il y a tout juste un an. Le géophysicien, ancien directeur de cabinet de Valérie Pécresse (2007-2010) au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, est aujourd’hui directeur scientifique de l’entreprise Sicpa et professeur à l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) dont il a été vice-président.

Ses 14 propositions pour simplifier l’écosystème national français ont donc fait mouche… avec une certaine dose d’interprétation de la part de l’exécutif. Ainsi, le  conseil stratégique de la recherche placé auprès de la Première ministre mais jamais activé est bien supprimé.

Mais, en lieu et place de la création d’un haut conseiller à la science, préconisée par Philippe Gillet, Emmanuel Macron s’est entouré d’un Conseil présidentiel de la science. 12 scientifiques, tous de renommée internationale, devront l’aider à travers de réunions trimestrielles « dans l’orientation, l’alerte et le suivi des décisions prises » en matière de science.

Des agences de programme

 Philippe Gillet préside aujourd’hui le conseil scientifique d’Inrae. Il conduit ses activités en Suisse.  - © EPFL
Philippe Gillet préside aujourd’hui le conseil scientifique d’Inrae. Il conduit ses activités en Suisse. - © EPFL

Le mécano institutionnel n’était pas au cœur du propos. Le président a néanmoins concrétisé une des propositions du rapport Gillet , déjà validée par Sylvie Retailleau : la transformation des organismes nationaux de recherche en « agences de programmes ».

L’idée : améliorer la veille et la prospective scientifique collective sur des thématiques identifiées, coordonner les forces de recherche et permettre à l’État d’avoir un interlocuteur lorsqu’il souhaite « booster » un sujet. « L’agence de programmes reçoit du top down et construit du bottom up », résume un fin connaisseur du dossier. 

Les universités de leur côté se voient octroyer le rôle de « cheffes de file territoriales ». Agences de programmes, chef de file… des notions aujourd’hui encore assez peu définies.

« À un moment il faut que quelqu’un dise clairement ce qu’est une agence de programmes et ce qu’est une université cheffe de file, et ce serait bien que ce soit la ministre, analyse un ancien dirigeant universitaire. Parce que chacun interprète comme ça l’arrange, avec notamment les organismes nationaux de recherche qui insistent sur le maintien de leur rôle d’opérateur. Ça fait dix ans qu’on est coincés, il faut que ça avance. »

Illustration de ce propos : au lendemain de l’annonce présidentielle, Antoine Petit, P-DG du CNRS, a précisé à ses troupes que cette nouvelle mission d’agence ne remettait pas en question le rôle d’opérateur de recherche du principal organisme français. 

Les agences de programmes annoncées par le président de la République

• Agriculture, alimentation durable, forêt et ressources naturelles associées gérée par l’Inrae ;
• Climat, biodiversité et sociétés durables : CNRS ;
• Énergie décarbonée : CEA ;
• Du composant aux systèmes et infrastructures numériques : CEA ;
• Numérique logiciel : Inria ;
• Santé : Inserm ;
• Spatial : Cnes.

 L’autonomie des universités

Le discours d’Emmanuel Macron a été précédé d’un échange entre Sylvie Retailleau et un panel de chercheurs et chercheuses. - © Elysée
Le discours d’Emmanuel Macron a été précédé d’un échange entre Sylvie Retailleau et un panel de chercheurs et chercheuses. - © Elysée

Ce chantier s’accompagne de la promesse d’un « acte II » pour l’autonomie des universités. Le président et sa ministre, qui prônent la « différenciation », appellent les établissements qui le souhaitent à faire des propositions.

Dans l’entretien qu’elle a accordé à News Tank (abonnés) après les propos présidentiels, Sylvie Retailleau précise qu’un cahier des charges est en cours de discussions avec les associations d’universités (France Universités et Udice) « avec l’idée de l’expérimenter dans les 18 mois qui viennent ».

Cette nouvelle phase « se traduira par une évolution de la gouvernance, avec une stratégie forte et spécifique à la signature de l’établissement aussi bien sur les missions cœur de l’université (formation-recherche-innovation) que sur le modèle économique ou le volet RH et patrimonial ».

Elle suppose aussi « une évaluation plus claire et percutante, mieux articulée avec les différentes missions de l’université dont on tire toutes les conséquences », complète la ministre, qui a initié cette année des contrats d’objectifs de moyens et de performance pour renouveler le dialogue avec les établissements.

Mais leurs faibles montants, d’ailleurs raillés par le président de la République dans son discours, ne permettent pas, pour le moment, de changer la donne. Cela pourrait évoluer, laisse entendre Sylvie Retailleau. 

Rien sur les statuts… mais des appels à expérimenter

La question d’un statut unique pour les chercheurs et enseignants-chercheurs, véritable chiffon rouge, n’a pas été agitée, mais en filigrane c’est bien l’implication des chercheurs dans l’enseignement à l’échelle des universités qui est posée. C’est aussi toutes les harmonisations possibles entre corps de personnels administratifs et techniques, car universités et organismes ont chacune leurs spécificités pour leurs corps ingénieurs et personnels techniques de recherche et de formation (ITRF) et leurs ingénieurs, techniciens et personnels administratifs (ITA).

D’argent, il a finalement été peu question sous les ors de la République. Le président a défendu les efforts effectués depuis 2017, souligné le manque de financements privés en matière de R&D… et tout de même promis d’injecter un milliard d’euros pour des programmes favorisant notamment la prise de risque. 

Simplifier la vie des chercheurs

Ce n’est donc pas là qu’il faut chercher la « révolution » pourtant évoquée dans le discours du président de la République. La nouveauté tient dans la volonté affichée par l’exécutif de simplifier la vie des chercheurs. Un leitmotiv de Sylvie Retailleau depuis sa nomination comme ministre rue Descartes, un enjeu souligné par le rapport Gillet, et donc un objectif fixé par Emmanuel Macron.

Communauté à bout de souffle

« Simplification de la vie des chercheurs », « confiance » dans les équipes, les termes ont été clairs. Il faut dire que les alertes se sont multipliées ces derniers mois sur la saturation des personnels face aux contraintes administratives.

Le 4 décembre, la tribune dans le Monde de Pierre Rochette, géologue, physicien et professeur à Aix-Marseille Université, qui a renvoyé sa médaille d’argent du CNRS pour protester contre  « le fardeau de la bureaucratie », a cristallisé un mouvement général. 

« Je le remercie pour ce texte. Les chercheurs ne sont pas simplement en train de râler. Ils lâchent prise face aux contraintes », commente une chercheuse parisienne auprès de Campus Matin. 

Dès juin 2023, le conseil scientifique du CNRS alertait contre les « entraves administratives à la recherche ». Les bugs à répétition du nouvel outil de gestion des missions du CNRS ont fini d’exaspérer une communauté académique à bout de souffle.

Ainsi, face à Sylvie Retailleau, Halima Alem-Marchand, professeure à l’Université de Lorraine, invitée à témoigner avant le discours présidentiel, n’a pas demandé des moyens financiers, mais… de pouvoir prendre simplement ses billets de train sur le site de la SNCF.

Le compte à rebours a commencé

Le président de la République a donc placé les universités et les organismes de recherche devant leurs responsabilités, en leur demande de simplifier… en 18 mois c’est-à-dire à l’automne 2025 avec une première étape à l’été 2024. Le compte à rebours a commencé.

Si certains présidents d’universités y voient une pression inutile ou irréaliste, d’autres observateurs considèrent que cet « ultimatum » est la seule manière d’amener des changements concrets.

Comment ce chantier va-t-il à présent se mettre en place ?

Les 17 sites volontaires pour tester des process de simplification à l’échelle des unités de recherche - © MESR
Les 17 sites volontaires pour tester des process de simplification à l’échelle des unités de recherche - © MESR

Il a en réalité déjà commencé, depuis la remise du rapport Gillet cet été. 17 sites pilotes ont été désignés pour traiter un ou des sujets précis.

Liquidation des frais de mission, autorisations de cumul d’activité facilitées, identifiants uniques et pérennes pour les structures et personnels, règles de sécurité dans les labos… autant de sujets qui se jouent bien souvent au niveau des unités mixtes de recherche et sur lesquels il est demandé aux organismes et universités tutelles d’agir, en optant à chaque fois pour la solution la mieux-disante.

Sylvie Retailleau précise avoir déjà réuni les 17 sites pilotes et attendre un premier document pour le mois de janvier 2024. 

« Dans 18 mois, il faudra regarder quelques indicateurs, par exemple combien de temps est nécessaire pour une commande, pour un billet de train, pour élaborer un rapport d’activité, combien de rapports inutiles ont été supprimés ? », énumère l’expert déjà cité.

Revivre le discours d’Emmanuel Macron à l’Élysée